Lorsque Moché vient à la rencontre des enfants d’Israël en Égypte, ils sont après des années de servitude, des années durant lesquelles leurs actions ne leur appartiennent plus, des années durant lesquelles les mots liberté, avenir, projet, choix, ne font plus partie de leur vocabulaire. Ils n’ont pas la capacité d’appréhender ce que Moché Rabbénou vient leur annoncer : la délivrance physique, la délivrance morale, et le fait qu’ils seront bientôt les acteurs du projet Divin d’amener la Torah dans le monde.
Il y a là un éloignement dû à l’ignorance et à la méconnaissance du projet ; mais il y a aussi leur incapacité à croire que ce bonheur sublime est le leur, tant il leur est étranger.
Comment Hachem va-t-Il les conduire à la (re)connaissance du projet qui est le leur, alors qu’ils n’aperçoivent aucune lumière au bout du tunnel ?
Nous pourrions reprendre cette description pour tous ceux qui sont éloignés de leur vocation essentielle, éloignés de ce pourquoi Hachem les a emmenés dans ce monde et les a dotés des qualités et des qualificatifs dont ils sont gratifiés.
Il arrive qu’un homme méconnaisse le projet qui l’attend, méconnaisse le bonheur et la plénitude qui pourraient être les siens.
Ce pourrait être la description de ceux qui, parce qu’ils sont attachés à certaines mauvaises habitudes, ne peuvent pleinement se réaliser. C’est encore la description de ceux qui, souffrant d’un trouble psychique, ne peuvent pas toucher la réalisation et le bonheur qui leur reviennent.
A. est un père de famille qui assume. Il assume son travail dans une société de Hi-Tech, il est présent dans sa communauté, assiste quotidiennement à un cours de Torah. Il répond présent lorsque son épouse l’implique dans le fonctionnement de la maison. Mais aussi, A. évite. Il évite les conversations avec ses enfants, d’ailleurs que pourrait-il leur dire ? Il évite de se trouver seul avec eux, de leur parler de lui ou de leur parler de ce qui leur importe. Dès qu’il est en voiture avec eux, il trouve toujours un appel à faire à un collègue ou autre qui durera le temps du trajet. C’est une souffrance. Mais souffre-t-il encore tant il est habitué à cette situation ? Il n’imagine pas les choses autrement.
Le Sefat Emet (Parachat Bo, 5648) explique comment est-ce que Hachem va emmener les Bné Israël à leur but.
Ce qui vient au départ, ce n’est pas la compréhension du projet, et par conséquent ce n’est pas non plus, l’acceptation du projet.
Ce que Hachem demande au départ aux enfants d’Israël, c’est une main tendue hors des limites.
Une main que les enfants d’Israël tendent pour se saisir du Korban Pessa'h.
Une première action, qu’elle soit la plus innocente possible, pour qu’elle nous place hors des limites que l’on s’est imposées malgré nous et qui nous aliènent.
C’est un acte imparfait, dit le Sfat Émet ! C’est un acte auquel il manque l’intention et la conviction. C’est un Le’hèm ‘Oni, un pain pauvre, un pain inaccompli : parce qu’il lui manque la saveur et la richesse de l’acte habité d’une pleine compréhension.
Une main tendue hors des limites : un acte incomplet que l’on arrache aux habitudes, aux années d’ignorance, pour faire un pied de nez à l’aliénation et à la méconnaissance. Une brèche dans la forteresse de souffrance et d’éloignement. Une brèche par laquelle on va ensuite laisser passer un peu de lumière, de compréhension, mais cela ne vient qu’après.
Il en faut du courage et de l’abnégation pour « jeter » ce premier acte. Mais il ne faut pas plus que de le réaliser, sans attente aucune, sans intention non plus, pour déjà avoir la première pierre de la reconstruction. Même si le travail est encore long après, il y a ce premier noyau.
Un premier sourire lorsque sa jeune fille lui montrera un dessin. Ou une question lancée à son fils lorsqu’il entre dans la voiture en rentrant de l’école. Ou même, sans rien faire, s’assoir regarder les enfants jouer. L’évolution de A. demandera de la réflexion et du travail. Mais cet acte « pour de faux » est pourtant d’une valeur inestimable.
Un premier acte, une brèche, pour enfin percevoir autre chose, une autre façon, pour retrouver un goût oublié, pour envisager ce que l’on avait banni, et qui enfin est ramené au seuil de notre conscience pour, avec l’aide d’Hachem, commencer un chemin vers la plénitude et la réalisation.