Je rédige à nouveau cet article dans un avion de retour à New York après une visite exaltante à nos frères juifs d’Espagne et de Gibraltar. Le terme même d’Espagne évoque des sentiments douloureux dans mon cœur, au même titre que l’Allemagne.
J’ai toujours associé l’Espagne à l’infâme Inquisition de 1492 au cours de laquelle notre peuple a été condamné à des tortures plus horribles que la mort. Plus de 30 000 Juifs ont été brûlés vivants. Un grand nombre mourut sur la route, de faim et de maladie, un grand nombre de Juifs périt également en mer, d’autres sont tombés, victimes de pirates et de très nombreux Juifs ont été vendus comme esclaves. Nombreux sont ceux qui ont succombé aux tortures sauvages et se sont convertis au christianisme, mais ont découvert que leurs maîtres espagnols les persécutaient encore et les nommaient « Marranos » - cochons, une allusion au fait que c’étaient des parasites qui s’engraissaient sur le dos des autres et n’étaient utiles que s’ils étaient tués et consommés. L’histoire de leur souffrance est légion et fait partie de notre tragique histoire. Compte tenu de cet arrière-plan historique, j’arrivai en Espagne avec des sentiments mitigés.
Pendant de nombreuses années, il n’y a pas eu de vie juive en Espagne, jusqu’à ce que nos frères d’Afrique du nord, principalement du Maroc, s’y réinstallent. On m’avait averti que la communauté de Madrid était petite, et que je ne devais pas m’attendre à une foule de participants à ma conférence. Or, la synagogue était bondée, pas une place n’était libre. Jeunes et vieux, ils étaient tous présents. Un grand nombre de Juifs avait lu mes ouvrages, Une vie engagée et Un mariage engagé en traduction espagnole, et nous étions de suite en confiance.
Je pris la parole à Madrid le jeudi soir et vendredi matin tôt. Je devais passer le Chabbath à Gibraltar. Avant même de nous embarquer dans l’avion pour Malaga, nous reçûmes des e-mails de remerciements, nous demandant la date de notre prochaine visite…Je tiens à vous le raconter pour faire l’éloge du Am Israël, le peuple juif. Cette communauté juive, qui vit isolée, déconnectée de la Torah, est malgré tout, liée à elle pour toujours. Avant Chabbath, je parlais au téléphone avec une nouvelle amie de Madrid et je reçus un cadeau extraordinaire. Elle me raconta que suite à ma conférence, toutes ses amies s’envoyaient des e-mails en s’engageant à respecter le Chabbath et les Mitsvot. J’en fus extrêmement heureuse et remerciai silencieusement Hachem de m’avoir conféré ce mérite.
Comme c’était une veille de Chabbath et que la journée était très courte, dès notre arrivée à Gibraltar, avant même de nous installer, j’assistai à une réception organisée par les dirigeants de la communauté juive. Le maire, le vice-gouverneur, même le leader du parti de l’opposition étaient présents, ainsi que les média locaux. Je ressentis immédiatement que Gibraltar était différent des autres pays d’Europe où les fumées toxiques de l’antisémitisme sont palpables dans l’air. Suite à cette réception chaleureuse, je me pressai vers l’école juive où j’eus le bonheur de m’adresser à nos beaux enfants, puis j’arrivai à notre hôtel juste à temps pour nous préparer pour Chabbath.
J’ai voyagé dans le monde entier et visité d’innombrables communautés juives, mais Gibraltar est différent. Pendant notre séjour, nous n’avons jamais vu de policier dans la rue. Lorsque j’en fis la remarque, on me dit que grâce à D.ieu, leur présence n’était pas nécessaire, et les Juifs ne craignent pas peur de marcher dans la rue avec une Kipa, comme c’est le cas dans d’autres pays d’Europe de nos jours.
Je pris la parole à plusieurs reprises le Chabbath et dimanche matin, et bien que la communauté juive fût relativement petite, à chaque fois, la salle était bondée par un public varié. C’est une communauté remarquable. Presque tous respectent le Chabbath, mais ils veulent aller plus loin.
La dernière étape de notre voyage était Torremelinos où là aussi, l’accueil a dépassé nos espérances. Cette localité est située sur la Costa del Sol - un lieu de villégiature d’Espagne où la communauté juive est présente en nombre négligeable. On m’avait averti de ne pas m’attendre à une présence massive, mais miraculeusement la synagogue était pleine, non seulement de personnes âgées, mais également de jeunes gens passionnés qui avaient entendu parler du programme et avaient afflué des localités avoisinantes. L’accueil fut enthousiaste, mais en prenant le microphone, j’eus quelques appréhensions. Aucune traduction simultanée n’avait été prévue, je devais parler et le rabbin local devait traduire à ma suite. La difficulté d’une telle solution est qu’un discours d’une heure en prend deux. De plus, le public doit attendre patiemment, en écoutant une langue qu’il ne comprend pas.
Mais en réalité, ils ont été très attentifs, ils ont pleuré et absorbé chaque mot, et voulaient en entendre plus. Et tous ont pris l’engagement d’accroître leur observance de la Torah et des Mitsvot.
Parmi les nombreuses histoires que j’ai entendue en Espagne, celle qui m’a le plus frappée est la révélation qu’en 1992 seulement, le roi Juan Carlos, sous l’influence de sa reine, Sophia, a officiellement annulé l’édit de l’Inquisition interdisant aux Juifs de se rassembler pour la prière en Espagne.
Ce qui m’a vraiment abasourdi, c’est qu’à l’époque de l’Inquisition, nos sages avaient établi un ‘Hérem, une interdiction de cinq cents ans sur l’Espagne, de 1492 à 1992, cela fait exactement cinq cents ans ! Je me souvins aussi qu’en 1492, le roi Ferdinand avait choisi le jour de Ticha Béav comme date de l’expulsion de notre peuple : on remarque les empreintes de D.ieu dans l’histoire. En outre, le roi Ferdinand avait infligé ce mal barbare sous l’influence de la vile reine Isabelle, et maintenant, 500 ans plus tard, le roi Juan Carlos, sous l’impulsion positive de la reine Sophia, annulait le décret. Etait-ce un Tikoun (rectification) ? Une fois de plus, les empreintes de D.ieu dans notre histoire.
On me raconta que le rabbin local avait offert au Roi un Chofar en souvenir de l’époque horrible de l’Inquisition, et ce faisant, il relata l’histoire de Don Fernando Anguilar, le chef d’orchestre de l’orchestre royale de Barcelone. Il avait été l’un de ceux qui, sous la torture, avait renoncé à sa foi, mais dans son cœur, il était resté fidèle à Hachem. Alors que Roch Hachana approchait, Don Aguilar désirait entendre le son du Chofar. Il eut l’idée géniale de présenter un concert à Roch Hachana avec divers morceaux de plusieurs compositeurs. De nombreux Marranes y assistèrent…ils aspiraient eux aussi à entendre le Chofar. Plusieurs compositions furent jouées, puis, les larmes aux yeux, Don Aguilar souleva le Chofar, et souffla les sonneries traditionnelles de Roch Hachana : la Téki’a, les Chéva’him et de Trou’a, et tous les Marranes présents dans la salle pleurèrent silencieusement.
Aujourd’hui, on peut sonner librement du Chofar en Espagne, mais cette fois, avant d’en sonner, on récite à haute voix une Brakha, à laquelle les Juifs répondent Amen.
Puisse D.ieu nous accorder rapidement le mérite d’entendre le son du grand Chofar.