Nous vivons une époque où même le plus « modeste » d’entre nous possède un blog, un compte Twitter ou un site internet… ou un moyen quelconque de faire entendre sa voix, ses attentes, ses « enseignements », etc. Comme vous pouvez l'imaginer, si l'humble est si prompt à vanter ses dons, alors le plus orgueilleux et le plus puissant est certain de nous conformer à sa vision du monde.
Nous sommes une création pleine d’orgueil. Pourtant, nous savons, de par nos enseignements et notre expérience, que l'orgueil est le prélude garanti à la chute. Comment alors nous en garder ? La seule façon de devenir humble est d'être honnête au sujet de notre expérience, car l'expérience est la seule voie qui mène à la véritable humilité.
La vie ne se déroule jamais selon les idéaux sacrés, théoriques, auxquels nous aspirons ; elle se développe dans la complexe expérience humaine, faite de débrouillardise.
Il y a un Midrach qui parle de Aharon alors qu’il observait le Mizbéa’h. Selon le Midrach, alors qu’Aharon regardait le Mizbéa’h, il a eu la vision soudaine du Veau d'Or. L'image l’a secoué au cœur même de son être et l’a tellement apeuré qu’il n’a pas pu s’en approcher.
La scène que présente le Midrach est ahurissante ! Voilà le Cohen Gadol en personne qui se prépare à remplir son service dans le Michkan lui-même, et quelle image lui vient à l’esprit ? Non pas la crainte et la fébrilité que nous pourrions soupçonner, alors qu’il s’approchait du point central sacré pour tous les Juifs, mais plutôt le symbole le plus profane et le plus dégradant des Juifs nouvellement rachetés, le Egel Hazahav.
Est-ce donc cela qui préoccupe l’esprit du Grand Prêtre à un moment pareil ? Que nous apprend ce Midrach ?
Maintenant, imaginez un rabbin contemporain, un enseignant vivant « pour de vrai ». Alors qu’il se tient devant sa classe, à enseigner une Guémara à ses étudiants de Yéchiva, il remarque un étudiant a priori perdu dans un rêve, les yeux ouverts.
« Yankel, demande le rabbin, à quoi es-tu en train de penser ? Je suis là, essayant d’expliquer un passage difficile du Talmud qui parle d’un bœuf qui a encorné une vache, et toi, tu es ailleurs ? À quoi penses-tu donc ? »
Imaginez ce pauvre Yankel ! Son manque d’attention n’est pas dû à une mauvaise nuit de sommeil ou à une dispute survenue plus tôt avec un ami. En fait, ses pensées sont accaparées par des photos « inappropriées » qu’il a vues sur le net la veille ! Combien ses joues brûlent de honte !
« Yankel ? »
Le pauvre étudiant baisse la tête. Comment peut-il avouer ce qui a causé sa distraction ? Pourtant n’est-ce pas essentiellement la même chose que celle que le Midrach décrit pour Aharon ? Le Grand Prêtre était incapable de se concentrer sur le Mizbéa’h parce qu'il « rêvait » du Veau d'Or ! Yankel aurait-il pu voir quelque chose de plus profane ou dégradant sur Internet que l'image qui a accaparé l'esprit d’Aharon à ce moment-là ?
Peut-être le rebbe serait-il avisé de se rappeler ce Midrach et de reconnaître que la distraction de son élève peut être causée par son incapacité à retrouver sa tranquillité d'esprit. Il a besoin d'aide et de soutien, et non pas du rejet inévitable auquel l'étudiant peut s'attendre.
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Nous ne pouvons pas échapper à notre imagination, qui crée des « réalités » qui nous troublent. Nos pensées nous conduisent vers des endroits bizarres tout comme nos pensées troublées restent brouillées par les situations baroques que nous pouvons traverser dans notre existence !
Imaginez si, plutôt que Yankel, Aharon était un étudiant de Yéchiva contemporain. Sans doute, aurait-il été expulsé de son école talmudique, tout autant que le pauvre Yankel a dû l’être. Comment osait-il rêvasser sur ces images blasphématoires ! « N’avez-vous rien de mieux à penser qu’au Veau d'Or ? Et en face du Mizbéa’h en plus ! »
Aharon ne pouvait pas échapper à ce blasphème. Il était toujours là, tapi, ombrageant ses pensées. Il ne pouvait pas résoudre la « méchanceté » pure de ce moment. Et donc, l'obscurité s’est installée.
C’est le rôle du rebbe que d’expulser un élève pour un tel blasphème, mais c’est l'expérience du blasphème qui porte la semence de la résolution ultime et de l'humilité !
C’est parce qu’Aharon était incapable de se libérer de l'image du Veau d'Or, même face au saint Mizbéa’h, qu’il a convaincu Moché qu'il était la personne apte à être le Grand Prêtre.
Cette vision de la ’Avodat Hachem (service divin) apporte deux éléments. La honte et la réticence à servir D.ieu. « Qui suis-je pour réaliser cette tâche sacrée ...? » et la volonté, le désir profond d’accomplir le commandement de D.ieu. En bref, ce qui est trop souvent perçu comme de l'inhibition et de l'insécurité est considéré par la Torah comme étant la condition préalable à une exacte et véritable ’Avodat Hachem.
Mon Rav, Rav Acher Freund, a toujours souligné que c’est ce que David Hamélèkh voulait dire quand il déclara : « Car je reconnais mes transgressions, et mon péché est toujours devant mes yeux. » (Téhilim 109: 5)
Être en mesure de voir la beauté et le caractère sacré du monde sans oublier ses propres lacunes, pour voir le monde à travers les « lunettes de nos lacunes » pour ainsi dire, est le fondement sur lequel peuvent être construits le véritable accomplissement et l'excellence humaine. La capacité de reconnaître nos propres lacunes profondes est la substantifique moelle de la véritable humilité. Aucun de nous ne devrait jamais se leurrer. Nos transgressions sont réelles et elles sont graves, que nous soyons rabbins ou de simples élèves. Aucun de nous ne peut prétendre être au-dessus de notre humanité.
Le commentaire de Rachi sur ce verset éclaire cette idée. Parce que je suis constamment conscient et préoccupé par mes péchés, il me semble que les péchés sont constamment devant moi. Ceci est ce qui a fait qu’Aharon a vu le Veau d’Or alors qu’il approchait du Mizbéa’h ; c’est ce qui doit colorer notre propre conscience de soi.
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À l’inauguration du Michkan, Moché a proclamé publiquement que Aharon avait été divinement désigné Cohen Gadol. Pourtant, Aharon est resté réticent jusqu’à ce que soit venu le temps d'exercer ses fonctions de Grand Prêtre.
« Approche de l'autel », l’a invité Moché, « et prépare tes sacrifices et tes holocaustes. »
Pourtant, Aharon n’a pas bougé. Il avait compris ses tâches ; elles lui avaient été assignées par l'Éternel Lui-même ! Ce n’était pas la confusion qui troublait Aharon. C’était plutôt sa propre crainte et sa fébrilité.
Pourtant, Moché a exhorté Aharon à réagir. Mais il l’avait sûrement compris. Après tout, n’avait-il pas tenté de se détourner de sa vocation lors de l’épisode du Buisson Ardent. « Je ne suis pas apte à cette tâche ! », avait-il protesté. Pourquoi a-t-il poussé son frère alors qu’il savait précisément les sentiments que ce dernier éprouvait en son for intérieur ?
En vérité, c’est justement parce qu'il a compris qu'il a insisté pour que son frère réagisse. « Approche de l'autel, car tu as été choisi. Enhardis-toi et vas réaliser ton service pontifical. La personne la plus douée de la véritable humilité est la mieux adaptée pour servir D.ieu. »
Le Ba’al Chem Tov suggère que cette intervention de Moché était essentielle au rôle d'Aharon. « Pourquoi es-tu ainsi réservé, docile et sans prétention ? C’est précisément parce que tu possèdes ces qualités que tu as été choisi pour occuper le poste religieux le plus élevé spirituellement. »
« L'humilité est la condition préalable à une spiritualité authentique. »
Le Ba’al Chem Tov enseigne que la modestie, la soumission, l’auto-abaissement et la douceur sont les véritables chemins vers le Divin. Ceux-ci nous mènent à reconnaître pourquoi nous avons toujours besoin de Lui. L’humilité aiguise notre attention sur notre fragile existence, de même qu’elle aiguillonne notre intimité avec D.ieu. L'humilité nous fait prier. En effet, c'est cette humilité qui a laissé Aharon très inhibé ; sa honte et son manque de confiance en lui sont les qualités mêmes qui l'ont incité à effectuer la ‘Avoda avec tant de zèle. Cette honte motive Aharon dans le verset qui suit, « Et Aharon monta vers l'autel. »
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Le Talmud enseigne que l'humilité conduit à la « peur du péché ». Sans surprise, c’est plus la fierté que l'humilité qui vient naturellement à nous. Mais la vraie humilité n’est pas le contraire de l'orgueil. C’est plutôt une plénitude de douceur et de piété qui provient d'une vraie crainte du péché. L'humilité n’est pas un acte, mais une attitude, une approche de la vie qui englobe tous les aspects de la pensée et du comportement humain.
Seule l’expérience permet d’atteindre l'humilité. Elle est le résultat nécessaire d'une prise de conscience de notre profonde imperfection. Bien que nous soyons créés à l'image de D.ieu, nous avons également été formés à partir de l'argile de la terre. Quoi que nous fassions, où que nous nous tournions, le péché, l'erreur et l'échec nous attendent.
Aharon a servi en qualité de Cohen Gadol et pourtant, il reste à jamais humilié par son lamentable échec à l'autel du Veau d'Or. Un péché terrible ! Pourtant, c’est précisément en raison du souvenir de son terrible péché qu'il était le plus digne à accomplir le service de D.ieu. Ce souvenir inspire l'humilité qui fait de lui un grand.
Seul un être véritablement humble peut devenir un grand. Et seul celui qui a péché peut connaître l'humilité. Le Maharits enseigne que c’est parce qu'il a péché que Aharon a été divinement ordonné pour servir en qualité de Cohen Gadol. Sinon, comment serait-il possible pour lui de s'identifier personnellement avec le besoin d’expiation du pécheur reconnaissant sans avoir expérimenté personnellement l’obligation d'humilité pour être pardonné ?
« Pourquoi as-tu honte du Veau d'Or ?, demande Moché à Aharon. Tu as eu l’humble opportunité de pécher, de sorte que tu es désormais en mesure d'expier pour tous les pécheurs. »
Comme nous l’enseigne Michlé (les Proverbes), l’humilité grandit l’homme, tandis que l'orgueil ne fait que l’abaisser.