Nous disons dans la Amida : « D.ieu d'Abraham, D.ieu d'Isaac, et D.ieu de Jacob. » Pourquoi ne dit-on pas « D-ieu d'Abraham d'Isaac et de Jacob » ? Cela éviterait les répétitions, n’est-ce pas ? Selon le Baal Chem Tov, c’est parce que Isaac et Jacob n'ont pas basé leur action sur l'attitude et la façon de servir d'Abraham. Ils ont eux-mêmes recherché leur propre voie vers l'unité et le service du Créateur. Trouver sa propre voie dans le service de D.ieu est quelque chose d’essentiel dans le judaïsme. Certes le respect de la Torah et des Misvot forme un tronc commun auquel nous sommes tous astreints, néanmoins D.ieu n’a pas créé des clones. Il a fait des êtres différents. Et Il attend de chacun de nous qu’il apporte sa facette à ce merveilleux diamant qu’est le peuple d’Israël. La gemme pourra alors refléter la lumière Divine dans toute sa splendeur. Ben Azzai avait l’habitude de dire : « Il n’est personne qui n’ait son heure, et il n’y a rien qui n’ait sa place. » Loin de rechercher l’uniformité, le judaïsme insiste sur le fait que chaque personne a une mission unique, et tout le service de D.ieu d’un individu doit être basé sur l’accomplissement de cette mission. Mais comment trouve-t-on sa voie dans le service du Créateur ?
Nos Rabbanim nous enseignent que parmi les traits de caractère qui nous aident à acquérir la Torah est le fait de connaitre sa place. La principale exigence pour un réel succès est de savoir qui nous sommes. Quoiqu’il ne soit pas prouvé que l’homme doive passer beaucoup de temps à se chercher dans les premières étapes de son développement, lorsqu’il pose les bases de sa progression future, à long terme, ceci doit être fait. L’homme ne peut atteindre le réel succès en suivant simplement les autres. Chacun d’entre nous vient au monde avec un Chorech Hanechama (racine de son âme) unique. Une personne sera profondément concernée par le Messilat Yesharim, tandis que seul le Chaarei Techouva suscitera un changement chez une autre. Pour cette raison, le ‘Hafets ‘Haïm dit que nous ne devons pas critiquer un livre ou un cours car même si nous ne l’avons pas apprécié (à moins qu’il ne soit franchement erroné) il peut être parfaitement adapté à un autre. De la même manière qu’une personne aura l’air ridicule à se vêtir des habits de quelqu’un d’autre, personne ne réussira vraiment en empruntant la voie d’un autre dans la vie. Il n’existe tout simplement pas d’idéal platonique de l’homme parfait. La perfection de chacun diffèrera et sera atteinte d’une autre manière. Le Netsiv (HaEmek Davar, Bamidbar 15 ; 41) dit que si quelqu’un vous demande de lui dire quel chemin il doit prendre, votre réponse devrait être qu’il doit poursuivre le chemin que son cœur désire dans la large sphère de la Torah et des mitsvot...
D.ieu nous a donné les outils nécessaires à l’accomplissement de notre tâche. Nous devons observer avec attention ces outils spécifiques est un moyen de l’identifier. Si nous étions placés sur un chantier avec un sac à outils par un chef d’équipe intelligent, tout ce que nous aurions à faire serait de regarder autour de nous, voir ce qui est en train de se construire dans votre voisinage immédiat et quels outils nous ont été donnés. Nous saurions alors tout de suite ce que nous avons à faire. Manifestement, nous avons été dotés des outils précis dont nous avons besoin pour ce travail. La vie n’est pas une plaisanterie – nous avons une tâche à accomplir et nous avons de manière définitive été dotés de tout ce dont nous avons besoin pour l’accomplir. Un examen méticuleux de notre place dans le monde et des outils que sont nos traits de caractère personnels, nous donnera une image claire de qui nous sommes et de ce que nous devons faire... Encore une fois, les outils sont précisément adaptés au travail à effectuer. Nous comprenons que Celui qui a créé toute l’entreprise donne à chacun exactement ce dont il a besoin pour faire le travail qui lui a été attribué. C’est donnant donnant !
Rav Rav Beryl Gershenfeld parle de trois choses à observer afin de déceler son unique mission.
1 Ce que je suis capable de faire ? – les caractéristiques qui font de moi « moi », une personne à l’écoute, etc.
2 Ce que j’aime faire ? – les choses qui m’attirent, que j’aime faire, que j’aie ou non les capacités et les moyens de les accomplir.
3 En quoi ma société, ma communauté et D-ieu ont- ils besoin de moi ? – ma mission est la réunion de mes talents, de mes aspirations avec les besoins du moment.
C’est ainsi que Sarah Schneirer, une couturière polonaise du début du 20ème siècle, révolutionna le système éducatif juif en créant les écoles pour filles Beth Yaacov. Après des siècles de pogroms, de persécutions et de pauvreté, l’étude des matières juives avait considérablement décliné. Sarah Schneirer comprit qu’il fallait agir et elle en avait les forces. Elle s’attela à la tâche, et en 1937, on comptait 250 Beth Yaacov avec 38 000 élèves à travers l’Europe de l’Est et du Centre, ainsi que des organismes de jeunesse et des camps d’été. À l’heure actuelle, c’est le plus large système d’éducation des femmes juives dans le monde. Chacun de nous peut accéder à la grandeur lorsqu’il exploite son potentiel et utilise les outils que D.ieu a mis à sa disposition. C’est la voie de nos patriarches.
Concluons par une petite histoire. Rabbi Israël de Rizhin, un arrière-petit-fils du Maggid de Mezeritch, avait une forme de service unique qui était remarquablement différente de celle de ses ancêtres. Le père du Rabbi de Rizhin, Rabbi Shalom Shachna de Prohobisht a ouvert une nouvelle voie à la hassidout, qui a été élargie par son fils, Rabbi Israël, et suivie par de nombreux Admourim de la dynastie Rizhin-Sadigora. Il se conduisit de la manière la plus royale. Au lieu du Bekeshe blanc et soyeux (long pardessus hassidique) de ses ancêtres, il préférait une tenue de laine élégante, même si les hassidim évitaient les vêtements de laine par peur de Cha'atnez (un mélange interdit de laine et de lin). Il s'habillait élégamment devant un miroir, acte permis par le Talmud uniquement aux descendants de Rabban Gamliel. Ses cheveux étaient soigneusement coiffés de ses courtes papillotes, et au lieu de la pipe à l'ancienne, il fumait des cigarettes coûteuses. Il vivait dans une belle maison superbement meublée et insista pour que sa femme s'habille à la mode. Même son service de D.ieu défiait la norme. Pendant le mois d'Eloul, quand tout le monde priait et étudiait avec une intensité inhabituelle en prévision du jugement sur Roch HaChana et Yom Kippour, Rabbi Shalom Shachna passait une grande partie de la journée dans la forêt. Ce n'est que vers le soir qu'il rentrait chez lui pour Min’ha.
Pour n'importe qui d'autre, un tel comportement aurait pu être suspect, mais son grand-père, Rabbi Na’houm de Tchernobyl, comprenait qui était Rabbi Shalom Shachna, même s'il ne savait pas pourquoi il adoptait de telles pratiques.
Néanmoins, sa conduite suscitait la colère des hassidim de Rabbi Na’houm. Après plusieurs plaintes, Rabbi Na’houm l’avertit : « Mon fils, ton chemin est dangereux. Tu marches sur le fil d'un rasoir, et un faux pas pourrait être fatal. »
Rabbi Shalom Shachna a répondu par la parabole suivante : « Une fois, un poulet s'est assis sur des œufs de canard. Après avoir éclos, les canetons pensaient qu'ils étaient des poulets et suivaient leur « mère » partout. Lorsqu'ils sont arrivés à une rivière, ils ont sauté et ont commencé nager. « Les enfants, hurla la mère poule, vous pourriez vous noyer ! » « N'aie pas peur maman, répondirent les canetons. C'est notre élément. » Satisfait de cette réponse, Rabbi Na’houm dit à ses hassidim de cesser de critiquer Rabbi Shalom Shachna, car il agissait pour l'amour du Ciel.