Vous vous levez un matin, et vous entendez des petits pas dans votre chambre. Vous sentez que quelqu’un est entré… vous ouvrez les yeux doucement, et là, en regardant autour de vous, vous voyez quelque chose accroché sur le mur... vous ouvrez grand les yeux, et oh, surprise ! Une grande pancarte colorée a été accrochée ! Vous lisez : “MAMAN TU ES LA MEILLEURE AU MONDE ! ON T’AIME !!!” avec des petits cœurs de toutes les couleurs en filigrane ! Vous reconnaissez bien la “patte” de vos enfants dans cet adorable petit cadeau...
Plus rien n’existe en comparaison avec la joie que vous ressentez ! Ni le désordre dans le salon, ni les devoirs qui n’ont pas été faits, ni les disputes de la veille ! Ce cadeau de vos enfants représente tout pour vous, non pas parce qu’il est élégant ou esthétique, mais parce qu’il a été donné avec tant d’amour et de joie. Ils ont offert ce qu'ils pouvaient et ils l'ont fait avec des cœurs débordants.
À l’inverse, si la joie manque à nos gestes au quotidien, alors tout devient fade et sans goût. Un gâteau cuisiné à la maison, avec un visage contrit et plein de ressentiment, n’aurait tout simplement pas le même goût ; tout comme un dîner aux chandelles passé avec votre mari deviendrait vide de sens si vous faites la tête. Ou bien encore, vous lisez une histoire à vos enfants avant de dormir, mais ils ressentent que “maman n’est pas là”, alors à quoi bon ?
Quel est cet ingrédient essentiel pour rendre spéciaux et appréciés tous nos gestes au quotidien ? Cet ingrédient magique... c’est la joie.
Dans la Paracha Ki Tavo, la Torah nous met en garde de toutes les malédictions qui pourraient nous arriver “parce que tu n'auras pas servi l'Éternel, ton D.ieu, avec joie et contentement de cœur”[1]. Pourquoi nous préciser que les Mitsvot n’ont pas été faites “avec joie” ?
Le Or’hot Tsadikim nous enseigne que lorsqu’on réalise une Mitsva dans la joie « son salaire est mille fois plus grand que si on la faisait à contre-cœur » ! Et le ‘Hida nous dit que Hachem récompense les Mitsvot dans le monde futur, mais qu’Il récompense dans ce monde-ci la joie avec laquelle on les accomplit ! En nous apportant des bénédictions tant matérielles que spirituelles...
Pourquoi notre joie a une si grande valeur aux yeux d’Hachem ?
La joie est le baromètre de notre cœur. Donc si la joie manque, c’est bien le signe que les choses sont faites de façon ritualisée mais sans amour et sans cœur. Si quelqu’un fait les Mitsvot sans joie, cela montre qu’il ne reconnaît pas leur véritable valeur, qu’il ne comprend pas que toutes les Mitsvot ont été données par Hachem avec amour afin de créer une relation authentique avec Lui. Les 613 Mitsvot sont autant de canaux de connexion avec le Maître du monde ! Et nous, parfois, on risque de prendre ça comme un fardeau parce qu’on ne met pas de sens à ce que l’on fait, comme l’illustre cette fameuse parabole du Maguid de Doubno. Un riche commerçant charge un émissaire de lui apporter un colis à son domicile. « Attention, lui dit-il, son contenu a une très grande valeur. » Cependant, lorsqu’il voit l'émissaire de retour, le commerçant s’étonne de le voir épuisé et de mauvaise humeur, se plaignant : “Qu’est-ce que c’était lourd !”. L’homme riche lui dit : “Si tu savais que tu portais des pierres précieuses d’une valeur inestimable, tu aurais porté le paquet avec une grande joie et tu n’en aurais même pas senti le poids.”
Lorsque l’on est très motivé, on ne sent pas la fatigue. Plus encore, la fatigue concrétise le plaisir que l’on se donne. Inversement, lorsque l’on a l’impression de peiner en vain, de porter un fardeau dont on préférerait se débarrasser ou bien que l’on trouve injuste d’être obligée de supporter, ou encore que l’on se dit qu’il devrait être porté par d’autres, alors chaque geste devient épuisant.
De même, le but des Mitsvot est de nous connecter avec D.ieu Lui-même, ce qui, en soi, devrait nous apporter la plus grande des joies ! Si on n’est pas joyeux, c’est bien la preuve qu’on n’a pas encore construit de relation d’amour avec le Créateur Lui-même. Or, Hachem recherche quoi ? Pas des rituels automatisés ! Il veut nos cœurs... [2]
Alors comment faire pour mettre du sens à nos actions quotidiennes ?
C’est là que la Torah nous en livre le secret : celui des Bikourim. Après la conquête de la terre d'Israël, les fermiers devaient prendre leurs Bikourim, leurs premiers fruits mûrs, et les amener au Beth Hamikdach. Pour cela, ils devaient au préalable “repérer” les premiers fruits les enroulant dans un fil pour pouvoir les reconnaître par la suite. Ces fruits devaient être apportés au Temple pour exprimer notre reconnaissance à D.ieu pour l'opportunité de s'installer sur la Terre d'Israël et d'avoir béni ses produits. Ils devaient marcher vers le Beth Hamikdach chacun avec leurs paniers pour apporter leurs fruits dans une cérémonie en grande pompe, puis devaient prononcer une formulation détaillée : “Je viens reconnaître en ce jour, devant l'Éternel, ton D.ieu, que je suis installé dans le pays que l'Éternel avait juré à nos pères de nous donner. [...] Il nous fit sortir de l'Égypte avec une main puissante et un bras étendu, en imprimant la terreur, en opérant signes et prodiges. Or, maintenant, j'apporte en hommage les premiers fruits de cette terre dont Tu m'as fait présent, Seigneur !" [3]
Le secret pour mettre de la joie et du cœur dans notre quotidien, c’est la verbalisation. Lorsqu’on se lève : “Quelle chance de pouvoir me lever pour servir Hachem, le Roi des rois”, “Quelle joie de m'occuper de ma maison, qui est un petit Beth Hamikdach dans lequel la présence Divine repose !”, “Quel mérite extraordinaire de m’occuper de mes enfants, les joyaux qu'Hakadoch Baroukh Hou m'a confiés en m'accordant Sa pleine confiance !”. On ne doit pas laisser passer une seule journée dans nos vies sans dire : “quelle chance !” ou "quel mérite !".
Le Rav Yaakovson recommande aux mamans de prononcer ces versets très émouvants quand elles font les courses au supermarché : “Tu partages ton pain avec l'affamé”, ou bien quand elles vont chercher leurs enfants à l'école : “Tu recueilles dans ta maison les malheureux sans asile”, ou encore quand elles plient le linge : “Tu vois un homme nu, et tu le couvres.” [4]
Eh oui, c’est incroyable ! Les mamans qui croient faire des gestes banals font en fait quotidiennement toutes les actions héroïques décrites dans ce verset, que l’on prononce d’ailleurs le jour de Yom Kippour ! Nous pourrions dire que c’est artificiel de prononcer ces belles déclarations, mais, en fait, les phrases que nous prononçons pénètrent en nous et nous transforment de l’intérieur et nous aident à nous rappeler de la beauté des actions que nous faisons quotidiennement pour y faire rentrer une vraie joie authentique et profonde.
Et la suite du verset est superbe : “Et tu te réjouiras pour tous les biens que l'Éternel, ton D.ieu, aura donnés à toi et à ta famille” [5] : cette phrase n’est pas un ordre, mais une conséquence ! Si on prend le temps de donner du sens à ce que l’on fait, et que l’on verbalise son engouement, alors la suite logique et naturelle est une joie immense qui vient nous habiter.
Pour nous remplir de joie au quotidien, la Torah nous livre deux secrets qui valent de l’or : prendre le temps de donner de la valeur à nos actions et exprimer à haute voix la haute valeur de ces faits. En fait, ces deux conseils sont complémentaires : l’un est l’intériorisation et l’autre est l'extériorisation. Les deux mouvements ensemble s’alimentent l’un l’autre pour nous faire rentrer dans un cercle vertueux, celui de la joie !
Voilà le secret plurimillénaire de notre Torah : on ne doit pas attendre de nos gestes des récompenses, mais plutôt voir ces gestes en soi comme des récompenses. C’est à nous de jouer !
[1] Dévarim (28,47)
[2] רחמנא ליבא בעי Traité Sanhédrin
[3] Dévarim (26,1-10)
[4] Isaïe (58,6-7) Haftara de Yom Kippour. Voici les versets en entier :
Mais voici le jeûne que j'aime : c'est de rompre les chaînes de l'injustice, de dénouer les liens de tous les jougs, de renvoyer libres ceux qu'on opprime, de briser enfin toute servitude ; puis encore, de partager ton pain avec l'affamé, de recueillir dans ta maison les malheureux sans asile ; quand tu vois un homme nu, de le couvrir, de ne jamais te dérober à ceux qui sont comme ta propre chair !
[5] Dévarim (26,11)