« Désolé, vous ne pourrez jamais avoir d’enfant. » Ces mots résonnaient avec une cruauté retentissante dans mes oreilles. Cela faisait 10 ans que nous étions mariés, 10 ans que nous sommes passés de spécialiste en spécialiste. Nous nous sommes infligés tous les traitements qui existent, avons voyagé dans beaucoup de pays étrangers qui paraissaient détenir le remède miracle. Et nous voilà 10 ans plus tard, retour à la case départ.
Je voulais tellement avoir un fils qui aurait la gentillesse de son père, une fille avec qui je partagerais ma passion de cuisiner. Je ne voulais plus de cette maison ordonnée à toute heure de la journée, j’étais prête à dormir moins, à troquer mes séances théâtre contre des après-midis au jardin public, je ne voulais qu’une chose : décrocher mes peintures de Picasso dans le salon pour y accrocher des dessins « gribouillis » de mon enfant. Mon enfant ! Je voulais avoir mon enfant !
C’était décidé. Si mon corps semblait s’opposer à me permettre de porter la vie, j’aurais recours à un autre moyen. Je ferai grandir et j’inonderai d’amour un petit être à qui quelqu’un d’autre a donné la vie. J’adopterai. Après tout, quand on y réfléchit, Moïse, le défenseur du peuple juif, a été adopté par Bitiah, la fille du Pharaon, et Esther, la reine Esther, a elle aussi été adoptée par son oncle Mordékhaï. Donc, moi aussi j’adopterai.
Certes, ce n’est pas comme ça que nous avions imaginé fonder notre famille, mais, au fil de la procédure, nous nous sommes rendus compte combien cette « grossesse imaginaire » était en train de nous construire.
Durant les mois qui précédent un accouchement traditionnel, les parents se sentent devenir parents par des évidences physiques, des rappels hormonaux, par des images concrètes que renvoient les échographies. Ils voient le bébé bouger (la maman le sent elle), ils entendent son cœur battre, ils suivent son développement étape par étape grâce aux examens médicaux.
Durant les mois qui précédent une adoption, la construction du foyer se fait de façon totalement différente. Rien ne change dans la routine du couple, rien ne change dans le corps de la maman, cette grossesse peut être cachée si tel est le souhait des futurs parents. Le monde extérieur n’est aucunement au courant du changement qui se prépare au sein de la cellule familiale. Puis, les procédures commencent, elles sont longues, elles sont pénibles, elles sont bien souvent décevantes. Pendant de longs mois, le couple espère, et dès qu’il touche le bonheur du bout des doigts, il lui est souvent retiré. Les parents en devenir doivent s’accrocher, travailler leur patience, ils doivent être là l’un pour l’autre, ils doivent montrer qu’ils sont exemplaires à des autorités qui les jugent, à des autorités qui décideront s’ils sont aptes ou non à « recevoir un enfant ».
Même si ce chemin parait difficile, il n’en est pas moins indispensable. En effet, au fil de ces mois, votre désir de porter votre enfant dans les bras va s’accroître, tout comme votre sentiment d’amour envers lui. Lorsque vous vous rencontrerez, il ne sera pas l’enfant d’un autre que vous récupérerez, il sera votre enfant pour lequel vous avez tant prié, votre enfant que vous avez ramené à la maison à force de batailles et de persévérance. Les gestes d’une maman vous viendront d’une façon très naturelle, il n’y aura pas d’appréhension, de peur de l’inconnu, cet enfant sera votre enfant le plus simplement du monde. Ce moment sera chargé d’une émotion semblable à celle d’une naissance classique. Vous l’avez imaginé tant de fois, et, aujourd’hui, vous le vivez, vous rencontrez votre enfant, vous lui murmurez dans le creux de ses douces oreilles que la vie sera parfaite à présent, que son arrivée dans votre foyer vous comble de bonheur, que vous lui apprendrez à être gentil comme papa et gourmande comme maman. C’est bien plus qu’un rêve qui se réalise, c’est connaître la perfection d’un instant où chaque vide intérieur se comble instantanément, où chaque larme se sèche, chaque souffle apaise, on se sent invincibles, on se sent flotter au-dessus du monde, on n’appartient plus à cette réalité, on devient parent, et, à partir de ce jour, on appartient à son enfant.
Beaucoup de couples n’évaluent pas l’option d’adoption avec le sérieux qu’elle mérite. Ses procédures longues et pénibles en dissuadent plus d’un, mais seuls ceux qui ont été au bout de ces milliers de formulaires à remplir sauront que tout ça en vaut la peine. Au bout de ce chemin tortueux et fatiguant, se trouve un bonheur incommensurable, la vie.