Il existe une forme de 'Hessed (bonté) qui nous éloigne de notre prochain, il s'agit d'un 'Hessed déséquilibré. Un grand nombre de problèmes et de sentiments difficiles au sein du système relationnel proviennent d'un don déséquilibré. Le don est une faculté à sortir de nous-mêmes et à offrir à notre prochain une parcelle de l'abondance présente en notre sein. Parfois, ce don n'est pas équilibré et crée en nous des attentes, des déceptions et des sentiments négatifs. Examinons aujourd'hui l'équilibrage de la vertu du 'Hessed à travers l'épreuve de la 'Akéda (sacrifice d'Its'hak)...
Dans notre Paracha, l'’Akéda d'Its'hak est la dixième épreuve à laquelle Avraham est soumis. C'était également la plus difficile, destinée à évaluer le niveau d'Avraham Avinou, comme il est dit : « Car, désormais, J'ai constaté que tu honores D.ieu. » De même, la Torah mentionne explicitement l'épreuve, ce qui n'est pas le cas pour les autres : « D.ieu éprouva Avraham » (Béréchit 22,1) pour mettre en valeur l'ampleur de la difficulté de cette dixième épreuve.
Avraham Avinou, le père de la nation, incarnait la pure bonté. Il rapprocha les créatures du Créateur et se consacra inlassablement au don et à l'accueil des invités. Il prodiguait du 'Hessed matériel et spirituel à l'égard de toute personne qui croisait son chemin. Il était donc dans son essence, la bonté et l'amour qui sont le fondement du maintien du monde, et a été éprouvé dans cette épreuve liée à la Gvoura (rigueur). Il devait manifester le contraire de l'amour, et en sa qualité d'homme habitué à offrir la vie chaque jour, il reçut l'injonction divine de mettre un terme à la vie, un acte qui allait à l'encontre de toute sa personnalité.
« Maassé Avot Siman Labanim », les actes de nos ancêtres nous tracent la voie : il nous incombe de suivre la trace d’Avraham Avinou et d'aimer le 'Hessed. L'amour est le but de la volonté du Créateur, et constitue une expansion de notre personnalité. En parallèle, l'épreuve du sacrifice doit nous apprendre à limiter le 'Hessed, à équilibrer cette vertu de bonté en nous. Le Rambam nous enseigne qu'une Midda (trait de caractère) qui n'est pas équilibrée, même si elle est positive comme celles du 'Hessed et de l'amour, n'est pas louable. « Les actes positifs sont situés entre les deux extrémités, qui sont toutes deux mauvaises ; on pourrait parfois estimer qu'une extrémité est louable, mais c'est une erreur. La voie médiane est la meilleure. L'homme devra toujours peser ses actions pour les équilibrer vers le milieu. »
Nous apprenons de là que chaque Midda a une limite précise, et un juste milieu auquel nous devons aspirer. Lorsque le 'Hessed n'est pas équilibré et que nous donnons sans limites, nous sommes dans une situation problématique.
En effet, une bonté non équilibrée nuit à son bénéficiaire, parfois au donneur ou bien encore à tous les deux. Nous devons viser également à créer un 'Hessed équilibré, qui prend en compte aussi bien la faculté du bénéficiaire que notre volonté de donner. En effet, la volonté de donner peut parfois dépasser la capacité d'accueil du bénéficiaire, et cette surabondance de 'Hessed peut provoquer un changement radical – une surabondance de lumière – au même titre qu'un surplus d'huile éteint la flamme. C'est une situation dans laquelle le bénéficiaire ne voit pas le 'Hessed et est ingrat. De manière détournée, ce geste de bonté contribue à une dégradation des Middot du bénéficiaire, d'où sa négativité.
Prenons un exemple dans le domaine de l'éducation des enfants et du système relationnel avec nos proches : souvent, les parents désirent donner davantage que ce que les enfants veulent recevoir. Il nous incombe d'apprendre à mettre une limite au don, en dépit de notre désir de donner sans limites. Si nous réfléchissons, nous pourrons identifier un don qui ne sera pas profitable pour eux. Dans notre génération d'abondance, lorsque les enfants reçoivent tout facilement, sur un plateau d'argent, ils deviennent souvent passifs et leurs talents ne sont pas exploités. Ils ne doivent pas déployer d'efforts et apprennent à recevoir sans fournir d'efforts, ce qui accentue leur paresse et peut leur causer divers ennuis à l'âge adulte, aussi bien sur le plan spirituel que dans leur carrière.
Il nous arrive de donner à quelqu'un sans recevoir en retour, et parfois le don n'est pas un choix ni le produit d'une volonté sincère, mais uniquement un geste de conciliation. Si notre don renferme une bonne part de conciliation, cela nous donnera le sentiment de n'avoir pas de place dans la relation, dans le sens où nous cédons face au prochain, ce qui crée des sentiments négatifs à l'égard de l'homme qui me « force » à l'apaiser. Bien entendu, au bout d'une longue période, des sentiments négatifs se forment à son égard et de grandes attentes de recevoir en retour, qui ne se matérialisent pas toujours, peuvent contribuer au final à une rupture de la relation, ou bien à des sentiments de colère et de haine.
Dans un tel cas où le don et la réception du don ne sont pas équilibrés, nous devons procéder à une auto-analyse et retenir que le 'Hessed est un acte qui traduit un choix et non une contrainte. Un don de cette nature provient d'une faiblesse et non d'un choix, et de ce fait, ne produit pas une bonne impression dans notre esprit, et nous éloigne de nous-même et de l'autre. Je recommande toujours de réfléchir avant de faire ce 'Hessed : si je ne reçois rien en contrepartie, est-ce que je désire malgré tout le réaliser ? Si la réponse est positive, c'est un 'Hessed motivé par un choix conscient, et non par une coercition interne ou externe.
Le don équilibré n'entraîne aucun problème ou préjudice, bien au contraire. D'un côté, on est à l'écoute des réels besoins de l'autre, et notre don vise juste. Pour les enfants, n'envisageons pas le don comme un objet qui produit une satisfaction immédiate de leurs besoins, mais plutôt comme une attitude qui leur apprend à devenir responsables, empressés et bienveillants. D'un autre côté, si nous donnons en nous écoutant, est-ce que le geste de bonté que je réalise est motivé par un choix délibéré ? Est-ce que je le désire ?
Retenons qu'on ne fait pas de 'Hessed dans le but d'être couvert d'honneur ou en contrepartie d'autre chose. Il faut donner pour donner, à l'instar d'Avraham Avinou : donner afin que le don développe en nous notre vertu de 'Hessed tout en suivant la voie du Créateur. Je ne donne pas pour m'accorder de l'importance, pour me créer une place dans la société, mais pour ressembler au Créateur, qui prodigue du bien et de la compassion à toute la création, selon Sa Midda de compassion illimitée, tout comme Avraham sortait vers ses invités, même sans les connaître, tant il désirait donner à chacun, sans condition et sans aucun désir de récompense. Nous serons prêts à accueillir le don qui sera alors bienvenu. Lorsque nous permettons à autrui de nous offrir quelque chose, nous le réjouissons de lui permettre de donner. C'est également une forme de don.
Il faut veiller à prodiguer du 'Hessed en fonction du degré de proximité, conformément au principe : « Les pauvres de ta ville sont prioritaires.» La personne la plus proche de vous est celle qui a le plus besoin de votre attention. Un enfant a besoin de ses parents bien plus que de toute autre personne comme un ami ou un voisin. Un enfant a besoin d'attention et d'amour qui ne peuvent lui être prodigués que par ses parents. Il faut accorder la priorité à son foyer : donner de l'amour et de la chaleur est une mission importante pour le couple. En effet, nous ne souhaitons pas que notre conjoint cherche à obtenir de l'attention en dehors de la relation de couple. Plus le don est offert à une personne proche, plus il a de valeur et de nécessité. Cela va parfois à l'encontre de notre tendance naturelle à vouloir donner à des personnes plus éloignées de notre cercle intime.
Afin que ce 'Hessed soit équilibré, il faut le donner selon un juste ordre de préférences : tout d'abord à notre cercle le plus proche dans notre rôle de parent, de conjoint, d'enfant, et ensuite dans notre cercle social plus large. L'équilibrage de la Midda du 'Hessed nécessite parfois des ajustements lorsque nous remarquons que nous ne donnons pas à ceux qui en ont besoin. Nous devons ouvrir davantage notre cœur, en nous mettant à l'écoute des besoins d'autrui, et ressembler ainsi au Créateur.
Concluons par une prière : puissions-nous mériter que le 'Hessed que nous offrons se réalise dans une écoute de nous-mêmes et en tenant compte des besoins du bénéficiaire, et non de nos besoins. Puissions-nous lui offrir ce qu'il a besoin de recevoir, et non ce que nous désirons lui donner !