Parfois, on dirait que nos enfants sont des petits lutins uniquement intéressés par la consommation. Ils consomment notre nourriture, notre temps, notre argent, notre énergie, et la plupart de nos ressources précieuses sans remarquer qu’ils nous ont laissés les mains vides. Comment parvenir à leur faire articuler un misérable « Merci » ? Mieux encore : comment agir pour qu’ils se sentent reconnaissants ?
Jeffrey Froh, professeur à l’université de Hofstra, a mené une étude sur la manière d’augmenter la gratitude et la conduite désintéressée chez les collégiens et lycéens. Il s’est reposé, pour cette étude, sur le travail de Robert Emmons, de l’université de Californie. Emmons demandait à ses étudiants d’écrire chaque jour un journal de gratitude. Ils énuméraient les éléments et les événements appréciés dans leur vie : de nombreuses choses qui, avant l’écriture de ce journal, n’auraient pas été remarquées.
En dépit de sa simplicité, l’étude d’Emmons a été un succès. La plupart des étudiants ont fait part d’une augmentation de leur bonheur et de leurs sentiments de gratitude.
Mais lorsque Froh a reconduit cette étude avec des adolescents, il a trouvé que les résultats étaient bien moins satisfaisants. Les ados n’ont, semble-t-il, pas amélioré leur aptitude à apprécier ce qu’ils ont, et leur sentiment de bonheur n’a pas nécessairement augmenté.
Bien que frustré par les résultats, l’étude a tout de même fait la lumière sur les domaines du développement de l’enfant et de l’adolescent.
P. Bronson dans l’article Why Counting Blessings Is So Hard for Teenagers commente :
Les parents et enseignants doivent savoir qu’être reconnaissant et être un adolescent sont souvent deux états diamétralement opposés. Être un adolescent - au sens classique du terme - c’est l’expression d’un désir fondamental de prendre son indépendance par rapport à sa famille. Ce n’est pas une conduite néfaste, c’est tout à fait normal. Ils deviendront bientôt des adultes indépendants, et ils doivent se tester. Repousser les parents, vouloir les écarter de tout, et afficher une ignorance totale de tout ce que vous avez fait pour eux, sont toutes des conduites qui évoquent l’indépendance. Leur demander d’être reconnaissant - et espérer qu’ils soient plus conscients que leur réussite vous est due - est difficile pour eux à ressentir en même temps qu’ils essaient de se défaire de vous. De ce fait, les adolescents reconnaissants sont rares, et ils ne font pas partie de la norme.
Dans son ouvrage, Nurture Shock, il déclare encore :
Pour les enfants possédant un besoin fort d’autonomie et d’indépendance, il peut s’avérer démoralisant de reconnaître à quel point ils sont dépendants des adultes. Ils ressentent peut-être que les adultes tirent les ficelles dans leur vie : ils contrôlent leur alimentation, leurs études, les vêtements qu’ils peuvent porter, et leurs fréquentations. Ils préfèrent se sentir autonomes plutôt que redevables. Leur sens de l’indépendance est peut-être une illusion, mais c’est une illusion nécessaire pour l’équilibre psychologique et la croissance future vers une indépendance authentique. Leur manque de gratitude est peut-être le moyen de maintenir l’illusion qu’ils contrôlent leur propre existence.
Froh pense que c’est peut-être la clé de l’échec de son étude. Son intervention a conduit ces enfants à réaliser à quel point leur vie dépendait des fantaisies ou du sacrifice de quelqu’un d’autre. Ils n’étaient pas satisfaits que d’autres agissent pour eux. Au contraire, cela leur donnait un sentiment d’impuissance.
Mais tout espoir n’est pas perdu. Vous pouvez enseigner à vos enfants comment être reconnaissant. Michaël C. Bradley, dans son ouvrage, Yes, your teen is crazy, assure aux parents que vos principes moraux, vos valeurs et votre éthique font partie intégrante de l’équilibre psychologique de votre enfant. Si vous avez transmis de bonnes valeurs à vos enfants, elles l’accompagneront toute sa vie. Pendant l’adolescence, il se peut qu’ils aient mis (vos valeurs) en « chambre froide »… mais elles sont là et elles réapparaitront en temps voulu.
Pour enseigner à nos enfants la valeur de la gratitude, nous devons simplement (mais peut-être pas si facilement) nous assurer que nous suscitons cette bonne conduite.
Les enfants doivent voir que nous sommes reconnaissants de ce que nous possédons. A savoir : ne nous précipitons pas pour acheter le portefeuille le plus à la mode, ou le gadget électronique dernier cri. Qu’ils vous voient remercier le postier, le vendeur du magasin et vos amis.
Dites-leur : « Je suis si reconnaissant de t’avoir dans ma vie. » Si c’est trop kitsch, vous pouvez dire (lorsqu’ils reviennent à la maison après l’école) : « ça fait plaisir de te voir ! ».
Qu’ils vous voient vous remercier entre époux. Remerciez votre conjoint pour avoir préparé le dîner, pour avoir sorti la poubelle, pour avoir débouché un drain, ou pour avoir téléphoné à tante Esther, tâche que vous ne vouliez absolument pas réaliser.
Ne vous plaignez pas de tout ce que vous n’avez pas.
Ecrivez un journal de gratitude et mettez vos enfants dans la confidence, de manière non conflictuelle et sympathique.
Admirez la beauté autour de vous, partagez-la avec vos enfants. Les couchers du soleil, le soleil brillant sur la neige, des bébés rieurs et des arbres en fleurs…
Comprendre le développement de l’enfant / de l’ado et leurs limites nous donne un aperçu de leur conduite frustrante, mais nécessaire. Etre reconnaissant pour ce que nous avons est l’un des secrets d’une vie réussie. Créer la gratitude en nous va améliorer notre vie de famille et donner à nos enfants les éléments dont ils ont besoin pour développer leur propre bonheur.
Adina Soclof