Je suis né dans une famille non-religieuse. Pas seulement non pratiquante mais athée. On ne croyait en rien, on ne respectait même pas Yom Kippour, on n’a même pas fêté ma Bar-Mitsva.
Vers l’âge de 15-16 ans, j’ai commencé à me poser des questions, et à traîner avec tout un tas de gens louches. J’avais l’air patibulaire avec mon crâne rasé à droite et à gauche et ma crête au milieu. J’ai causé beaucoup de soucis et même de honte à mes parents en cela que je ne voulais pas servir dans l’armée. Or s’il y a bien une « religion » que mes parents respectaient, c’était celle de l’armée de défense de l’État d’Israël. Et moi je restais athée même concernant cette « religion ». Cela ne me disait tout simplement rien d’y aller.
Mes parents ont commencé à me faire un lavage de cerveau, mais en vain. J’ai beaucoup bourlingué en Erets et j’ai passé mon temps avec tout un tas de gens différents. Ça vaudrait en soi tout un bouquin. Je crois vraiment connaître chaque route et chaque sentier du pays.
J’ai décidé de partir en Inde pour trouver une signification à la vie. Où ne suis-je pas allé ? J’ai erré dans tout un tas d’endroits, j’ai connu personnellement toutes les sectes possibles et imaginables. Les gens ne connaissent pas la force d'attraction de tous ces cultes, mais celui qui a été là-bas est payé pour le savoir.
La raison en est très simple : à l’époque permissive qui est la nôtre, un jeune non-religieux banal a expérimenté toutes les possibilités matérielles qu’offre le monde dès l’âge de 17-18 ans. Allez, disons qu’il lui en manque une ou deux, et ce sera fait vers 21 ans au maximum. Il sait qu’il n’y a plus rien qui l’attire, mais il ne sait pas pourquoi il vit. Beaucoup de garçons ont mis leur vie en danger, parce qu'ils n’avaient pas de but dans la vie. Ce n’est que là qu’ils ont compris que pour profiter de quelque chose, on doit en profiter de façon mesurée et limitée. En Israël, en raison du grand « bashing » contre les orthodoxes, beaucoup ne pensent même pas à se rapprocher du judaïsme. Ils sont à la recherche d'autre chose et se retrouvent en Inde.
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Il faut savoir qu’il y a un truc génial en Inde : les gens vivent avec un état d’esprit complètement différent. Ils ne courent pas, ne se soucient de rien, ont une réponse à toute question. Il y a là-bas des gens vraiment extraordinaires.
J’ai rencontré des moines qui exercent un exceptionnel contrôle sur leur vie, qui peuvent faire pénitence, ne pas manger, ou ne pas bouger une main pendant des années. J'ai même rencontré un moine qui pratiquait des exercices de respiration et qui a décidé que si un serpent pouvait contrôler son souffle et arrêter de respirer pendant une longue période, alors lui aussi pouvait le faire. J’ai aussi été très impressionné devant leur dévotion à leur cause. Je ne connaissais pas de telles choses. Je fais partie d'une génération gâtée, qui n’a jamais fait d’efforts pour rien. Je ne pouvais qu’admirer une telle détermination.
Mais finalement, je n’ai pas non plus succombé à leur croyance. « Quel est le but de tout cela ? Même s’il y a de quoi s’ébahir de voir un homme ne pas bouger son bras pendant des années ou suspendre sa respiration, quelle est la finalité de telles choses ? », me disais-je.
Autant j’étais émerveillé par leurs capacités spirituelles, autant je les méprisais de les gaspiller pour des choses aussi futiles.
J’ai roulé ma bosse encore et encore, jusqu’à arriver chez le Dalaï-Lama. Tibétain d’origine, il a réussi à fuir le Tibet envahi par les Chinois, lesquels ont tué des millions de Tibétains. Il vit désormais en Inde.
Le Dalaï-Lama est l’un des rares dirigeants de ce monde à ne pas vouloir entendre parler de violence, même dans un but de défense. De par sa croyance particulière, les Tibétains n’ont pas de pays et sont humiliés et déshonorés. Et malgré tout, tout le monde l’adore vraiment. Cet homme a également reçu le prix Nobel pour son attachement viscéral à la paix.
J’étais fasciné par la personnalité du Dalaï-Lama. Je venais tous les jours écouter son sermon à quatre heures et demie du matin. C’est un homme intelligent et cultivé. Je ne lui voyais aucun défaut.
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Dans le même temps, on s’inquiétait pour moi à la maison. Mon papa m’a écrit une lettre dans laquelle il me disait qu’il avait entendu que je devenais fou. Je lui ai répondu poliment que je me trouvais à un « carrefour » de ma vie. Quand j’ai envoyé ma lettre, j’ai compris subitement que rien que du fait de cette expression subtile, il comprendrait que son fils déraille un peu. Qu’est-ce qui m’a pris de répondre ainsi ?
Le soir même, j’ai parlé avec un proche du Dalaï-Lama qui m’a promis de m’introduire auprès du Maître après son sermon.
Et j’ai pu effectivement lui être présenté. C’est un homme distingué, qui accueille chacun avec le sourire. Il m’a salué et m'a offert un siège. Je lui ai parlé rapidement. Je lui ai dit que j’avais décidé de rejoindre sa religion et lui demandais s’il était prêt à m’accepter.
En anglais, il m’a demandé d’où je venais.
Je lui ai répondu que je venais d’Israël.
Il m’a demandé si j’étais Juif.
Je lui ai répondu que oui.
Alors il a réagi d’une façon un peu bizarre. Son visage souriant est devenu songeur, voire même un peu menaçant. Il m’a dit qu’il ne comprenait pas ma démarche, que je ne pouvais pas faire cela. Il m'a assuré que toutes les religions essaient d’imiter le judaïsme. Il m’a lancé qu’il était sûr que j’évoluais en Israël avec les yeux fermés. C’est l’expression qu’il a employée. Il m’a demandé de monter dans l’avion, de retourner en Erets et d’y ouvrir les yeux. Il a ajouté que personne ne peut préférer la copie à l'original.
Et il m’a renvoyé d’un revers de main.
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Ce jour-là, je n’ai pas pu penser à quoi que ce soit d’autre. Je me disais : "Je suis un Israélien qui ne sait rien de sa propre religion. Il a fallu que je bourlingue autant pour m’entendre dire finalement par un dirigeant spirituel Goy que je suis aveugle, et que je suis allé jusqu’au bout du monde pour trouver ce que j’avais juste à portée de main ?"
Je suis retourné en Israël et je suis entré à la Yéchiva. J’ai constaté que le Dalaï-Lama avait raison. Le judaïsme est présent de façon intensive tout au long de la vie. Il a des règles, des limites et de nombreuses raisons de vivre. Au moins 613 : les 613 Mitsvot.
Environ deux ans après avoir fait Téchouva, on m'a proposé un Chiddoukh. Je l'ai accepté. J'ai alors rencontré une fille de mon âge, ayant elle aussi fait Téchouva, s'étant elle aussi "cherché" en Inde, à Goa, et je ne sais où encore. Nous nous sommes découverts les mêmes doutes, un même dépit de la vie, une même recherche de sens et un même retour aux sources. Après quelques rencontres, j'ai informé la Chadkhanit que je voulais "fermer" l'affaire, et je me suis effectivement fiancé.
Immédiatement après les fiançailles, je me suis tournée vers la Chadkhanit car je voulais lui régler ses honoraires. Or elle a refusé en me répondant : "Je ne le mérite pas".
"Comment ça ?, lui ai-je répondu. Mais enfin, c'est bien la coutume juive de payer le marieur ! Et qui est le marieur ?"
"Je ne sais pas, a-t-elle répondu. Ta fiancée s'est adressée à moi avec ton nom sur un petit papier, et elle m'a demandé à t'être présentée. Elle ne savait cependant rien de toi, mais elle m'a dit que quelqu'un en qui elle avait confiance lui avait donné ton nom".
Une fois la fête des fiançailles terminée, j'ai raccompagné ma nouvelle fiancée et je lui ai demandé avec circonspection : "C'est quoi cette histoire de Chiddoukh ? Dis-moi qui est exactement le Chadkhan, afin que je puisse le régler".
Et elle de répondre : "Pour cela, il te faudra voyager jusqu'en Inde".
Avant même que je n'ai le temps de répondre quoi que ce soit, elle a continué : "Je ne t'ai pas encore dit que vers la fin de mes "recherches" en Inde, je suis arrivée chez le Dalaï-Lama. Il m'a énormément impressionnée et je voulais suivre sa voie. Or quand il m'a rencontré, il m'a dit que dans la mesure où j'étais juive, je ne devais pas échanger de l'or contre de l'argent, et que je devais reprendre contact avec mes propres racines. Il s'est entretenu à voix basse avec l'un de ses secrétaires, lequel s'est absenté quelques minutes avant de réapparaitre porteur d'une petite carte de visite. Le Dalaï-Lama a recopié le nom d'une personne sur un morceau de papier et il m'a dit : "C'est ton âme sœur".
"Je suis revenue en Erets et je suis entrée dans un internat pour jeune filles en cours de Téchouva. Mon parcours a été facile et rapide. C'est comme si je découvrais la lumière, au départ sur les conseils du Dalaï-Lama qui me fascinait ; mais ensuite c'était une lumière beaucoup plus intense qui m'attirait.
C'est au bout d'un an que j'ai décidé de partir à ta recherche. Je me suis adressée à de nombreux Chadkhanim munie de ton nom, mais ils ne t'ont pas trouvé dans les Yéchivot pour Ba'alé Téchouva. Finalement, c'est par une amie que j'ai retrouvé ta trace. Dès la première rencontre, j'ai compris que le Dalaï-Lama était un "Chadkhan professionnel". Il a exactement compris ce que je recherchais et a inscrit ton nom sur ce papier.
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Voilà, c'est notre histoire. Elle me parait très particulière. Nous sommes mariés depuis déjà 10 ans, et nous avons quatre enfants. Je m'investis dans l'étude de la Torah toute la journée et ma femme est une maîtresse de maison hors pair. Même mes parents, comme les siens, qui sont des personnes riches et cultivées, ne peuvent que s'émerveiller de notre façon de vivre et de la réussite de notre couple. Eux aussi connaissent l'histoire du Dalaï-Lama, et ont même raconté avec fierté à leurs amis que le Dalaï-Lama en personne avait été le marieur de leur fils...
À dire vrai, malgré la distance qui nous sépare désormais de l'Extrême-Orient, nous avons tous les deux une affection particulière pour le Dalaï-Lama. Nous avons entendu beaucoup d'autres histoires dans lesquelles il a renvoyé les gens en Israël et les a rapprochés de leur foi. Vraiment, c'est un homme exceptionnel.
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Il y a quelques années, il est venu en Israël. Nous voulions vraiment le rencontrer, pour lui témoigner notre reconnaissance, mais ma femme m'a dit : "Je crois qu'il préfèrerait que nous ne fassions pas ça." Je l'ai regardée et je savais qu'elle avait raison. C'était peut-être un conseil soufflé par le mauvais penchant, comme pour nous faire mélanger le sacré et le profane.
Après que le Dalaï-Lama soit reparti, je suis allé voir mon rabbin et lui ai demandé ce qu'il était permis ou interdit à ce sujet. Il m'a dit qu'en tant qu'homme, je dois ressentir de la gratitude envers lui, et le considérer comme Justes parmi les nations, mais pas plus que cela. D'ailleurs, lui-même n'avait pas voulu plus, sinon il aurait laissé ma femme et moi-même l'élire comme notre guide spirituel ; or il nous a renvoyés au cœur de nos racines.
"Souviens-t'en en tant qu'homme, m'a dit mon Rav, mais oublie-le comme le Dalaï-Lama. Cela n'est pas bon pour toi."
Je suis revenu chez moi, plongé dans mes pensées. "Mon Rav a raison, pensais-je. Ce n'est pas seulement au titre de ma reconnaissance que je voulais le voir. C'est lui que je voulais approcher à nouveau, et peut-être même ce qu'il représente au fond de mon cœur".
Le Yétser Hara’ a ses propres voies. Il est plus fort que la volonté du Dalaï-Lama, qui nous a éloignés de lui. Mais moi je suis plus fort que ma propre volonté. L'idolâtrie n'est pas quelque chose qui disparait si rapidement du cœur.
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Je suis arrivé à la maison, j'ai ouvert mon album de photos devant ma femme, j'ai pris les photos du Dalaï-Lama et je les ai déchirées, sereinement, sans haine et même avec respect. Qui mieux que lui sait qu'il n'y a là aucun manque de reconnaissance, mais bien plutôt la plus grande preuve de ma reconnaissance envers lui. C'est même en cela que j'ai suivi ses recommandations de la façon la plus complète possible.