Dévarim 17:14-15 : « Quand, arrivé dans le pays que l'Éternel, ton D.ieu, te donne, tu en auras pris possession et y seras bien établi, si tu dis alors : "Je voudrais mettre un roi à ma tête, à l'exemple de tous les peuples qui m'entourent", tu pourras te donner un roi, celui dont l'Éternel, ton D.ieu, approuvera le choix. »

Chémouël I, 8:4-7 : « Aussi, tous les anciens d'Israël se réunirent, allèrent chez Samuel à Rama, et lui dirent : "Vois, tu es âgé, et tes fils ne suivent pas tes voies ; donne-nous donc un roi pour nous gouverner, comme en ont tous les peuples." Cela déplut à Samuel de les entendre dire : "Donne-nous un roi pour nous gouverner"; et il adressa une prière au Seigneur. Mais le Seigneur dit à Samuel : "Cède à la voix de ce peuple, fais ce qu'ils te disent ; ce n'est pas toi qu'ils rejettent, c'est Moi-même, dont ils ne veulent plus pour leur roi. »

La Torah affirme qu'à l'avenir, lorsque le peuple demandera un roi, il faudra en oindre un. Dans le Livre de Chemouël, le peuple fait cette requête. Mais cette demande enflamma la colère de Chemouël et Hachem la considéra également de manière très négative, comme une preuve que le peuple avait rejeté D.ieu. Les commentateurs discutent en détail pourquoi cette requête était inappropriée, étant donné que la Torah elle-même prescrit la nomination d'un roi.

Avant de décrire leurs approches, il est tout d'abord important de relever que la question de savoir si la nomination d'un roi constitue une Mitsva ne fait pas l'unanimité. Certains commentateurs remarquent que la Torah ne demande pas simplement de nommer un roi, mais plutôt que si le peuple demande un roi, alors il faudra en nommer un. D'après cette approche, il n'y a aucune obligation de nommer un roi, mais si le peuple désire un roi, il est permis d'en nommer un.[1] En effet, d'après une opinion de la Guémara[2], il n'y a pas d'obligation de nommer un roi. Mais la majorité des Richonim [3] suivent l'autre avis de la Guémara selon lequel c'est une Mitsva positive de nommer un roi. Le Ramban explique que la raison pour laquelle la Torah fait précéder la Mitsva de la clause : si tu dis alors : « Je voudrais mettre un roi à ma tête », tient au fait que la Torah décrit simplement la manière dont cela se déroulera à l'avenir. Mais cela ne sous-entend pas que sans la requête du peuple, il n'y aurait pas de Mitsva de se donner un roi.

Quant à la question de savoir pourquoi Hachem et Chemouël ont été fâchés par cette demande, nous rapportons plusieurs explications.[4]

1. D'après le Radak, leur erreur a été de demander un roi « à l'exemple de tous les peuples », ils voulaient un roi simplement pour ressembler aux peuples non-juifs qui étaient tous dirigés par des rois. Mais la question évidente sur cette réponse est que la Torah elle-même affirme qu'ils demanderont un roi comme tous les peuples, alors pourquoi est-ce si problématique ? Une manière de répondre à cette question s'appuie sur le passage du Ramban mentionné ci-dessus affirmant que la Torah se contente de citer le déroulement d'événements futurs, mais ne suggère pas que c'est une manière correcte de demander un roi. Une autre réponse se focalise sur un terme supplémentaire employé par le peuple dans la requête adressée à Chemouël : Léchafténou, à savoir nous juger. Ils voulaient que le roi les juge comme les souverains non-juifs, en s'appuyant sur des lois reposant sur le bon sens, à l'opposé des lois de la Torah. Telle a été leur erreur : le roi juif est censé guider le peuple en s'appuyant sur les lois de la Torah, et l'un de ses rôles essentiels consiste à s'assurer que le peuple respecte correctement la Torah. Or, le peuple n'était pas intéressé par cet aspect de la royauté, ils voulaient simplement un souverain sur le même modèle que celui des nations.

2. Le Sifri[5] déclare de manière énigmatique que la raison pour laquelle ils ont été punis tient au terme Hikdimou, à savoir qu'ils en ont fait la demande trop tôt. Le Malbim[6] explique qu'ils n'auraient pas dû demander un roi à ce moment-là : la Mitsva consistant à nommer un roi ne s'appliquait que lorsque le peuple vivait selon les lois ordinaires de la nature, car alors ils avaient besoin d'un monarque pour les guider dans les affaires publiques, pour mener les guerres et pour les juger. Mais à l'époque de Chemouël, ils vivaient au-delà des lois de la nature ; Hachem, pour ainsi dire, les conduisait en guerre, c'est-à-dire que leurs victoires en guerre intervenaient au-delà des lois de la nature. Ils étaient capables de vivre à ce niveau lorsque l'illustre Chemouël les dirigeait, et ils n'auraient dû demander un roi qu'après sa mort. C'est, d'après le Malbim, ce que le Sifri visait lorsqu'il affirma qu'ils avaient demandé un roi trop tôt.

3. Le Kli Yakar [7]propose une explication différente sur l'erreur du peuple. Il remarque que dans la Torah, il est dit que le peuple doit faire sa demande en ces termes : mettre un roi à ma tête, alors que lorsque le peuple a demandé un roi, ils ont dit : mettre un roi à notre tête. La différence tient à ce que lorsque la Torah prescrit de demander un roi, cela signifie que le roi doit être au-dessus du peuple, et qu'ils doivent lui être asservis. Or, ils ne voulaient pas être inféodés au roi, ils voulaient plutôt un souverain pour les servir et mener les combats pour eux, d'où leur formulation d'un roi « pour nous. » Chemouël les réprimanda pour leur requête, et insista sur les nombreuses manières dont ils seraient inféodés au roi. Ils réalisèrent alors leur erreur et modifièrent leur langage, demandant plus tard un roi pour régner sur eux.[8]

Peu importe la nature exacte de leur erreur, mais il va de soi que le peuple a commis une faute dans la manière d'exposer sa demande d'obtenir un roi. Mais il n'est pas manifeste qu'ils ont été punis à ce titre. Le Ramban [9] explique qu'ils ont été punis en obtenant le « mauvais » roi. La Torah affirme que le roi doit être issu de la tribu de Yéhouda[10], mais comme le peuple a présenté sa demande de manière erronée, ils ont obtenu un roi d'une tribu différente, dont le règne devait être temporaire.

La faute sous-jacente du peuple aura sans doute été de ne pas reconnaître l'aspect exclusif du roi juif, contrairement à un roi des nations. Le rôle du roi juif, outre ses fonctions ordinaires de mener les combats et de diriger le peuple, était de guider le peuple dans les voies de la Torah. De nos jours, nous n'avons pas de rois dans le sens du terme de la Torah, mais l'attitude erronée du peuple nous enseigne une leçon importante dans la manière de considérer les dirigeants et les modèles de référence. Nos dirigeants ne sont pas censés faire simplement nos quatre volontés, mais un dirigeant imprégné des valeurs authentiques de la Torah doit guider le peuple à craindre D.ieu et à Le servir. Ce principe s'applique aux dirigeants de la communauté et aux rabbins : notre but n'est pas de vouloir simplement un rabbin qui accomplit ses fonctions de présider aux cérémonies de mariages et d'enterrements, mais plutôt une figure spirituelle qui nous incite à progresser. L'erreur du peuple à l'époque de Chemouël doit nous servir de rappel pour nous aider à discerner les qualités d'un dirigeant.

 

[1]Ibn Ezra, Dévarim, 17:14 ; Rabbénou Bé'hayé, ibid.                  

[2]Sanhédrin, 21a.

[3]Ramban, Dévarim, 17:14 ; Radak, Chemouël I, 8:3.

[4] Voir Michbétsot Zahav, Chemouël I, p.143-147 pour une description de plusieurs approches. Dans ce texte, nous citons trois des principales explications.

[5]Sifri, Choftim.

[6]Malbim Al HaTorah, Dévarim, 17:14

[7]Kli Yakar, Dévarim, 17:15.

[8]Chemouël I, 8:19.

[9]Béréchit, 49:10.

[10]Ibid.