La Mitsva de Chemita, outre les difficultés sur le terrain qu’elle peut présenter pour les agriculteurs, et les quelques changements dans la vie de tous les jours qu’elle engendre pour nous, gens de la ville, comporte un grand nombre d’avantages, énumérés entre autres par le Rambam. Pour la terre elle-même, nous savons qu’un an de jachère est particulièrement bénéfique et pour l’homme, cela développe en lui l’altruisme, le Dérekh Eretz (savoir-vivre) et l’appréciation particulière attribuée à cette terre spéciale. Mais quel est le sens profond de cette Mitsva ? La Chemita vient-elle pour la terre, ou le contraire, la terre est-elle là pour la Chemita ? Voyons un peu ce que la Torah nous dit à ce propos.
Au début de Parachat Behar, Hachem ordonne à Moché Rabbénou d’enseigner la Mitsva de Chemita aux Bné Israël en ces termes : (25/4) « Mais la septième année, un chômage absolu sera accordé à la terre, un Chabbath en l’honneur de l’Eternel. » … (25/19)
« La terre donnera ses fruits dont vous vous nourrirez abondamment et vous y résiderez en toute quiétude. » Tout semble parfaitement clair. Mais la Torah poursuit : (25/20-21) « Et si vous dites : que mangerons-nous puisque nous ne pouvons ni semer ni engranger nos récoltes ? Je vous octroierai Ma bénédiction dans la sixième année, à tel point qu’elle produira la récolte de trois ans. » Les commentateurs s’interrogent sur la raison des versets 20-21 qui semblent superflus puisqu’Hachem a déjà promis une nourriture en abondance et l’absence de tous soucis ! De plus, Hachem n’accorde-t-Il Sa Brakha qu’une fois que l’on pose la question « que mangerons-nous ? » ? Le Sforno répond qu’il y a deux niveaux dans la bénédiction divine : l’intention première d’Hachem est d’envoyer Sa bénédiction sur la qualité : un peu de nourriture suffit à rassasier, mais une fois que l’on doute, la bénédiction porte sur la quantité. La nourriture sera certes abondante, mais il en faudra beaucoup pour être rassasié, sans compter tout le travail supplémentaire que cela nécessitera !
Plus loin, dans Parachat Bé’houkotaï, la Torah nous met en garde : (26/14) « Si vous ne M’écoutez point et que vous n’observez pas tous ces commandements » … (26/33) « Je vous disperserai parmi les nations… » (26/34) « Et la terre réclamera ses années chabbatiques pendant toute cette période de désolation alors que vous vivrez en pays ennemi, la terre chômera et vous fera payer ses chômages. » A quoi « Si vous ne M’écoutez point » fait-il référence ? Il ne peut s’agir d’obéir aux commandements puisque tout de suite après il est dit « et que vous n’observez pas tous ces commandements » ? Rachi explique que cela fait référence au fait d’étudier la Torah laborieusement ainsi qu’Hachem nous y a enjoint au début de la Paracha : « Si dans Mes statuts vous marchez » et pourquoi n’est-il pas dit tout simplement « si vous n’écoutez pas » au lieu de « si vous ne M’écoutez pas » ? Pour mettre en relief que la désobéissance est directement dirigée contre Hachem, c’est en fait de la rébellion contre son maître.
Le Tehilim 103/20 fait mention de ceux qui respectent la Chemita en ces termes :
« Bénissez l’Eternel, vous, Ses anges, Ses héros, qui exécutez Ses ordres et écoutez Sa parole. » Le Midrach dit que le mot « héros » fait allusion aux agriculteurs gardant la Chemita qui ne cultivent pas leur champ, ne taillent pas leur vigne et se taisent. Il les compare aux Bné Israël au Mont Sinaï lorsqu’ils ont dit « Na’assé Vénichma », faisant passer l’acte avant la compréhension.
La controverse entre Israël et les saducéens à propos de la fixation du jour de Chavou’ot est bien connue. Pour nous, le lendemain du Chabbath à partir duquel nous commençons le compte de l’Omer, est le lendemain de Pessa’h, ainsi que nous l’enseignent ‘Hazal, mais pour les Saducéens, qui ne tiennent pas compte de la Torah orale, c’est le dimanche. Pour tenter de prouver à Rabbi Yo’hanane ben Zakaï la véracité de leurs dires, un saducéen lui fit un jour la démonstration suivante : « N’est-ce pas que Moché Rabbénou aimait son peuple ? Alors, comment aurait-il pu fixer Chavou’ot un jour de semaine et occasionner au Klal Israël un tel dérangement pour un jour seulement afin d’apporter les sacrifices au Beth Hamikdach ? Il est évident que Chavou’ot doit avoir lieu dimanche, leur permettant de venir depuis le jeudi et de séjourner à Jérusalem jusqu’au lundi, faisant, en quelque sorte un pont, un long weekend de manière agréable ! » Ce à quoi Rabbi Yo’hanane ben Zakaï répondit que si le problème avait été là, Moché Rabbénou aurait pu faire entrer les Bné Israël en Eretz Israël après un périple de 11 jours seulement, distance réelle séparant Har Sinaï de Eretz Israël, et non de 40 ans dans le désert, si ce n’était qu’une question de commodité ! Le but est sans nul doute différent !
De la même manière, le Yalkout fait remarquer que la Ménora du Beth Hamikdach était placée à droite, et la table, à gauche, alors que dans la vie courante, c’est justement le contraire : nous avons pour coutume de placer la table à droite et la lampe à gauche. C’est à droite que se trouve l’essentiel.
Nous savons qu’Hakadoch Baroukh Hou a regardé dans la Torah afin de créer le monde, ce qui revient à dire que tout a été créé pour la Torah et non l’inverse. Il est certain que la Torah adoucit les mœurs et rend la vie plus agréable, mais là n’est pas le but. Celui qui recherche la commodité, qui essaie de trouver des explications logiques aux Mitsvot, aura toujours des questions. Dans le Beth Hamikdach, la Ménora n’est pas là pour éclairer la table mais le contraire, la table est là pour que la Ménora éclaire.
Eretz Israël a été donnée pour les Mitsvot liées à la terre, dont la Chemita. Si c’est dans cette optique que nous la respectons, alors c’est un chômage en l’honneur de l’Eternel et la bénédiction est en qualité puisque c’est surnaturel. C’est pourquoi le Gibor Koa’h ne pose pas de question, il se tait, il accomplit, puis il « comprend », à l’image des Bné Israël à Matan Torah. Et là se trouve le rapport avec la mise en garde du début : « si vous ne M’écoutez point et que vous n’observez pas tous ces commandements ». Etudier la Torah laborieusement, c’est étudier pour la Mitsva d’étudier, Lichma, pour la Torah elle-même sans y chercher un quelconque profit ou intérêt. Ceci est valable pour n’importe quelle Mitsva.
Si nous nous donnons la peine de regarder les choses autrement en cherchant la vérité : être prêts à dépasser notre confort, à dépasser ce qui nous arrange, cesser d’adapter la Torah et la Halakha à nos désirs et à notre volonté, nous pouvons tous être des Giboré Koa’h. Puissent nos mérites conjugués amener la Guéoula, ‘Hazal nous l’ont transmis : « La fin de la septième année est propice à l’arrivée de Machia’h ».
D’après Rabbi Todros Miller