Question de Serge L.
Chalom Rav Scemama,
J’ai une question à vous poser.
Je viens d’une famille très assimilée. Je savais que j’étais juif car mes parents me l’avaient dit, mais cette judéité n’a jamais eu aucune expression religieuse.
Ils justifiaient leur non-pratique par le fait que leurs familles respectives avaient en grande partie été décimées pendant la Shoah, alors qu’elles étaient pratiquantes.
Malgré tout, j’ai quand même cherché à comprendre ce qu’est un juif, quelle est sa particularité, pourquoi il intéresse tant les nations, pourquoi il a été persécuté et continue à réveiller la haine gratuite chez beaucoup de gens dans le monde.
C’est là que j’ai découvert que le Judaïsme répondait à ces interrogations, et, de façon générale, à beaucoup d’autres questions existentielles qui m’interpellaient.
Et c’est ainsi que, petit à petit, j’ai amorcé une Téchouva à mon rythme.
Mais c’est surtout au niveau de la pensée que j’ai progressé et j’en ai bien besoin, car je suis imprégné de culture laïque, même chrétienne, mais certainement pas juive.
Et c’est là que je bute, car souvent, les cours auxquels je participe sont tournés autour de l’application concrète de la loi juive, et même des textes riches au point de vue philosophique, et qui pourraient être source de réflexion et d’analyses intéressantes, sont très vite orientés vers les conséquences pratiques de la Halakha.
C’est pourquoi je me demande si la pensée n’est pas plus importante que l’action ? Pourquoi la Torah ordonne-t-elle autant d’actes au lieu de mettre l’accent sur l’élévation vers D.ieu par l’esprit ?
Pourquoi également se focaliser sur tant de petits détails fastidieux que l’on trouve dans l’étude de ces lois, ne risquons-nous pas de restreindre notre esprit par ces conduites machinales et impersonnelles ? Je ne comprends pas non plus comment mes compagnons Ba’alé Téchouva trouvent un attrait à l'étude de la Halakha, alors que, chez moi, elle m’oppresse et me dessèche ?
Merci Rav de bien vouloir m’éclairer sur ces questions.
Réponse du Rav Daniel Scemama
Chalom Serge,
Tes questions sont pertinentes et certaines ont même déjà été posées par nos commentateurs et nous allons rapporter leurs paroles.
1. Le Rav Eliahou Dessler (Mikhtav Méeliahou tome 3, p. 127 version hébraïque) se pose lui aussi cette question : « Le principal du Service Divin étant le travail intérieur, on peut dès lors s’interroger sur le bien-fondé des actes ordonnés par la Torah et des innombrables détails qui s’y rattachent. Nos Sages d’ailleurs l’expriment clairement : “D.ieu recherche la sincérité du cœur” (Sanhedrin 106b).
Il y répondra par 3 raisons :
a) Les actes extérieurs « réveillent » notre intérieur et permettent de faire pénétrer les messages du Judaïsme profondément dans notre cœur, même s’il n’y est pas enclin, car ainsi l'Eternel a créé l’homme.
Par exemple, verser de la Tsédaka à un pauvre nous apprend à donner et aussi à avoir de l’empathie vers les gens défavorisés, faire le Séder de Pessa’h imprime en nous les miracles de la sortie d’Egypte, etc.
De là, on constate la force de l’acte.
b) Tout réveil intérieur qui n’est pas concrétisé par un acte, part en fumée et ne laisse aucune trace sur la personne. Par contre, l’action concrète marque son empreinte sur celui qui l’accomplit.
c) Plus que cela, si une personne connait un réveil et ne le concrétise pas par un acte, ce sentiment d'élévation risque de se retourner contre elle, car seul l’acte permet de « conserver » ce réveil, comme l’écorce protège le fruit.
En effet, cet éveil, faute de l’acte pour le protéger, devient une science abstraite qui va dépasser le niveau réel de la personne, va le déstabiliser, et peut-être même l’éloigner de ses acquis spirituels.
Nos Sages désignent cet homme comme celui dont la connaissance dépasse les actions et le comparent à un arbre touffu, mais qui a peu de racines, et sera facilement abattu lors d’une bourrasque (Pirké Avot 3,17).
2. Mais attention, d’un autre côté, s’immiscer dans l’étude de la loi sans l'accompagner par celle de l’éthique juive (Moussar, pensée juive, ‘Hassidout, Midrach) risque de laisser cet étudiant asséché dans son service Divin, puisqu’il risque d’oublier la finalité de tous ces commandements, à savoir se rapprocher de son Créateur.
Plus que cela, certains vont trouver dans l'accomplissement de la loi et du Minhag (coutume), un sentiment fort d’identification à leur groupe ethnique. Or, la Torah n’est ni « tune », ni alsacienne, ni irakienne, ni lituanienne, mais est bien au-dessus de ces contingences “nationales”. Cette vision limitée de l'accomplissement des lois peut empêcher d‘évoluer vers le message de vérité absolue que prône la Torah.
Pour d’autres, la connaissance de la loi provoquera un sentiment de supériorité envers ceux qui l’ignorent, ou encore une arme d’attaque contre tout celui qui n’adhérera pas à sa façon de concevoir la Halakha.
D’où l’importance d’allier l’étude de la loi à celle de la pensée juive. D’ailleurs, le Talmud, qui est la principale source de la Torah orale, passe en alternance de la Halakha à la Haggada.
3. Vous dites ressentir un sentiment d’oppression en étudiant les lois juives, ce qui n’a pas l’air d’être le cas des autres étudiants qui vibrent en s’investissant dans cette étude.
A priori, la raison en est que l'étude de la loi vous « oblige » - si on peut dire - à l’appliquer, et votre niveau ne vous permet pas encore de pouvoir prendre sur vous un tel engagement. C’est pourquoi vous ressentez cet “étouffement”.
Chez d’autres, au contraire, ils y voient la possibilité de concrétiser leur acquis de connaissance et de mettre ces lois en application.
La différence entre ces deux catégories de juifs est due au point de départ dans leur Téchouva.
Il y en a qui ont toujours baigné dans la tradition et ont peut-être même fréquenté une école juive, mais se sont un peu éloignés de la pratique. Le jour où ils amorcent une Téchouva, l’application de la loi qui ne leur est pas étrangère, leur permet de concrétiser cette Téchouva.
(D’ailleurs, nos Sages comparent l’étude de la Halakha à un chemin qui les rapproche de D.ieu : “Al Tikré Halikhot Ela Halakhot”.)
D’autres, par contre, avant de faire Téchouva, vivaient très loin de la tradition : l’application concrète de la loi n’éveille rien en eux, ne fait écho à rien, et ne leur permet certainement pas de faire le lien entre leur passé et leur présent.
Bien sûr, comme nous l’avons rapporté plus haut au nom du Rav Dessler, les actes sont nécessaires, mais seulement lorsqu’ils correspondent parallèlement à une progression intérieure.
Sinon, comme cela est votre cas, on ressent un étouffement, car c’est comme si votre niveau intérieur “se révolte” et ne permet pas un tel changement dans le quotidien.
En conclusion, je vous conseillerai de persévérer dans votre découverte du judaïsme et de participer de temps à autre à des cours de Halakha afin de pouvoir allier votre progression dans la pensée à celle de la pratique.
N’hésitez pas à nous écrire si vous avez d’autres questions.
Béhatsla’ha.