Parmi les nouvelles diffusées parvenues ces derniers mois de Syrie, d’Irak, une information importante était encourageante : l’EI. (cet Etat Islamique, auto-proclamé califat) avait été disloqué. Dans le désordre inimaginable qui règne au Moyen-Orient, au moins une organisation détestable a été paralysée, sinon entièrement annihilée. Est-ce un succès ? Il semble qu’il soit plus important de comprendre comment un sentiment, assurément religieux, a pu être dévoyé et orienté négativement.
C’est tout le processus qui conduit une jeunesse idéaliste à se dévouer à des causes semblant a priori positives, qu’il convient d’analyser. De plus, la religion qui prétend que mourir ouvre la voie aux plaisirs matériels invite évidemment de nombreux fidèles à chercher à mourir. Il n’entre pas, dans cette présentation, une volonté de dénigrer une foi qu’embrassent plusieurs centaines de millions de fidèles. D’ailleurs – mais ce n’est pas ici notre propos – Maïmonide estime que le christianisme et l’Islam sont, par rapport au paganisme, des étapes préparant l’avènement messianique. C’est l’éthique de l’Islam qu’il importe de comprendre : le terme même – Islam – signifie en arabe « abandon », « soumission », et à ce titre, il importe d’intégrer l’idéalisme d’une jeunesse qui ne sait pas plus à quel repère se relier.
Le 21ème siècle a donné à la jeunesse de chaque génération l’occasion d’exprimer son idéalisme : Résistance pendant la Seconde Guerre Mondiale, lutte contre le colonialisme dans les années 50 à 70, foi dans le communisme ; aujourd’hui, c’est le Djihad islamiste qui attire une certaine jeunesse, et la lutte pro-palestinienne s’inscrit bien dans cette mouvance, à la recherche d’une sorte d’autosacrifice.
L’islam qui implique une obéissance absolue à la loi, « un abandon de l’âme à la volonté divine » (expression utilisée par Franz Rosenzweig) facilite assurément cette disposition à un dévouement total à une cause. Il y a une parenté – peut-être apparemment un peu hérétique – entre les jeunes djihadistes et les révolutionnaires russes du début du 20ème siècle, qui tentèrent de supprimer le Tsar de Russie. L’analogie est un peu forcée, car les jeunes djihadistes se veulent serviteurs d’Allah, mais la puissance du sacrifice de soi autorise cette comparaison.
Où se situe ici la morale juive, la réflexion de la Torah sur une telle attitude ? On sait qu’en dehors de trois interdits – l’idolâtrie, la débauche sexuelle et l’assassinat – à propos desquels il faut se sacrifier pour ne pas les transgresser, la Torah ne demande pas au fidèle de sacrifier sa vie. Le Djihad actuel est assurément une escalade dans l’autosacrifice. Il est permis de voir ici un idéalisme dévoyé, qui séduit des jeunes désaxés devant une existence dépourvue d’espoir, d’avenir, et qui recherchent une Valeur suprême. Il importe de ne pas tomber dans la critique d’une religion qui se veut certes aussi monothéiste, mais il importe de montrer combien une obéissance absolue à la Loi, sans référence à la nécessité de l’amour, risque de dévoyer la rigidité de la Loi. La cruauté du djihadisme, l’insensibilité des bourreaux, reflètent une visibilité négative du devoir de l’homme sur terre. « Marcher sur la voie d’Allah, signifie, au sens le plus strict, répandre l’Islam grâce à la guerre sainte ».
Cette formulation du philosophe allemand, Franz Rosenzweig, parue en 1921, explique assurément les débats contemporains. Un désir de faire connaître, universellement, la loi d’Allah, est à la source des conflits actuels. Assurément, il y a, derrière ce désir de conquête de l’humanité, un sentiment de « complétude », de « satisfaction », qui remplit l’aspiration d’une jeunesse en soif d’Absolu. Il importe de savoir que l’Attribut de Justice – la Midat Hadin – doit être tempéré par la Midat Hara’hamim – Attribut de Miséricorde – afin de proposer une harmonie universelle, qui doit dépasser les conflits actuels, afin de couronner la fin de l’Histoire et aboutir au Royaume de D.ieu sur terre.