Question de David C.
Bonjour Rav Scemama,
Nous nous trouvons à la veille du jour de Yom Kippour, jour du Grand Pardon, et comme chaque année, on s'introspecte afin de réparer nos fautes.
Je suis Ba’al Téchouva depuis 3 ans et je viens d'un milieu traditionaliste plutôt folklorique que religieux. Depuis le jour où j'ai décidé de me renforcer dans le Judaïsme, j'ai bien progressé et je pense accomplir correctement les Mitsvot.
Mais en m'analysant, je me rends compte que je suis encore très attaché à mon passé. Je m'explique :
- Bien que ma mère s'habille en jeans et ne se couvre évidemment pas la tête, mon père se rase à la lame et ne pratique pas grand-chose, je les aime ainsi et je n'aurais pas voulu être né dans une autre famille, même si celle-ci avait été plus pratiquante.
- Je garde de très bons souvenirs de ma jeunesse insouciante, de mes vacances en colonie avec des Goyim, de mon look d'adolescent, mes hobbies, mes études, etc. En gros, tout le cadre dans lequel j'ai évolué jusqu'à la Téchouva. Je me demande parfois quel genre de personne j'aurais été si j'avais grandi dans la pratique de la Torah et quelque part, je suis content que les choses se soient passées ainsi.
- Parfois resurgissent des souvenirs du passé, et je n'arrive pas à nier le goût succulent de certains mets "Taref" que j'ai consommés, ni le plaisir que j'ai eu à regarder certains films ou à la lecture de livres qui sont à des milliers de lieues du Judaïsme.
J'en arrive à ma question : est-ce que ces sentiments sont révélateurs d'une Téchouva incomplète ? D'un autre côté, peut-on renier une réalité dans laquelle on a baigné pendant plus de 20 ans ?
Je vous remercie d'avance pour votre réponse et vous souhaite une Chana Tova.
Réponse du Rav Scemama :
Bonjour David,
1) Tout d'abord, nous allons rapporter les paroles du Rav Chlomo Wolbe (Alé Chour 2 p.435) qui relevait le fait que le mot Téchouva fait surtout référence à un lieu de retour. Faire Téchouva ne veut pas dire réparer et regretter ses fautes - bien que cela soit nécessaire -, mais revenir vers D.ieu, c'est-à-dire que le but de la Téchouva est d'amener celui qui opère ce retour à vivre plus en proximité avec le Créateur.
La difficulté du Ba’al Téchouva des temps modernes (qui a grandit sans connaissance de Torah et Mitsvot) de trouver ce chemin vers D.ieu est double :
a) Il ne sait pas où retourner, puisqu'il n'a jamais été sur le vrai chemin.
b) Devant le choix décisif qu'il a effectué en choisissant la voie de la Torah, il a tout un passé dont il ne sait pas vraiment quoi faire.
2) Il est évident que la famille, le lieu et le contexte dans lesquels le Ba’al Téchouva a grandi ont été programmés par la Volonté Divine, et que c'est uniquement avec ces données qu'il va réaliser son but dans ce monde.
Le passé de chaque créature laisse des traces profondes dans son être. On a pu observer chez les Ba’alé Téchouva deux réactions contraires.
Certains voudraient effacer et renier leur passé qui les dérange dans leur nouvelle vie. L'auteur du livre "Le Guide De La Téchouva" (éditions Torah-Box p.57 et suivantes) met en garde contre une telle démarche, vouée à l'échec. D'autres, au contraire, s'accrochent à leur passé, car celui-ci est rassurant face à la peur de l'inconnu, surtout quand ils font leurs premiers pas dans le Judaïsme. Cette deuxième réaction n'a rien d'anormal, et elle disparaît au fur à mesure que ce Ba’al Téchouva progresse et s'intègre dans un milieu pratiquant.
C'est peut-être votre cas David, et cela ne remet pas en question votre Téchouva. Plus bas (§4), nous donnerons une autre explication à vos sentiments et c'est vous qui devrez trancher dans quel cas vous vous positionnez.
3) La grande question restera : que faire de ce passé ? Il est impossible dans le cadre de ce courrier de développer un sujet aussi vaste, et je vous renvoie au livre mentionné plus haut "Le Guide De La Téchouva", où ce sujet est développé (p. 60 à 69).
Nous allons quand même en dire quelques mots. On peut classifier le vécu du Ba’al Téchouva en trois catégories :
- les expériences interdites ou contraires à l'esprit de la Torah et qui sont "irrécupérables" dans la Sainteté. Leurs souvenirs, quand ils resurgissent, peuvent faire mal, mais cela fait partie des épreuves liées à la Téchouva. Sachons juste qu'au fur et à mesure du temps, ces souvenirs s'estompent.
- celles qui, a priori, auraient été incompatibles avec la Torah mais qu'on parvient à sanctifier dans la Kédoucha (sainteté) : par exemple théâtre, comédie, chanson. On voit des artistes, notamment en Israël, revenir à la Torah et exprimer leur art avec talent, tout en restant dans un cadre totalement "Cachère".
- enfin, celles qui sont neutres et qui sont les plus nombreuses, comme le métier, les sciences, les arts, les relations humaines, etc., qui ne sont pas incompatibles avec la Torah et qui, au contraire, peuvent servir dans la vie.
4) Il y a des Ba’alé Téchouva qui regrettent leur passé. Malgré le fait qu'ils accomplissent les Mitsvot, ils se souviennent avec nostalgie de leur vécu antérieur à la Téchouva : "Quel dommage d'avoir enterré une vie pétillante pour se plier au joug des Commandements ! Heureusement que j'ai profité dans ma jeunesse de choses qui me sont aujourd'hui interdites !"
Il faut savoir qu'une telle Téchouva n’est pas construite. La Torah (Parachat Ki Tavo 28,47) reproche à l'homme de ne pas avoir servi D.ieu dans la joie. Il faut absolument que ces Ba’alé Téchouva prennent conscience de combien la Torah est bonne pour l'homme et combien elle peut les combler dans ce monde, justement en les éloignant de plaisirs futiles et imaginaires, pour un vécu riche en valeurs.
Cette recherche doit se faire à la fois au niveau de l'intellect (lectures, cours,...) et aussi par des expériences positives, en s'aidant des Rabbanim, afin de vivre de beaux Chabbath, une étude de Torah prenante, de la joie dans les Mitsvot, etc.
C'est cela aussi et peut-être surtout… faire Téchouva.
Chana Tova.