Age : 43 ans
Profession : violoniste
Etat civil : mariée, mère de 6 enfants
Demeure : à Jérusalem depuis 21 ans, quartier Guivat Chaoul depuis 12 ans
Francophone

Rivka, rayonnante, nous reçoit dans son appartement au 4ème étage du quartier de Guivat Chaoul. La vue est imprenable sur les collines de Judée. La demeure est meublée simplement, mais avec beaucoup de goût. Au mur, une très jolie lithographie du Rav Its’hak Besançon, une peinture à l’huile représentant des ‘Hassidim à Ouman, et sur une table basse, une adorable petite lampe de chevet allumée même en plein jour.

S’il fallait peindre Rivka, ce serait à la manière des impressionnistes, en couleurs éclatantes, avec des touches superposées, où joie de vivre, détermination, et sérénité se juxtaposeraient harmonieusement.


TB : Merci Rivka de nous accueillir chez vous. Vous êtes violoniste, mais pas seulement, parlez-nous de votre parcours.

Je suis née à Paris et, à l’âge de 7 ans, nous avons déménagé à Tours. J’ai passé mon enfance dans la musique, car, à Tours, il existe une possibilité dès le primaire de partager sa scolarité entre étude musicale et cursus normal. Cela s’appelle « les horaires ménagés » qui permettent à l’enfant depuis son plus jeune âge de s’initier à la musique parallèlement à sa scolarité.

Vous venez d’une famille de musiciens ?

Non, mais d’artistes. Mon père peignait, jouait la comédie, et écrivait des pièces. Tous mes frères et sœurs jouent d’un instrument. L’art et la culture sont très présents dans la famille : je me souviens que, lors d’un déménagement, mes parents ont donné 1200 livres à une bibliothèque municipale !

Quel niveau de pratique religieuse y avait-il chez vous ?

Aucune, ou presque.

Même Kippour n’était pas marqué ?

Pas toujours… mais l’identité était très juive.

Comment expliquez-vous ce décalage ?

Il y avait à la fois une grande fierté et une grande douleur attachée au mot « juif ». Mon père a perdu des grands-parents dans la Shoah, et il avait très peur de toutes manifestations de judaïsme. J’ai encore le document d’arrestation de mon grand-père à Drancy, où la Kommandatur lui ordonne de se présenter tel jour telle heure à un rassemblement. Il y a 3 pages de sanctions et de décrets contre les juifs.

Avec ça, mon père nous disait toujours, enfants : « Si quelqu’un vous dit quelque chose concernant votre judéité, répondez-lui qu’à l’époque où ses ancêtres frappaient des silex, les nôtres écrivaient des symphonies… ».

Je me souviens que je voulais absolument porter une étoile de David. Pour mon père, c’était exclu. Devant mes insistances, il a fini par céder et m’a offert une étoile minuscule. Je la portais au cou. Et en fait, elle réveillait la curiosité, car il fallait s’approcher pour voir ce que ce médaillon représentait. De trop de discrétion, tout le monde essayait en fait de deviner ce que c’était.

Un camarade de classe, en comprenant que c’était une étoile de David, a pu me demander : « Quoi, t’es juive ? Je croyais qu’il n’y en avait plus… ».

Quel a été le déclic de votre rapprochement à la pratique du judaïsme ?

Une famille géniale dont les filles étaient mes amies. Un jour, à la récréation, elles m’ont dit : « Rivka, c’est pas possible. T’es juive et tu fais rien ! » Elles m’ont invitée chez elles le Chabbath suivant, et j’ai halluciné : le repas en famille, les bougies, les chants tous ensemble, les ‘Hallot dorées… J’ai téléphoné à mes parents (d’une pièce à côté) en m’écriant bouleversée : « Vous vous rendez pas compte !! Ils chantent, ils font Chabbath, on me l’a jamais dit que Chabbath c’est comme ça ! »

Ce même Chabbath magique, je suis allée à la synagogue où j’ai entendu chanter “Lékha Dodi”. Mes lèvres se sont ouvertes toutes seules : je connaissais ce chant par cœur. Il faisait écho à un souvenir d’enfance très fort : mon grand-père qui mettait les Téfilines le Chabbath (eh oui !), m’asseyait sur le lit en face de lui et l’entonnait. Ma grand-mère me disait : « Regarde bien ce que fait ton grand père... ». Ces images et cet air sont restés gravés en moi pour la vie.

Revenons au violon : vous enseignez, mais vous avez également votre ensemble et vous vous produisez.

Je travaille en donnant des cours privés chez moi. Parmi mes élèves, j’ai beaucoup d’enfants de ‘Hassidim, Belz, Gour, Boyan. Bien sûr, je fais très attention à ce que je dis et je respecte complètement leurs codes, mais je peux vous dire que ce qu’elles aiment c’est quand je suis moi-même, française, Ba’alat Téchouva, musicienne. C’est comme si je leur ouvrais une fenêtre sur un autre monde, le mien.

J’enseigne également au conservatoire d’Avivim, qui est l’un des seuls conservatoires en Israël à se donner comme règle un haut niveau musical allié à un haut niveau religieux. Le but du conservatoire : faire découvrir le monde de la musique (classique, jazz, Nigounim etc.) à un public qui ne le connaît pas. Ce conservatoire a une autre particularité : il possède un orchestre professionnel uniquement de femmes, comportant 30 musiciennes. On répète ensemble des pièces de compositeurs très variés, puis on part en tournée dans tout le pays, d’Ashdod à Kiryat Chemona.

Le public religieux est réceptif ?

Très. Je peux vous dire qu’on fait salle comble à Kiryat Sefer (petite localité entre Bné Brak et Jérusalem à population orthodoxe).

Des Ba’alé Téchouva ?

Pas seulement. Il y a de tout. Vieux, jeunes. Le public est grand amateur de musique et la salle est bondée. Le prix de l’entrée est subventionné, et donc à portée de tous.

En-dehors de cet orchestre, vous avez également fondé votre propre ensemble.

Oui. Un quatuor qui s’appelle « Jerusalem Ladies Quartet ».

Il a la particularité de jouer des œuvres de femmes compositeurs religieuses, comme nous.

Tout un programme...

Vraiment. Comme nous sommes toutes des femmes pratiquantes, les répétitions sont parfois un peu bousculées… (rires) Parfois, l’une accouche, l’autre est en congé maternité, mais au bout du compte, c’est merveilleux de jouer ensemble.

Initiez-vous vos enfants au violon ?

Pas du tout. J’ai tellement joué au violon quand ils étaient petits que je crois qu’ils ne peuvent plus le supporter… (rires) Avec l’alto, ça passe mieux. Mais je n’ai rien imposé quant à la musique, peut-être que je suis une mauvaise mère… (rires) Mais ils sont tous doués dans quelque chose d’autre.

Et si ça doit venir, ça viendra. Ma belle-mère a une très belle phrase : « Finalement, la vie est longue ». On peut tout commencer à n’importe quel moment.

Il y a 25 ans, la grande mode dans les études c’était l’informatique, le graphisme et la biologie. Quand on me demandait ce que je faisais comme étude et que je répondais : « du violon », on me répondait : « Mais c’est pas un métier ça ! ».

Eh bien, aujourd’hui, aucune de mes amies ne travaille dans la branche qu’elle a étudiée, et moi, en revanche, j’ai suivi mon rêve, je joue et enseigne le violon !

Beaucoup d’artistes reviennent au judaïsme par Breslev (comédien, musiciens peintres, chanteurs). Qu’y a-t-il dans la ‘Hassidout Breslev qui les attire autant ?

Rabbi Na’hman nous enseigne qu’il faut créer un lien personnel avec Hachem.

En fait, on se rend compte que, même dans des milieux très religieux, on a tendance à travailler beaucoup sur la « technique » : l’étude, la prière, etc. Mais où est Hachem dans tout ça ? Quand est-ce que tu Lui as parlé la dernière fois ?

Les artistes, dans leur essence, sont « connectés ». Connectés à leur art, à la musique, à la peinture. Cela trouve parfaitement sa place avec Breslev, où la connexion avec D.ieu est essentielle. Chez Breslev, on insiste sur sa particularité, son étincelle, son soi, et les artistes, intuitivement, travaillent sur ça sans cesse. Ils développent leur singularité.

Les plus grands violonistes - Menuhin, Gitlis, Oïstrakh - sont juifs, ce n’est certainement pas un hasard...

Il y a à l’intérieur du violon une petite cheville de bois qui relie le ventre et le dos du violon. Ce bout de bois, qui est responsable du passage du son, dans toutes les langues du monde s’appelle ”l’âme” du violon. Si elle bouge d’un dixième de millimètre, le violon ne sonne plus.

Cette âme est-elle reliée à l’âme juive ? En tout cas, de grands Admourim jouaient du violon et y trouvaient une expression spirituelle intense.

En parlant d’âme, il y a quelque chose de très intéressant quand on enseigne le violon : il faut beaucoup d’écoute et de persévérance pour maîtriser cet instrument, et je peux vous dire qu’en voyant mes élèves jouer, je peux savoir quel genre de femme, d’épouse elles seront. Leur rapport à l’instrument reflète vraiment leur âme.

Je perçois donc assez vite les jeunes filles pour lesquelles la préparation au mariage sera facile. Elles sont d’une grande souplesse et acceptent tout : je leur demande de répéter 20 fois un exercice, elles le font avec joie et persévérance. D’autres sont moins réceptives : je demande quelque chose et elles tournent la tête ailleurs, rechignent. L’apprentissage du violon est le miroir de notre nature.

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Rendez-vous le mois prochain avec Rivka pour la deuxième partie de l'entretien : "Une Balanite française à Jérusalem".