Qui n’a jamais été spectateur d’une altercation en pleine rue, à la banque ou dans un jardin d’enfants entre deux parfaits inconnus ? Malheureusement, ces dernières années, la bienséance et la retenue sont mises à dure épreuve. On crie pour se garer, on crie pour faire passer notre enfant avant les autres à la balançoire, on crie pour récupérer le dernier chariot du supermarché… Comment réagissez-vous lorsque vous êtes mêlés à ces scènes ? Vous défendez votre cause ou vous vous taisez ?
Cette semaine, j’ai été témoin d’une énième « dispute » improvisée. J’étais assise dans le bus. A côté de moi, il y avait une femme âgée, qui devait avoir pas moins de 80 ans (à en croire le nombre de rides qui creusaient son visage). Elle avait l’air fatiguée et avait un caddie rempli de courses et encore d’autres sacs qu’elle avait déposés près d’elle dans le couloir du bus. Quelques arrêts plus tard, un jeune homme est monté, il était au téléphone et semblait agacé. Sans se préoccuper de la personne à qui il s’adressait, il a commencé à faire un scandale à cette pauvre dame car il n’avait pas suffisamment de place pour passer à cause de ses paquets. Quelle hargne dans ses propos, quelle cruauté dans son regard, n’avait-il pas de cœur, pas de sentiment ? Mon sang n’a fait qu’un tour, j’ai commencé à m’avancer pour lui dire ses quatre vérités, et là... La dame m’a fait signe de me taire avec un sourire empli de sagesse et de raison. Elle a ramené ses paquets vers elle en s’excusant auprès du jeune homme qui, évidemment n’a même pas pris la peine de s’excuser à son tour ou même de la remercier pour son geste.
J’étais offusquée, j’avais les larmes au bord des yeux et les nerfs au bout des doigts. La dame aurait pu avancer toutes sortes d’arguments, du fait de son âge et de son statut, qui auraient tous sans exception fait taire cet insolent et personne n’aurait rétorqué, car elle avait la raison de son côté. Et dans le cas où elle ne voulait pas parler, elle aurait pu au moins me laisser prendre sa défense. Croyez-moi, j’avais un véritable plaidoyer digne des plus grands avocats à débiter. Pourquoi avait-elle préféré se taire ? Pourquoi avait-elle accepté l’humiliation aussi docilement, humiliation qu’elle ne méritait pas ?
Alors qu’elle se levait pour descendre du bus, elle s’est approchée de moi et m’a dit : « Ne sois pas blessée pour moi mon enfant, tu as un grand cœur mais la vie t’apprendra que dans certains cas les non-réponses valent bien plus que toutes les réponses du monde, aussi justifiées soient-elles. Passe une bonne journée et sois bénie. »
Ces quelques mots ne m’ont pas quittée de toute la journée. En quoi un non-dit peut-il valoir davantage qu’une réponse claire, nette et précise ? Cela revenait à poser la question suivante : qu’est-ce que le silence a de si puissant et précieux ?
Et je dois dire que c’est mon mari qui m’a éclairée, en me rappelant ce qui était écrit dans Pirké Avot. Rabbi Chimon Ben Gamliel dit : « J'ai été élevé parmi les Sages, et je n'ai rien trouvé de meilleur que le silence ; (...) celui qui parle excessivement provoque le péché. »
Quand on y réfléchit bien, c’est un enseignement plein de bon sens. Lors de conflits, on répond rarement avec respect et dignité. On s’emporte, on va au-delà de la dispute, on en vient à insulter l’origine de la personne, son niveau de religiosité ou même son apparence, des éléments qui n’étaient aucunement en cause à la base, des éléments qui n’ont absolument rien à voir avec le fond de la dispute. Je me suis revue dans ce bus et effectivement le plaidoyer dont je vous parlais comportait non pas un ou deux éléments que je viens de vous citer, mais il en comportait l’ensemble. J’aurais employé un ton irrité et irrespectueux, j’aurais certainement tutoyé par mépris, j’en serais arrivée à l’éducation que ce jeune homme avait reçue, sans même le connaître et en prenant le risque de toucher une corde sensible qui lui aurait fait du mal à son tour. Et est-ce que j’aurais fait plus de bien à la dame âgée avec ma réprimande ? Honnêtement, non, je ne pense pas.
Ne pas répondre dans ces situations demande un effort sur soi et peut éventuellement nous donner l’air ridicule aux yeux des spectateurs. Encore que… En revanche, un tel silence n’a pas de prix aux yeux de notre Créateur Qui par fierté, est prêt à nous ouvrir toutes les portes, en récompense à cette retenue. D’ailleurs, nos Sages enseignent qu’une personne qui n’a pas répondu alors qu’elle était humiliée en public verra toutes ses prières exaucées et ses requêtes accédées.
Ne pas répondre permet de garder la confidentialité de certains propos, qui pourraient nous échapper sous la colère… Ne pas répondre permet de protéger la dignité et les sentiments d’autrui… Ne pas répondre permet de garder son humanité aux yeux des gens, qui nous respecteront davantage pour ce silence qui effectivement a une valeur plus importante que toutes les réponses du monde.
Moi qui avais d’ordinaire un tempérament de feu, j’étais très heureuse d’avoir pu, pour une fois, retenir ma langue et rester en retrait. J’étais infiniment reconnaissante envers cette dame qui m’avait été envoyée pour m’enseigner une leçon de vie que je chérirais encore de longues années. Je prononçai dans mon cœur des paroles de bénédiction à son égard, par le mérite de ce silence qu’elle avait gardé ce matin même et qu’elle m’avait convaincue de garder pour le reste de mes jours.