Mes enfants ont grandi dans un environnement totalement laïc. Ils étaient les seuls à respecter le Chabbath et à aller à la Yéchiva. Mes garçons étaient les seuls à porter des Kipot, et mes filles, les seules à porter des habits pudiques, comme le prescrit notre Torah.
Mais ils étaient pourtant amis avec les enfants du quartier qui se joignaient à notre table du Chabbath. Au lieu que ces enfants influencent nos fils et filles, nos enfants savaient qu’ils devaient les influencer eux. Tout récemment, j’ai pris la parole dans une synagogue orthodoxe dans laquelle l’un de ces « garçons » est très actif et membre du comité. Grâce à D.ieu, il est parfaitement Chomer Chabbath, tout comme ses enfants qui sont tous des élèves de Yéchiva, et tout commença par une amitié qui le lia à mon fils.
Aujourd’hui, néanmoins, une telle situation est plutôt rare. De nos jours, les parents religieux craignent que leurs enfants se lient d’amitié à des enfants non-religieux, de peur que leurs amis laïcs les influencent et les fassent dévier du droit chemin.
Alors comment ai-je réussi ?
Dès leur plus jeune âge, j’ai chargé mes fils et filles d’une mission. Ils devaient faire tout ce qui était en leur pouvoir pour Mékarev, tendre la main à leurs frères laïcs. Mon fils avait quatre ans lorsqu’il devint ami du fils de quatre ans de nos voisins. Ils jouaient ensemble régulièrement. Un jour, mon fils me dit : « Ima, pourrais-tu enseigner à la gouvernante de … comment allumer les bougies de Chabbath ? Sa maman ne veut pas. »
Lorsque je lui expliquai que ça ne pourrait pas marcher, mon petit garçon ne renonça pas. Etape suivante : son ami mit une Kippa, et, plus tard, le suivit à la Yéchiva. Comment ? Je les renforçai par un sens de la mission que je ne leur permettais pas d’oublier. Lorsque des invités se joignaient à notre table du Chabbath, mes enfants savaient qu’ils devaient se conduire le mieux possible, de peur que ces gens se forment une impression erronée de ceux qui observent la Torah. Franchement, j’ai du mal à comprendre comment dans des familles où un fils ou fille qui « est passé à travers les mailles du filet », les parents ne chargent pas leurs autres enfants de lui tendre la main et d’influencer leur frère/sœur rebelle.
Oui, je connais bien les arguments avancés : « Il est plus facile de suivre le mal que le bien… », « Il est plus facile de passer entre les mailles du filet que de marcher droit et de suivre la voie de la Torah… ça ne marchera pas. Mon fils est allé trop loin… il/elle ne va pas écouter… s’ils essaient, ils vont finir par se quereller bêtement. Rabbanite, vous ignorez totalement ce qui se passe dans notre foyer. Mon fils rentre à la maison à des heures folles. Nous ne savons pas où il a traîné ou ce qu’il a fait… il boit, il fume… Vous ne pouvez pas vous imaginer comment il/elle s’habille. C’est embarrassant, etc., etc. ».
Oui, je sais tout ça, mais je vais vous dire : le pouvoir de l’amour est la seule chose qui peut les atteindre. Oui, le pouvoir d’un amour et d’une gentillesse inconditionnels vont très loin, et je parle d’une expérience réelle, et non à partir d’une théorie abstraite. Et ce principe est valable pour les Yéchivot également. Lorsque des enfants rebelles sont exclus et jetés dans la jungle, les choses ne peuvent que se dégrader davantage. Lorsque leurs camarades de classe les évitent et leur font sentir qu’ils sont des « racailles », ils ne peuvent que s’enfoncer davantage et ressembler à l’image qu’on leur renvoie. Je me demande toujours pourquoi on ne peut pas s’adresser à ces camarades de classe et leur expliquer la détresse d’Hachem lorsqu’une Néchama juive est perdue - lorsqu’un de Ses enfants, pour ainsi dire, meurt ? Je me demande toujours pourquoi on ne peut pas expliquer à ces camarades de classe qu’il est en leur pouvoir de ramener cette Néchama perdue à la Chékhina et donc à notre Père céleste. Plutôt que de qualifier cet enfant de « bon à rien », pourquoi ne pas l’appeler « teire kind », précieux enfant, l’embrasser, l’enlacer et lui dire : « Tu appartiens à la Mamlékhet Cohanim, au royaume de prêtres… ton peuple a besoin de toi et Hachem t’aime, aspire à te retrouver, et ne t’abandonne jamais. Tu peux y arriver ! ».
Je sais que certains d’entre vous pensent que je vis dans un monde imaginaire, inconsciente de la réalité. Un Gadol, un grand Sage, a dit un jour : « Je rêve peut-être, mais je ne dors pas. » Elevée et encadrée par mes parents emplis de sainteté, j’ai vu ce rêve devenir réalité.
Je me rappelle, il y a fort longtemps, suite à l’internement de ma famille au camp de concentration de Bergen Belsen, nous avons été envoyés dans un camp de personnes déplacées en Suisse. Un jour, un groupe de garçons polonais, de 17 à 20 ans, fut acheminé dans notre camp depuis Auschwitz. Ils avaient vu leurs parents torturés et envoyés dans les chambres à gaz et les crématoriums. Ils avaient eux-mêmes ressenti souvent la brûlure du fouet et vécu la torture et la faim au-delà des mots. Ils étaient tous très en colère et amers. Ils jetèrent leurs Kippot ; ils ne voulaient entendre parler ni de Torah, ni de Mitsvot, et ne voulaient pas entendre le mot « Hachem ». Placés dans un dortoir, chaque soir, mon père, le révéré sage, Rav et Gaon Avraham Halévi Jungreis, leur rendait visite. Il ne leur adressait jamais de réprimande, ni ne les punissait. Au lieu de cela, il allait de lit en lit, les bordait, les embrassait, récitait le Chéma’ avec eux, et leur murmurait : « Schluff gezunte heit mein teire kind » « Dors bien, mon précieux enfant ». Et ma mère se portait volontaire pour la cuisine et trouvait toujours quelque chose de bon pour eux.
De nombreuses années plus tard, je prenais la parole devant une communauté en Floride, lorsqu’un monsieur âgé s’approcha de moi. « Esther, tu te souviens de moi ? », me demanda-t-il. Puisqu’il m’appelait Esther, je réalisai que nous devions nous connaître depuis mon enfance, mais je n’avais pas la moindre idée de qui il pouvait s’agir.
« Je suis …, un garçon polonais d’Auschwitz qui t’a rejoint au camp de personnes déplacées en Suisse. Et ce sont mes petits-enfants. »
Sept enfants mignons se tenaient devant moi.
« Ils vont tous à la Yéchiva, poursuivit l’homme, et tout ça, grâce à vos parents, de mémoire bénie. Je ne les oublierai jamais ! »
Vous pourriez rétorquer que c’était différent, ces jeunes gens sont passés par la Shoah… Chaque cas est différent, mais il y a un dénominateur commun qui s’applique à chaque génération, c’est l’AMOUR.
C’est exactement dans cet état d’esprit que j’ai créé Hinéni et ai tendu la main à notre peuple. Cet enseignement gravé par mes saints parents sur mon cœur m’a guidé tout au long de ma vie. J’ai souvent pensé comment notre monde juif serait, si au lieu de colère et de mépris, nous pouvions suivre cette voie et prodiguer à nos enfants amour et gentillesse… Si, plutôt que d’exclure un enfant, nous le prenions de côté après le cours, lui parlions gentiment, l’embrassions, lui donnions une Brakha, et lui affirmions qu’il a un fort potentiel… qu’il possède une heilige Yiddishe neshama, une âme juive sainte,il se regarderait différemment et ne sentirait pas qu’il est un bon à rien. Il y a encore une autre option pour ces enfants en difficulté : s’inscrire dans une école pour enfants à besoins particuliers, où ils rencontrent d’autres élèves rebelles. L’inconvénient de ces structures est le manque de modèles positifs, et le risque que ces enfants tombent encore plus bas.
Il y a peu de temps, un jeune homme issu d’une bonne famille a été amené dans nos bureaux par un ami. Il fréquentait une fille non-juive et avait tous les problèmes associés à cette relation. Je l’invitai à assister à mes cours. Plutôt que de lui faire des reproches et de le réprimander, je lui expliquai à quel point il était utile pour notre peuple, et comment Hachem aspirait à son retour. Je lui montrai la beauté d’une vie de Torah qu’il avait rejetée de manière si irresponsable. Lentement, mais sûrement, il changea. Je tentai de le convaincre de rentrer chez lui. Il me dit qu’il ne serait jamais accepté. J’appelai son père, qui fut choqué par mon appel… il avait quelque ressentiment et un sentiment de malaise de savoir que j’étais au fait de cette tragédie dans sa famille. Je compris sa position et lui assurai que dans cette époque turbulente, pré-messianique, de nombreuses familles sont déchirées et souffrent beaucoup. Lentement, je le convainquis que son fils était en voie de s’améliorer. A coup sûr, ce processus n’a pas été de tout repos, mais il est sur la bonne voie. Lentement, les plaies guérissent, un autre enfant juif est rentré à la maison, et une famille s’est réunie.
J’ai traité de nombreux cas d’adolescents qui ont été exclus de leur maison et de leur école, et, une fois de plus, je dois insister que le moyen le plus efficace de les atteindre, c’est les Brakhot et l’amour. Je ne dis pas que c’est facile. C’est une terrible épreuve pour toutes les personnes touchées. Je comprends qu’il est facile d’être submergé par la rage et de laisser tomber, mais gardons à l’esprit les conséquences et interrogeons-nous sur les effets possibles de nos cris, hurlements et le fait de qualifier notre enfant de tous les noms. D’un autre côté, si je me retiens, réponds calmement, et lui montre que je suis triste plutôt qu’en colère, j’ai une chance de le toucher. Nos Sages nous ont enseignés : « Qui est intelligent ? Celui qui entrevoit l’avenir. »
Nos Sages, de toute évidence, ne se référaient pas à la prophétie, mais au fait de prévoir les conséquences de nos actes.