« Moav dit aux anciens de Midyan : " Maintenant, l’assemblée broutera tous nos alentours, comme le bovin broute la verdure du champ…" » (Bamidbar 22,4)

Rachi demande pourquoi Moav a demandé conseil à Midyan. Il répond qu’en voyant les victoires surnaturelles du peuple juif, ils voulurent connaître la nature et le caractère de son dirigeant pour pouvoir le vaincre. Midyan répondit que sa puissance trouvait son origine dans sa bouche. Moav se dit : « Nous les combattrons aussi avec quelqu’un dont la force est dans la bouche. »

La Paracha nous raconte que les Moavim craignaient le peuple juif, depuis la défaite des Émorim. Ils allèrent donc voir leurs anciens ennemis (le peuple de Midyan) pour leur demander conseil quant à la meilleure façon de combattre les Juifs. Rachi explique qu’ils posèrent leur question à Midyan, parce que le dirigeant du peuple juif – Moché Rabbénou – avait grandi à Midyan et que ce dernier avait donc peut-être une idée précise de l’origine de la force particulière du peuple juif. Le Birkat Ich[1] pose une question percutante. Il y avait une autre nation qui connaissait Moché bien mieux que les Midyanim ; c’était la nation égyptienne. On ne comprend pas non plus pourquoi Rachi affirme que Moché a grandi à Midyan, alors qu’il passa les quarante premières années de sa vie en Égypte.

Rav Issakhar Frand développe la question. Supposons que quelqu’un fasse une recherche Google sur Moché Rabbénou. Qu’obtiendra-t-il du moteur de recherche ? Né en Égypte. Élevé en Égypte. Il a passé la majeure partie de sa vie en Égypte. Fugitif recherché par la justice ; il s’enfuit à Midyan, où son occupation principale pendant quelques années fut : berger. De retour en Égypte, il délivra et fit sortir le peuple juif. Il mit l’Égypte à plat et détruisit tout le pays. Pharaon implora sa miséricorde. Voilà pour le CV en ligne de Moché. Mais en réalité, où Moché a-t-il eu une carrière plus glorieuse ? Était-ce à Midyan ou en Égypte ? Il semblerait que si l’agence de renseignement moabite avait voulu obtenir des informations précises sur le chef du Klal Israël, il aurait été beaucoup plus logique d’aller demander aux Égyptiens, plutôt qu’aux Midyanim ! À Midyan, son « CV » s’étendait sur quelques années et ne mentionnait que le métier de berger (recherché par la police égyptienne) ! Alors, pourquoi les Moavim ont-ils consulté les Sages de Midyan, qui auraient pu, au mieux, ajouter une petite note en bas de page sur la carrière de Moché Rabbénou, alors que ses grands succès et ses années glorieuses eurent lieu en Égypte ? Moché y est né, il y a grandi, il faisait partie du palais, sans parler de ce qu’il a accompli à son « retour à la maison »…[2]

Le Birkat Ich répond qu’en effet il aurait été plus logique pour les Moavim de demander aux Égyptiens plutôt qu’aux Midyanim, mais ils avaient une très bonne raison de ne pas le faire. Ils connaissaient d’avance la probable réponse des Égyptiens, mais ne voulaient pas entendre cette réponse. Si Balak était allé en Égypte et avait demandé comment il pouvait vaincre les Juifs, comment lutter contre Moché Rabbénou, les « sages » d’Égypte lui auraient certainement répondu : « Restez à l’écart !! Ils vont tous vous tuer ! Savez-vous ce qu’ils ont fait à notre pays ? Ils ont tout détruit ! Croyez-nous, demandez la paix et rien d’autre. Quoi qu’ils veuillent, accordez-le-leur, vous vous en porterez mieux ! » Les Moavim ne voulaient pas entendre une réponse pareille, tant ils étaient haineux des Juifs. Ils n’arrivaient pas à faire preuve de bon sens et allèrent poser la question aux Midyanim, qui n’avaient pas vu les exploits du peuple juif et qui n’avaient pas expérimenté les dommages subis par les Égyptiens. Les conséquences de cette décision furent contre-productives, puisque le peuple juif fut béni au lieu d’être maudit.

Cela nous enseigne un principe important. Parfois, quand une personne se pose une question (que ce soit un choix de vie, une question de Hachkafa ou de Halakha), elle souhaite entendre une réponse particulière, qui correspond à ses désirs. Elle peut donc aller voir le Rav ou le conseiller qui lui accordera la réponse désirée, ce qui risque d’avoir de graves conséquences.

Et inversement, il arrive que l’individu aille poser une question à un Rav et qu’il accepte la réponse, même si elle va à l’encontre de ses opinions ou de ses désirs. Rav Moché Sherer (fondateur de la Agoudat Israël aux États-Unis) incarnait bien cette qualité. Il était lui-même érudit et expérimenté, mais se soumettait volontiers à l’opinion des autres Rabbanim. Une fois, il devait présenter une idée à la Moétseth Guédolé Hatorah (conseil des Sages en Torah) et il était tellement certain qu’elle serait acceptée, qu’il avait déjà commencé à planifier les choses et même à les mettre en place. Cependant, les Rabbanim prirent une décision différente et rejetèrent l’approche envisagée par Rav Sherer. Non seulement ce dernier accepta la nouvelle décision, mais il quitta la réunion avec un grand sourire, réfléchissant déjà à la façon d’exécuter les directives des Rabbanim. Devant la perplexité de Rav ’Haïm David Zwiebel[3] qui ne comprenait pas cette réaction positive alors qu’il avait investi du temps et de l’énergie pour ce projet, il expliqua : « Ne comprenez-vous pas ? C’est tout mon but dans la Agoudat Israël ! C’est pour vivre un jour comme celui-ci que je suis venu ici, pour accepter que mon opinion soit rejetée par les Guédolé Israël. » Rav Sherer n’était pas convaincu d’avoir eu tort, mais il était convaincu de la primauté du Da'at Torah.

Puissions-nous tous mériter de poser nos questions aux bonnes personnes et d’accepter les réponses, même si elles diffèrent de celles que nous attendions.

 

[1] Commentaires sur le ’Houmach écrits par Rav Avraham Shine.

[2] On peut arguer que même si Moché a passé plus de temps en Égypte, Midyan fut l’endroit de sa première révélation divine, d’où l’affirmation de Rachi qu’il avait grandi à Midyan – il avait connu une élévation spirituelle particulière en parlant avec Hachem pour la première fois.

[3] Dirigeant actuel de la Agoudat Israël.