Ruth est connue de tous comme le modèle parfait de la personne acceptant sur elle le joug de la Torah avec une totale abnégation. Toutefois, une autre facette bien moins connue de cette grande personnalité mérite d’être relevée, c’est celle de la belle-fille idéale ! Cette qualité est d’ailleurs évoquée avec admiration par Bo’az lorsque Ruth lui demande pourquoi il fait preuve de tant d’altruisme envers elle. Il lui explique alors : « On m'a fidèlement rapporté tout ce que tu as fait pour ta belle-mère après la mort de ton mari… », et ajoute à ce grand mérite, celui d’avoir tout abandonné pour s’attacher à la Torah.
Avant d’évoquer le comportement exemplaire de Ruth envers sa belle-mère Naomi, il est indispensable de rapporter les paroles de Rabbi Ya’acov Kouli concernant les liens naturels existant entre une belle-fille et sa belle-mère, afin d’apprécier à sa juste valeur le dévouement de Ruth : « La nature humaine veut qu’il existe des tensions entre les belles-filles et les belles-mères, et qu’en général, la belle-fille ne recherche pas la compagnie de sa belle-mère. » Rabbi Ya’acov Kouli explique ensuite que lorsque des liens chaleureux existent entre elles, ceux-ci ne sont pas forcément révélateurs d’un amour franc, mais qu’ils proviennent, la plupart du temps, de leur intérêt personnel : la belle-mère témoigne en général de l’affection à sa belle-fille par respect pour son fils, et la belle-fille, de son côté, honore sa belle-mère par rapport à son mari, ou bien parce que son beau-père soutient le couple financièrement.
Alors, constat fataliste ou dépassement personnel ?
N’allons pas penser à tort que nous ne pourrons jamais entretenir de liens sincères et affectueux avec notre belle-fille ou notre belle-mère, mais cela exigera de nous un travail constant de nos Middot pour dépasser cette nature humaine. Si ce travail sur soi est difficile pour toute femme banale, et bien il l’a été cent fois plus pour Ruth ! En effet, elle était une fille de roi, qui vécut dans le luxe et l’opulence, possédant de nombreuses servantes disposées à combler les moindres de ses désirs. De telles conditions développent en l’homme des qualités totalement opposées au don de soi, au respect de l’autre et à la soumission !... (Il est également à noter que Ruth portait les gènes des Mo’avim, qui étaient des hommes intrinsèquement ingrats.) Et bien, malgré ce bagage difficile, Ruth parvint à déraciner totalement sa nature Mo’avite, ses habitudes de princesse gâtée et ses tendances naturelles, et grimpa sur l’échelle des Middot pour arriver au sommet et devenir la mère du Machia’h !
Un respect inconditionnel envers sa belle-mère
Ruth connut sa belle-mère Naomi lorsque cette dernière était riche, célèbre et belle. Toutefois, après la mort de son beau-père et de son mari, c’est une autre belle-mère à laquelle elle avait à faire : Naomi se retrouva dans le dénuement le plus total, frappée par la douleur et l’amertume au point que son visage, autrefois si beau, devint triste et morne. La plupart des belles-filles voyant leur belle-mère pauvre, vêtue de haillons et au visage abattu seraient certainement éprises de pitié, mais il est probable qu’il leur serait difficile de lui témoigner le plus grand respect… Cela ne changea rien pour Ruth qui continua à manifester à Naomi un immense respect et beaucoup d’amour. Prenons un exemple : Ruth rapporta une quantité considérable d’épis de blé et d’orge de son premier jour de récolte. Normalement, elle aurait dû présenter fièrement "son butin" à sa belle-mère, toutefois, nous apprenons qu’elle le déposa dans un endroit discret. Pourquoi ? Quel mal y a-t-il ? Et bien, pour Ruth, cela risquait de susciter en Naomi le sentiment désagréable d’être entretenue par sa belle-fille, et cela, elle ne le souhaitait pas !
Mettons-nous un instant dans la peau de Ruth : une convertie, totalement démunie, venant s’installer sur une terre étrangère où elle ne connaît absolument personne. Naturellement, à sa place, nous voudrions certainement soigner notre aspect extérieur, « bien présenter » afin qu’avec le temps nous nous fassions une place dans la société, avoir des amies, et peut-être même un mari… Mais Ruth, elle, fit abstraction totale de cette nature humaine afin de protéger plutôt l’honneur de sa belle-mère et lui éviter de s’humilier face à ses anciennes connaissances en allant ramasser des épis de blé dans les champs à la vue de tous. De son plein gré, elle sortit dans les champs ramasser des épis de blé aux côtés des indigents de la ville...
Une autre preuve de son extrême sensibilité envers sa belle-mère : elle savait que Naomi aurait de la peine de ne pas avoir pu préparer un repas à sa belle-fille qui avait travaillé dur au champ Ainsi, dès que Ruth rentra à la maison, elle raconta à sa belle-mère qu’elle avait déjà mangé dans le champ et qu’elle était amplement repue.
Avoir enfin de jeunes amies…
Ruth connut une longue période d’isolement durant laquelle elle se rendait chaque jour seule dans les champs et rentrait le soir à la maison pour retrouver sa vieille belle-mère. Puis voilà que, sous le conseil de Bo’az, elle fréquente ses jeunes servantes, des filles pudiques venant de familles Froum, ah ! Ruth découvre tout à coup une vie jeune et fraîche, elle se fait de nouvelles amies, des filles d’Israël, elle s’épanouit enfin ! Malgré ces nouvelles connaissances et la vie pétillante des champs, et bien qu’elle ait la possibilité de loger sur place aux côtés de ces jeunes filles, Ruth choisit de retourner chaque jour au domicile de sa vieille belle-mère pour lui procurer une compagnie et veiller sur elle ! Elle se comportait envers elle comme une fille, la couvrait de sa gentillesse et de son affection !
Faire la volonté de sa belle-mère
Lorsqu’on entend "soumission", on pense automatiquement que c’est le patrimoine de gens simples d’esprit et candides, de personnes inexpérimentées. En ce qui concerne Ruth, il faut savoir au contraire qu’elle était très intelligente et réfléchissait beaucoup ! Par exemple, lorsqu’elle allait glaner dans les champs, elle commençait par la fin du champ et finissait à son début, afin de ne pas avoir à transporter, à la fin de la journée, sa botte d’épis jusqu’à l’entrée du champ. De même, lorsque Naomi conseille à Ruth de vêtir sa robe de Chabbath pour se présenter à Bo’az, elle réfléchit et conclut que cela risque d’éveiller des soupçons et décide de prendre ses habits de Chabbath dans un sac et de ne les revêtir qu’une fois arrivée à l’aire.
Donc, Ruth est bien une femme intelligente et perspicace, qui, malgré cela, a su s’effacer pour faire la volonté de sa belle-mère. De quoi s’agit-il ? Naomi tisse pour Ruth le projet de se rendre la nuit, dans l’aire où se trouve Bo’az, seul, pour lui proposer de la prendre en Chiddoukh… Bien que ce plan éveille en Ruth de nombreuses craintes, elle se plie à la volonté de sa belle-mère et se lance les yeux fermés… Et elle avait bien raison de craindre d’agir selon le plan de sa belle-mère ! En effet, lorsque Bo’az l’aperçut dans la pénombre, il crut qu’elle était un esprit et ouvrit sa bouche pour la maudire !... Hachem défendit Ruth qui agissait Léchem Chamayim, et mit dans le cœur de Bo’az de vérifier son identité. Il mit la main sous son foulard pour vérifier si elle avait des cheveux, car les esprits, même féminins, n’ont pas de chevelure… Une autre crainte bien justifiée est que Bo’az faute avec elle. N’allons pas croire que c’était impossible car il était le grand de la génération. Nos Sages nous apprennent que lorsque Bo’az comprit qu’il était seul, avec une jeune femme, belle, libre et pure, il se retrouva face à la même épreuve que Yossef se retrouvant seul avec la femme de Poutifar ! Ainsi, les commentateurs font l’éloge de Ruth, qui, à chaque action qu’elle accomplissait pour réaliser le plan de sa belle-mère, prononçait la phrase « Voici que j’accomplis la volonté de ma belle-mère » !
Lorsque ma belle-mère devient la mère de MON fils…
Ruth a enfin mis au monde un enfant ! Après tant d’années de stérilité, tant de souffrances, après n’avoir plus un seul proche parent, elle peut enfin serrer fort dans les bras son propre fils ! Il est certain qu’elle désirait l’enlacer toute la journée, s’amuser avec lui, ne le partager avec personne ! Mais cette scène angélique n’est pas tout à fait celle qui se réalisa… Ruth se réjouit de partager son fils avec sa belle-mère, à tel point que les voisines s’exclamaient « Un fils est né à Naomi » ! Cela, mais encore, Naomi eut miraculeusement du lait maternel et allaita son petit-fils ! Non seulement c’était elle qui l’allaitait, mais aussi, c’était elle qui lui donna son éducation ! Dans cette situation également, Ruth se conduit avec une extrême noblesse d’âme.
C’est ce travail extraordinaire de don de soi, de soumission, de travail des Middot jusqu’à l’extrême du Bien qui lui valut le titre exceptionnel de « Em Hamalkhout », « la Mère de la Royauté », ainsi que d'avoir une descendance de Tsadikim et de siéger aux côtés de son arrière-petit-fils, le roi Salomon ! Naomi, elle aussi, mérite que nous lui portions toute notre attention, car, dans son rôle de belle-mère, elle aussi était digne de louanges, c’est ce que nous verrons, avec l’aide d’Hachem, la semaine prochaine…