À huit heures du matin, je suis sortie de la maison après avoir déposé les enfants à l’école : « Juste qu’il n’y ait pas d’accident en chemin, car déjà comme ça, il y a de terribles embouteillages… », dis-je à mon épouse avant de quitter la maison.
Le pied sur la pédale du frein, les embouteillages interminables de la route 70 du Sud (au carrefour Yagor-Yoknéam) refusent de se débloquer, même pas d’un millimètre, et Waze annonce : « Durée estimée de l’embouteillage : une demi-heure », je tente de me consoler en me disant que ce n’est qu’une demi-heure, et je prie pour arriver à temps à 11h, pour une conférence à Béer Chéva’.
Au final, en raison d’un accident survenu sur la route 6, je n’arrivai qu’aux alentours de midi. Je m’excusai et dis au public en plaisantant : « Désolé pour le retard, lorsque je quitte la maison, je ne sais jamais comment et à quelle heure je vais arriver, et pareil pour le retour… Qui sait, je peux encore passer la nuit au poste de police… ». Je ne savais pas que c’était un moment favorable dans le Ciel lorsque j’ai parlé… Dommage que je n’ai pas parlé du Machia’h ou au moins souhaité que toutes les personnes présentes soient de grands érudits animés d’une grande foi…
La conférence s’acheva à 13h30 et au terme de toutes les questions et réponses, il était 14h30. De Béer Chéva’, je me rendis à toute allure à Ashkélon, je me suis vraiment dépêché, vous pouvez demander aux radars qui n’ont pas manqué de m’envoyer un petit rappel par la poste, y compris une photo de ma voiture avançant à toute allure. En bref, j’ai roulé hyper vite pour une autre conférence à Ashkélon, et j’ai alors commencé à sentir un brouillard autour de moi… J’étais très fatigué, en particulier du fait que j’étais rentré la veille à la maison uniquement à deux heures du matin.
La conférence s’acheva assez tard, il me restait quelques heures jusqu’à une rencontre que j’avais fixée dans la région du centre avec un couple pour des problèmes d’entente conjugale… « Excellent, pensais-je, au moins vais-je pouvoir étudier quelques heures », je mis le moteur en marche et me rendis à la Yéchiva de Kiriat Malakhi, où règne une belle atmosphère d’étude et de sainteté, et, surtout, personne ne me connaît, donc je peux étudier en paix sans que l’on m’interrompe par des questions comme : comment ça va, que fais-tu là ? etc.
Je sortis me préparer un café, et vis sur l’écran de mon téléphone : dix appels en absence, toutes de la même personne, un ami qui prie avec moi dans la même synagogue. Je le rappelle et il m’explique qu’un couple se marie la semaine prochaine et une femme de Netanya leur a offert une somme d’argent et un immense service neuf d’ustensiles de cuisine. Or, personne ne peut chercher ce paquet, il me demande si je suis dans le coin et prêt à aider. J’acceptai, j’étais de toute manière sur la route numéro deux, ce n’était pas un problème de passer quelques minutes à Netanya…
Il était près de minuit à la fin de mon rendez-vous qui se solda par un échec avec les membres de ce couple qui ne savent pas ce qu’ils veulent d’eux-mêmes et encore moins l’un de l’autre (tous deux sont persuadés d’être parfaits et d’avoir été arnaqués…). Je passai à Netanya pour prendre les ustensiles, et rencontrai la femme, suivie par son mari, qui ne semblait pas enchanté d’être réveillé à cette heure et dans cette situation, dans le rôle de porteur d’ustensiles. Elle est vraiment Tsadika, mais elle a exagéré : des tonnes de fourchettes, de cuillères, et tous les ustensiles possibles, chacun d’entre eux emballé individuellement dans du papier journal, pour que, D.ieu préserve, ils ne se rayent pas ou se salissent en chemin, des assiettes, des plats, etc.
Je lui explique qu’il s’agit d’un couple qui s’apprête à se marier… ils n’ont pas encore 52 enfants, et, en vérité, même pas encore un enfant, donc il n’est pas nécessaire de remplir toute une voiture d’ustensiles de cuisine et de service, à moins que le jeune couple ait pour projet d’ouvrir un service de traiteur par exemple.
La femme n’entendait pas ce que je disais et son mari devait lui crier dans l’oreille tout ce que j’avais dit… Je m’éloignai quelque peu pour éviter qu’un voisin n’ouvre la fenêtre et nous lance un objet sur la tête…
Lorsque je quittai Netanya, il était très tard, je sentis que mes yeux se fermaient et que mon esprit ne fonctionnait plus vraiment… Je composai le numéro de mon épouse, en lui expliquant que j’étais obligé de m’arrêter en cours de route pour me reposer et qu’elle ne s’inquiète pas si je n’arrivais pas jusqu’au matin.
J’entrai dans un chemin de terre entre ‘Hadéra et Césarée, j’éteignis je moteur, je mis un réveil pour une demi-heure plus tard, en espérant que j’arriverais à me réveiller suffisamment en forme pour conduire, et je m’endormis.
Vingt minutes plus tard, je me réveillai, ébloui par des lumières qui éclairaient ma voiture, j’ouvris les yeux et vis une jeep noire entrer rapidement sur le chemin de terre où je m’étais garé, il éteignit le moteur de la voiture, les phares, et disparut dans l’obscurité, j’étais aussi invisible en raison de l’obscurité, il ne m’avait pas vu.
Quelques minutes plus tard, une voiture familiale apparut, dont je n’arrivai pas à identifier le modèle, elle pénétra aussi dans cette zone, et se gara dos à dos avec la jeep, coffre contre coffre. C’était suspect, je continuai à observer en silence sans faire le moindre bruit, les portes s’ouvrirent, deux hommes de très grande taille sortirent de la voiture, c’était sans aucun doute des hommes appartenant à la minorité issue d’un des villages avoisinants. Que faisaient-ils à une heure pareille ? Ils n’étaient certainement pas à la recherche d’un Minyan pour ‘Arvit… Je pensais à mettre le moteur en marche et à m’enfuir, mais, en y réfléchissant à deux fois, s’ils devaient cacher quelque chose, ils allaient certainement s’assurer que je n’allais pas les dénoncer… En bref, comme le dit la Guémara : dans un tel cas, il est préférable de ne pas agir.
Les deux hommes se serrèrent rapidement la main, ouvrirent le coffre, et commencèrent à transférer des objets étranges de toutes tailles emballés dans du papier journal. « Ce sont sûrement des armes, pensais-je… ». Je redoutais qu’un engin explose ici, avec moi… Sans y réfléchir à deux fois, je baissai la tête et composai le numéro de la police en silence et racontai que deux hommes arabes échangeaient des objets suspects ressemblant à des armes, emballés dans divers emballages. La standardiste m’écouta attentivement et me demanda exactement ce que je voyais et où je me trouvais, je lui expliquai que je ne voulais pas parler trop longuement pour ne pas me faire repérer par ces deux hommes qui pourraient très vite me transformer en chair à pâté, et je transmis l’adresse exacte que m’indiquait mon GPS.
Au bout de quelques instants, je respirai enfin, les deux véhicules avaient disparu, la police n’était certes pas encore arrivée, mais au moins, j’étais hors de danger… Je sentis que je pouvais reprendre la route, l’adrénaline était en forte concentration dans mon sang pour m’empêcher de m’endormir en route.
Je quittai cette zone, je conduisis trois secondes, lorsque j’aperçus trois fourgons de police me suivre, ils m’entourèrent de toutes parts tout en me criant dans le haut-parleur en arabe toutes sortes d’ordres que je ne compris pas. Après plusieurs tentatives en arabe, le policier se mit à hurler en hébreu : « Arrête-toi immédiatement sur le bas-côté, sinon, nous devrons t’arrêter de force ».
Je voulus leur demander : pourquoi directement de force, nous sommes des gens bien, nous pouvons parler pour mettre les choses à plat, je pourrai leur expliquer tout ce qu’ils veulent. Je pense n’avoir commis aucune infraction de la circulation dans les dernières vingt-quatre heures, et même si j’en avais commis, la contravention est déjà en route pour mon domicile, alors pourquoi me sanctionner deux fois pour la même faute ? Mais ils ne m’ont pas vraiment demandé mon avis.
J’arrêtai la voiture sur le côté, les policiers sautèrent du fourgon tout en gardant leurs distances : « Sors du véhicule », cria un policier un peu fort. Lorsque je descendis de la voiture, les policiers me demandèrent d’où je venais. « Du chemin de terre après ‘Hadéra ». « Qu’as-tu fait là-bas ? », demanda le même policier. « Rien, je me suis reposé pour reprendre des forces… ». Lorsque je voulus continuer à faire le récit des deux voitures, puis de mon appel à la police, la policière à ses côtés m’interrompit et déclara avec le cynisme des policiers : « Tu reprenais des forces, hein ? En prison, tu auras beaucoup de temps pour reprendre des forces… », dit-elle tout en ouvrant le coffre et en examinant son contenu. « C’est quoi tout ça ? », demanda le policier moustachu du deuxième fourgon : « Quelqu’un a demandé que je transfère ces objets depuis Netanya : des ustensiles de cuisine pour un couple qui se marie la semaine prochaine », répondis-je.
La policière regarda l’immense quantité d’objets qui remplissait tout le coffre et dit au moustachu : « Chmoulik, ferme le coffre, pour éviter que les preuves ne soient brouillées… ». Puis, elle annonça immédiatement dans le talkie-walkie : « J’ai besoin d’un scientifique et d’un démineur… oui… beaucoup d’objets suspects emballés dans du papier journal… Ça a l’air d’une grosse affaire, peut-être de dimension internationale. »
« Donne la clé et entre dans le fourgon », m’ordonna le gros policier. Je redoutais de parler de peur de m’embrouiller encore plus sur ce que je n’avais pas fait, et alors que le fourgon avançait à toute allure avec la sirène allumée et les lumières bleues sur le toit, je demandai : « Où m’emmenez-vous et pourquoi ? »
« La division des enquêtes voudrait te poser quelques questions personnelles », répondit le gros tout en éclatant de rire, il se tourna à nouveau vers moi et me dit : « J’espère que tu as un bon avocat… ce qui est certain… tu te ressourceras comme il faut pendant les quelques années où tu seras en prison », déclara-t-il tout en riant à gorge déployée et en mordant de manière très impolie dans un Borékas aux épinards qu’il avait en main.
Au département des enquêtes, on l’accueillit presque comme une jeune mariée contente de voir sa belle-mère, ils étaient moins sympathiques que le gros, mais au moins ils ne mangèrent pas de Borékas aux épinards devant lui de manière grossière. Après un temps indéterminé au cours duquel on m’avait posé des questions sur mon appartenance à divers organismes islamiques et criminels de toutes sortes, un policier en lunettes entra et déclara : « C’est une erreur… Le démineur et le scientifique ont dit que la voiture était ok, et ils ont sans doute loupé la bonne voiture. »
La porte de la pièce s’ouvrit et on m’annonça officiellement ma libération tout en s’excusant laconiquement pour l’inconfort que l’on m’avait causé.
À six heures du matin, j’arrivai dans ma ville et directement à la synagogue pour prier, je crois que je n’ai jamais eu une Kavana (intention) aussi bonne dans la bénédiction « Matir Assourim - qui libère les prisonniers »…
Ce qui est clair, c’est que j’ai appris à faire attention à ce que je dis. Allez savoir si c’est juste un moment de faveur divine, alors au moins, parlons bien !
Rav Ouziyahou Eli