La survie spirituelle de la communauté juive de Russie est un remarquable miracle qui doit tous nous laisser sans voix. Non seulement des générations de dictature communiste ont éliminé le judaïsme, mais même auparavant, l’armée du Tsar kidnappait et enrôlait les jeunes garçons juifs ; l’armée les gardait pendant 26 ans, les torturait et les forçait à se convertir au christianisme. Le fait même que ces conscrits aient survécu est un miracle en soi.
On raconte une histoire sur un Minyan de Yom Kippour composé de ces Juifs estropiés et torturés qui reflète l’esprit indomptable de notre peuple. Un certain Yom Kippour, ces Juifs avaient organisé un Minyan à côté de St Petersburg. Un éminent rabbin en visite les rejoignit et il y eut une discussion pour savoir qui dirigerait l’office. Les conscrits exprimèrent leur appréciation et leur gratitude au Rav, mais ils avaient le sentiment que l’un des leurs, qui avait terriblement souffert et subi les tortures les plus cruelles dans le but de rester juif, devait conduire l’office. Le Rav accepta volontiers, en disant : « La sainteté d’un homme qui marche dans les flammes pour Hachem est incomparable. »
Le conscrit avança d’un pas boiteux vers la Bima (estrade), mais, avant de commencer à prier, il s’adressa à ses amis conscrits en ces termes : « Nous commençons Né'ila (la prière de clôture) - la prière la plus sacrée de toutes, le moment où nos frères implorent D.ieu pour la vie, les enfants et la Parnassa. Or, nous, conscrits de l’armée du tsar, n’avons pas les mêmes requêtes. Nous ne prierons pas pour avoir des enfants - nous sommes brisés et émaciés et ne pouvons plus en avoir ; nous ne prierons pas pour la vie, car notre existence est douloureuse, et nous aspirons au jour où D.ieu nous ramènera vers Lui - alors il n’y a rien que Toi, D.ieu, puisse nous offrir. Au lieu de cela, nous aimerions, D.ieu tout-Puissant, T’offrir un présent par nos prières… », et d’une voix poignante, il s’écria : « Yitgadal, Véyitkadach Chemé Rabba… Que Ton Saint Nom soit magnifié et sanctifié, ô D.ieu… Puisse la Yiddishkeit (judaïsme authentique) triompher, puisse la Torah triompher, puisse le peuple juif triompher dans la gloire et l’honneur. Que Ton Nom, ô D.ieu, soit magnifié et sanctifié dans le monde. »
C’est ce genre d’état d’esprit indomptable qui a permis aux Juifs de Russie de survivre envers et contre tout, et je me sens privilégiée de m’adresser aux membres de cette communauté juive.
Nous nous rendrons d’abord en Russie et en Ukraine, puis vers notre destination ultime, Erets Israël. Dans le cadre de mes préparatifs pour mon voyage en Russie, on m’a suggéré de me faire vacciner contre l’hépatite et le tétanos. J’acceptai à contrecœur, et je choisis de me rendre chez le pédiatre de mes petits-enfants, un ami de longue date. Une infirmière sur place est chargée des vaccins. Alors que l’infirmière me faisait les injections, je fis remarquer : « Vous devez entendre sans cesse des pleurs. » Elle haussa les épaules et répondit : « C’est vrai, mais au bout d’un temps, vous ne les entendez plus vraiment, vous vous y habituez. »
Ses propos me firent réfléchir, j’étais peut-être venue au cabinet du pédiatre uniquement pour les entendre. De Russie, notre groupe se mettra en route pour sa destination finale, Erets Israël. Ne devenons pas indifférents aux cris de nos frères en Erets Israël, où les massacres continuent à un rythme soutenu. Une tragédie est suivie par une autre, le cauchemar dépasse notre entendement. Nous lisons les nouvelles, en entendons parler, voyons des photographies, mais ne pouvons réellement saisir cette réalité. Nous ne pouvons véritablement appréhender ce que nos frères ressentent. Au minimum, prenons quelques instants chaque jour pour nous focaliser sur notre peuple en détresse, prier, verser une larme pour eux et compatir.
Il y a de nombreuses années, lorsque j’étais une jeune Rabbanite, je commençai à évoquer pour la première fois la Shoah en public. Je découvris rapidement que le chiffre de 6 millions est insaisissable - ce nombre dépasse l’entendement de l’assistance. Mais lorsque vous racontez l’histoire d’une seule famille, d’un enfant, d’un père, d’une mère, les yeux s’emplissent de larmes et les sentiments se réveillent.
Il nous est interdit d’afficher une indifférence pour la douleur de notre peuple. Nous ne pouvons faire comme si de rien n’était alors que des Juifs sont tués, des enfants deviennent orphelins, des parents enterrent leurs enfants et qu’un grand nombre de blessés sont mutilés à vie et portent pour toujours des cicatrices sur leur corps et leur âme. Le minimum que nous puissions faire, c’est d’entendre leurs cris.