J’ai reçu récemment la lettre d’une jeune femme célibataire rentrée, au terme de ses études, chez ses parents qui vivent dans une petite localité, dans le but d’aider son père souffrant dans l’affaire de famille. Elle décrit les difficultés de rencontrer de jeunes célibataires juifs dans une si petite communauté. Quelques mois auparavant, une voisine a invité son neveu, un jeune homme d’affaires brillant de New York, pour la rencontrer. Ils s’apprécient beaucoup, mais elle se pose néanmoins des questions sérieuses : lui et sa famille sont très assimilés, tandis qu’elle est issue d’un foyer respectueux de la tradition. Le jeune homme accepta, après leur mariage, d’honorer son souhait d’avoir un foyer Cachère, mais il refuse de renoncer à manger dans des restaurants de fruits de mer, en particulier son plat préféré, les crevettes. Il lui a également donné son avis sur les lois de Cacheroute, estimant qu’elles ne sont plus valides et a avancé toutes sortes d’arguments pour prouver son raisonnement. La jeune femme m’a demandé d’écrire à ce sujet pour l’inspirer à abandonner ses habitudes et à respecter les lois de Cacheroute. Elle m’a également demandé si ce conflit religieux justifiait leur rupture et si elle avait le droit de déménager et de quitter l’affaire familiale.
Voici ma réponse :
Ma chère amie,
Le problème de l’entreprise familiale est facile : il faut faire appel à d’autres personnes ou l’affaire peut être vendue. Si vous vous mariez, votre responsabilité première est envers votre mari et vos parents seront certainement d’accord, mais la Cacheroute est un tout autre problème.
Depuis plus de quarante ans, j’ai eu le privilège d’œuvrer dans le Kirouv (rapprochement des juifs au judaïsme) par le biais de notre organisme Hinéni. Invariablement, j’ai relevé que pour un grand nombre de nos frères assimilés, l’un des plus grands obstacles à franchir est le respect des lois de Cacheroute. Manger dans notre société est devenu un mode de vie. Les restaurants fréquentés sont étroitement liés à leur entreprise et leur vie sociale. Les plats qu’ils mangent sont addictifs, et ils ne peuvent s’imaginer y renoncer. Ils tiennent donc le raisonnement qu’ils peuvent être de bons Juifs tout en se permettant de manger leurs plats non-Cachères favoris. « Le Cachère », invoquent-ils, « est synonyme de propreté, et l’hygiène moderne a rendu ces lois primitives obsolètes. »
Attribuer nos commandements à l’hygiène est le signe d’une ignorance colossale du judaïsme. La Cacheroute ne connote ni la propreté, ni la bonne santé. En réalité, nous n’avons pas de motifs irrévocables justifiant nos commandements, si ce n’est un seul : D.ieu nous les a prescrits pour que nous devenions Son peuple sacré et soyons fidèles au pacte conclu au Sinaï, et c’est une raison bien suffisante.
Il est vrai que nous avons un texte, le Ta'amé Hamitsvot - la raison des commandements, mais le terme "Ta'am" signifie plutôt "goût" que "raison". Dans cet ouvrage, nos Sages nous expliquent les bénéfices accrus lorsque nous observons les commandements, pour que nous développions un goût pour eux et en venions à les aimer. Cela ressemble à une maman qui cajole son jeune enfant pour qu’il mange. « C’est bon, c’est délicieux », lui dit-elle. Mais de toute évidence, ce n’est pas parce que les aliments ont bon goût que la maman veut faire manger son enfant. Elle veut qu’il ait une bonne nutrition requise pour sa croissance et sa maturité. Mais si elle disait à son petit : « Mange, c’est tout plein de vitamines », ce ne serait pas une motivation. De même, quelqu’un qui est un « jeune enfant » en termes de connaissances du judaïsme, ne peut comprendre le bonheur de faire partie d’un royaume de prêtres et d’un peuple saint qui a scellé une alliance avec D.ieu au Sinaï… pour cela, il faut une éducation de Torah.
Vous serez peut-être choquée par ce que je vais dire, mais le conflit qui vous sépare du jeune homme n’est pas religieux. Le judaïsme n’est pas une religion. C’est une manière de vivre. Nos Mitsvot ne sont pas des traditions antiques, mais plutôt le tissu à partir de laquelle notre alliance a été tissée : une alliance scellée dans l’amour, le feu, le sang et le sacrifice… une alliance éternelle entre nous et D.ieu. Vous voyez, ma chère amie, qu’il ne s’agit pas d’un conflit religieux qui vous sépare, mais notre mode de vie prescrit par D.ieu, et rompre ceci aura non seulement un impact sur vous, mais également sur vos enfants et petits-enfants. Si votre mari se moque de ces lois, qu’est-ce qui l’empêchera un jour d’emmener vos enfants dans son restaurant préféré pour leur faire goûter son plat préféré de crevettes ? Quel Chalom Bayit (entente conjugale) pouvez-vous anticiper dans un tel mariage ?
En conséquence, voici ce que je vous suggère : avant de vous engager au mariage, demandez à votre ami de s’inscrire à un programme d’étude de la Torah, et comme il vit à New York, il trouvera un grand choix de programmes à sa disposition. L’idée est qu’il passe du stade de méconnaissance du judaïsme et devienne un Juif mûr et doté de connaissances en Torah, qui est capable de transmettre un héritage. Même s’il s’engage à étudier une fois par semaine, il est déjà sur la voie, car l’âme d’un Juif qui étudie la Torah s’ouvre à ce moment au Sinaï où D.ieu a pris la parole… et tout se met en place (lorsque je dis étude de la Torah, je ne vise pas des discussions sur la Torah, mais une étude authentique et directe).
Permettez-vous de vous relater deux anecdotes personnelles sur la Cacheroute.
Cacheroute à Bergen Belsen
Lorsque j’étais enfant, j’étais incarcérée au camp de concentration de Bergen Belsen. Chaque matin, nous recevions une maigre ration de pain sec et un liquide boueux qu’ils nommaient café. Plus tard dans la journée, ils nous servaient quelque chose d’immangeable, une soi-disant soupe. Elle était faite de produits végétaux bruts qui servaient d’ordinaire au fourrage des animaux. Mais rapidement, comme la famine s’aggravait, ce liquide putride devint un plat gourmet à nos yeux.
Un jour, on nous informa de l’inspection de responsables de la Croix Rouge internationale. Connus pour être des antisémites notoires, indifférents à notre souffrance, nos maîtres allemands souhaitaient néanmoins les impressionner ; pour leur prouver à quel point ils nous nourrissaient bien, ils apportèrent des barriques d’escargots cuits. En lisant cette histoire, vous pensez peut-être « Qu’est-ce que c’est dégoûtant ! Qui peut bien manger des escargots ? » Mais réfléchissez. En quoi les escargots sont-ils différents des homards ou crevettes qui mettent en appétit tant de monde aujourd’hui ? En réalité, en France, les escargots sont considérés comme un plat gourmet. Et n’oubliez pas, nous mourions de faim, et toute chose à peine mangeable nous paraissait bonne. Mais néanmoins, personne dans notre camp ne toucha à ces escargots.
Souvenirs de mon mari
Mon mari bien-aimé, de mémoire bénie, Rabbi Méchoulem Halévi Jungreis zatsal était un homme de grande taille, costaud et élégant. Avant l’occupation nazie de la Hongrie, il avait été déporté, comme de nombreux autres jeunes Juifs, dans des camps de travaux forcés où il fut contraint de s’atteler à un travail éreintant. La Gestapo hongroise tenta de le forcer à manger du porc et autres aliments non-Cachères pour qu’il ait les forces de travailler dans les mines et porter de lourdes charges du haut des montagnes. Mon mari n’a jamais touché cette nourriture Tref, mais ne subsistait que sur sa maigre ration quotidienne de pain. Il a maintenu ce même régime lorsque plus tard, il fut transporté dans un camp de concentration par les Nazis : il n’aurait transgressé les lois de Cacheroute dans aucun cas. Après la guerre, il ressemblait plus à un squelette ambulant qu’à un être humain, mais la spiritualité qui émanait de lui faisait de lui une présence imposante. Cette spiritualité l’a distingué toute sa vie, et toute personne entrée à son contact, jeune ou vieux, Juif ou non, était touché : ce n’est pas une coïncidence si tous ceux qui le connaissaient le nommaient affectueusement : « Le géant délicat ».
Toute personne qui lit ces histoires doit réfléchir à l’ironie douloureuse de Juifs vivant dans une société où existe une multiplicité de choix de nourriture Cachère des plus délicieuses, et qui choisissent néanmoins de la nourriture Tref. Qu’est-ce que cela indique sur l’engagement des Juifs de notre génération ? Si les Juifs des camps de concentration étaient prêts à accepter le pain rassis plutôt que de toucher à ce que D.ieu interdit, alors quelle excuse peut avancer un individu vivant dans l’Amérique contemporaine ?
Dans le Livre de la Genèse (25), nous voyons Essav revenir de la chasse et voir son frère Ya'acov cuire un plat des lentilles. Il lui demande : « Donne-moi de ce plat rouge. »
Et en échange de ce plat de lentilles, Essav vendit son droit d’aînesse.
Le défi que vous devez poser à votre ami est le suivant : "Es-tu prêt à vendre ton droit d’aînesse - les commandements de D.ieu, pour un plat de lentilles - pour ce homard, ces crevettes ? Cela vaut-il la peine ?"