Ce titre et son hilarant jeu de mot résume à lui seul l’intention de ce texte. La Guéoula, la Délivrance finale, est un sujet profond et sérieux. Tout aussi profond et sérieux que les lois du Chabbath ou de la Cacheroute. Malheureusement, ce concept est parfois perçu comme une série d'événements dont le caractère apocalyptique, risquerait d’atténuer notre désir de voir cette Guéoula se réaliser de nos jours. Nous tenterons d'établir, au fil de nos textes qu’on peut parler de cette Guéoula en des termes beaucoup plus positifs et stimulants.

C’est où Magog sur la carte ?

La guerre de Gog et Magog fait l’objet de quelques chapitres de la Bible. Dans Ezéchiel et Zacharie. Aucune date n’est donnée, aucun nom n’est reconnaissable bien évidemment. Comme toute prophétie, celles-ci sont sujettes à interprétation.

Ainsi, de nombreux dirigeants de notre peuple ont déjà affirmé que les deux guerres mondiales pouvaient déjà être considérées comme ayant concrétisé ces prophéties. Et que si effectivement les Juifs devaient en pâtir, la Shoah nous en avait déjà acquittés.

 Si les grands de la génération se sont déjà exprimés sur la question, pourquoi y revenir ?

Gog et Magog ? Pas grave !

Le Talmud aussi parle de cette guerre. Par exemple dans le traité Brakhot[1]. Bizarrement, on ne parle pas de massacre. On relativise même la gravité de cet événement : l’homme doit bien plus s'inquiéter de l’éducation de ses enfants et de ses conséquences que de la guerre de Gog et Magog.

En effet, il est dit dans les Psaumes de David[2]: “Pourquoi se démènent les peuples, et les nations agitent-elles de vains projets?” Ceci fait référence à la guerre de Gog et Magog. Pourtant, cela n’a pas l’air de tourmenter David outre mesure, comme on le voit dans la suite[3]: « Celui qui réside dans les cieux en rit, le Seigneur Se raille d’eux ». Par contre, dans le psaume suivant, à propos de son fils rebelle Avchalom, David s’écrie « nombreux sont mes tourments » !

Le message moral que veut faire passer le Talmud est clair : occupez-vous de vos enfants plutôt que d’aller chercher des sensations fortes en essayant de vous faire peur. Tout ceci est vain et ne touche pas les Juifs.

Comme la sortie d’Egypte ?

Souvent, est également avancé l’argument de “comme aux jours de la sortie d'Égypte, Je vous montrerai des merveilles”[4]. En d’autres termes, la Délivrance future étant calquée sur celle d’Egypte, on assistera aux mêmes événements. Entre autres, l’élimination d’au moins quatre cinquième du peuple d’Israël comme au moment de la plaie de l’obscurité.

Le verset de Mikha précité pourrait faire l’objet d’une étude en soi quant à sa signification, mais tel n’est pas notre propos ici. Simplement, on peut faire remarquer que si la venue du Messie se déroule exactement comme la sortie d’Egypte, qu’a-t-on gagné? On parle ici de la fin de l’Histoire. N’y aurait-il donc aucune nouveauté dans cet évènement ?

Peut-être que si en fait. Peut-être que justement, la différence entre ces deux événements résidera dans le fait que personne ne sera mis à l’écart.

Dans la Haggada de Pessah’, la réponse que l’on fait au fils rebelle paraît bien brutale : «  C'est pour ceci que l'Éternel a agi pour moi quand je suis sorti d'Égypte. » « Pour moi », mais pas pour lui ! S'il avait été là-bas, il n'aurait pas été libéré !

Voilà ! Les méchants ne sont pas libérés! Vous voyez bien !

Attendez. Regardons plus précisément. Il est écrit « s’il avait été là-bas », n’est-ce pas ? Là-bas, et pas ici. Là-bas, dans l’exil égyptien, avant le don de la Torah il serait resté, mais « ici », dans notre dernier exil, il sera libéré.

La Téchouva pour se protéger des radiations ?

En fait, c’est même une promesse de la Torah qui a été rapportée par le plus grand des décisionnaires, le Rambam : à la fin des temps, Israël fera Téchouva. (Lois sur la Téchouva chapitre 7, loi 5)

Et c’est cette Téchouva qui amène la Délivrance. Et on ne parle pas seulement du peuple dans son ensemble mais de chaque individu. Chaque juif à le pouvoir de rapprocher la Guéoula.

Sur le verset « un astre s'élance de Jacob, et une comète surgit du sein d'Israël »[5]de nombreux commentaires[6] indiquent que cela fait référence au Machia'h. Pourtant, le Talmud de Jérusalem[7] affirme que ce verset fait allusion à tout Juif. Le livre « Méoré Or », au nom du Ba'al Chem Tov, explique que ces deux commentaires ne se contredisent pas. Au contraire, ils se complètent : chaque Juif porte en lui une étincelle de l’âme du Machia'h. Chacun et chacune peut dévoiler cette dimension messianique en lui, en accomplissant Torah et Mitsvot et ainsi, petit à petit, chasser l’obscurité et l’impureté du monde pour, à terme, parvenir à l’avènement de la Délivrance totale.

On fait donc Téchouva pour amener la Guéoula, pas pour se protéger d’hypothétiques cataclysmes.

Avouez que c’est autrement plus motivant, non ?

Ce sont nos actes qui déterminent le déroulement de l’Histoire. Si on définit la Téchouva seulement comme un parapluie nous mettant à l’abri des retombées radioactives, on se définit nous-même alors, non plus comme des acteurs de l’Histoire, actifs et influents mais bien comme des figurants et des spectateurs.

Et c’est bien triste, vous ne trouvez pas ?

Pour conclure, disons aussi que ces discours posent un sérieux problème au niveau pédagogique et méthodologique, car ils semblent omettre les propos du Rambam :

« Un homme ne doit pas dire :[…] « Je vais me séparer des fautes dont la Torah nous a mis en garde afin d’être préservé des malédictions mentionnées dans la Torah » ou « […] afin de ne pas être retranché de la vie du monde futur ». Il n’est pas convenable de servir D.ieu de cette manière, car celui qui sert [D.ieu] de cette manière Le sert par crainte. Cela n’est pas la vertu des prophètes, ni la vertu des sages. Ceux qui servent D.ieu de cette manière sont les ignorants. »[8]

On peut aussi se demander si parler de manière récurrente d’une terrible guerre, ne serait pas de nature à atrophier notre sensibilité aux atrocités de la guerre.

En effet, lorsqu'en société, on commence à parler de la guerre de Gog et Magog, on entend parfois des discours décrivant successivement, des attaques au gaz, des retombées radioactives qui devraient nous bouleverser immédiatement.

On parle pourtant de la mort de milliers d’êtres humains. On entend même parfois des chiffres ahurissants. Un, deux, trois milliards...

A-t-on vraiment conscience de ce qu’est une guerre et ses horreurs ?

Est-ce là la finalité de la Torah ? Mort et destruction ? Le peuple d’Israël n’est-il pas là pour réparer le monde ?

Entendons-nous bien : que les ennemis d’Israël (qui sont de fait des ennemis de l’humanité) seront durement châtiés au moment de l’avènement du juste Messie, cela ne fait aucun doute. Mais la question à se poser est : sont-ils si nombreux ?

Voilà. En gros, pas tellement besoin de parler sans fin de cataclysmes eschatologiques.

Comme le dit le Rambam, cela n’amène ni à l’amour, ni même à la crainte de D.ieu. Car cette peur de l’apocalypse, même si elle était réellement ressentie par qui que ce soit, ne pourrait être considérée comme une crainte du Ciel, mais bien comme une peur égocentrique qui ne motiverait qu'à une seule chose : sauver sa peau.

Et la Téchouva, ce n’est pas, mais alors pas ça du tout...


[1] Page 7a.

[2] 2,1.

[3] Verset 4.

[4] Mikha 7,15.

[5] Nombre 24,14.

[6] Targoum, Midrachim, Rambam.

[7] Maasser Chéni Chapitre 4, halah’a 6.

[8] Lois du repentir, Chapitre 10, Halakha 1.