Curieux d’en savoir plus sur le grand mouvement de retour aux sources qui a caractérisé les années 2000, Torah-Box est allé interroger le Rav Elie Peretz, l’un des Rabbanim les plus actifs de ce mouvement dans le monde francophone.
Quoi de plus naturel pour un dossier consacré à la Téchouva que de remonter à l’origine et de débuter par le grand mouvement de Téchouva qui a balayé le monde juif – et celui francophone plus particulièrement – dans les années 2000 ?
On se souviendra des grandes initiatives lancées par le Rav Yossef-'Haïm Sitruk telles que le Yom Hatorah, des séminaires de découverte du judaïsme tels que ceux d'Or Ha'haïm et Chévet A'him ou encore de l’ouverture un peu partout de synagogues, d’écoles, de restaurants afin de satisfaire la demande toujours grandissante d’une communauté en pleine expansion spirituelle.
Le verset d’Amos (8, 11) "Voici que des jours viennent, parole de D.ieu, où J’enverrai la famine dans le pays, non une famine de pain, ni une soif d’eau, mais la faim et la soif d’entendre les paroles de l’Éternel" semble étrangement correspondre à l’état d’esprit qui régnait alors parmi les Juifs du monde.
Curieux de connaître les causes de ce phénomène, ses modalités et ses conséquences, nous sommes allés interroger le Rav Elie Peretz, l’un des Rabbanim les plus actifs de ce mouvement dans le monde francophone.
Rav Peretz bonjour. Pouvez-vous vous présenter pour ceux qui ne vous connaissent pas ?
Après être monté en Israël, j’ai effectué mes études d’informatique au Makhon Lev de Jérusalem. Je suis ensuite rentré au Kollel et me suis enrôlé à l’armée. J’enseigne la Torah depuis de nombreuses années au Makhon Lev. Dans les années 90, j’ai également fait partie du groupe de Rabbanim qui avait lancé les séminaires Or Ha'haïm avec le Rav Ron Chaya et le Rav Eliahou Benhamou et Chévet A’him, avec les Rabbanim Bloch notamment.
Malgré leur immense succès, ces séminaires ont disparu depuis. Comment l’expliquez-vous ?
C’est principalement lié à l’émergence d’Internet et au fait qu’il n’est plus nécessaire de se déplacer pour aller chercher la Torah, aujourd’hui c’est elle qui vient à vous. Les différents thèmes que nous développions sont désormais vulgarisés sur la toile.
De plus, aujourd’hui, les gens s’intéressent davantage à ce que la Torah va pouvoir leur apporter dans leur vie ; ils vont donc favoriser les ateliers sur l’éducation, le développement personnel, le bonheur dans le couple, etc., plutôt que les thèmes classiques de la véracité de la Torah.
D’un côté, la Torah est désormais accessible partout ; d’un autre, n’avons-nous pas perdu quelque chose en route ?
Oui, c’est indéniable. Aujourd’hui, le contact humain dont les gens ont désespérément besoin s’est perdu, autant que la sensation ressentie au contact de gens qui vivent réellement la Torah au quotidien. Les contenus que l’on va consulter sur la toile restent informatifs. Je me souviens d’une anecdote particulièrement parlante qui eut lieu lors de l’un de nos séminaires il y a de cela une vingtaine d’années : un homme issu du milieu intellectuel et universitaire était venu passer un Chabbath, mais il semblait rester peu sensible à nos démonstrations lors des conférences. Il se trouve que cet homme était assez corpulent. Le samedi soir, lors de la soirée de Mélavé Malka en musique où l’atmosphère était électrisante, pris dans le tourbillon des danses avec le public, l’un des Rabbanim souleva cet homme pour le porter dans les airs.
Le lendemain, lors de la soirée de clôture, ému aux larmes, ce Juif finit par monter sur l’estrade, prendre le micro et avouer qu’il avait décidé de renouer avec ses racines. Ce n’était pas nos savantes démonstrations qui l’avaient convaincu, mais, précisa-t-il, le fait que l’un des Rabbanim l’avait spontanément soulevé, lui qui pesait près de 150 kg et qui n’avait jamais expérimenté une telle chose.
Cette histoire illustre bien l’importance de la fibre humaine qui, à mon sens, s’est perdue avec Internet.
Qu’est-ce qui caractérisait la Téchouva de ces années-là ?
À l’époque, nous voyions des gens venir aux séminaires et aux cours avec un a priori assez négatif sur les religieux et la Torah et en ressortir renforcés et animés d’une volonté de se reconnecter avec Hakadoch Baroukh Hou. Nous ne promettions pas le paradis mais offrions la possibilité de comprendre ce que signifie d'être juif, c'est-à-dire d'être responsable de transmettre un message divin perpétué depuis des millénaires. Nous permettions aux gens de poser leurs questions et nous efforcions d’y apporter des réponses. Puis cette prise de conscience débouchait sur une Téchouva dans la pratique. Avec le temps, nous avons pu constater que les personnes qui s’étaient le mieux maintenues dans leur Téchouva étaient celles qui avaient su trouver un Rav et une communauté à laquelle se rattacher. Jusqu’à aujourd’hui, il m’arrive que des personnes religieuses m’accostent dans la rue et me demandent : "Rav, me reconnaissez-vous ? Nous nous sommes rencontrés il y a 20 ans. J’ai fait Téchouva grâce à l’un de vos séminaires !"
Qu’est-ce qui explique d’après vous qu’à cette époque les gens étaient si réceptifs ?
Je pense qu’il s’agit de ce que nos Sages appellent un "éveil d’En-haut qui débouche sur un éveil d’en bas". Un vent de pureté, de soif de spiritualité s’est mis à souffler sur le monde juif. Tous ont été impactés à différents niveaux. Les gens étaient à la recherche de sens, se remettaient en question, trouvaient les réponses et changeaient de cap en fonction. Nous n'étions que des intermédiaires dans ce processus.
À votre sens, peut-on parler de mouvement de Téchouva aujourd’hui ?
Je ne pense pas que l’on puisse aujourd’hui parler d’un mouvement global de Téchouva, car il s’agit davantage d’une démarche individuelle. Chacun est devant son écran et peut librement consulter les contenus qu’il souhaite. Cette démarche correspond du reste assez bien à l’attitude individualiste qui caractérise nos sociétés.
Mais comme à l’époque, je pense que si les gens font l’effort d’ancrer leur éveil dans leur quotidien par le biais de l’étude régulière et du contact avec un Rav et une communauté, on peut voir de belles choses se réaliser.
Propos recueillis par Elyssia Boukobza