Chlomo Moché, un sympathique jeune homme, était monté du Maroc en Israël avec l’aspiration fervente de devenir un érudit en Torah. Cette époque - les années 50 - était celle des débuts de l’État, marquée par une période d’austérité, une situation sécuritaire précaire, et de grandes vagues d’Aliyah d’Afrique du Nord. Le jeune Chlomo Moché savait que le danger à la maison était plus grave que celui de l’extérieur. La campagne pour enterrer la religion, menée par le mouvement laïc, avait ruiné toutes les bonnes volontés et le menaçait également. Des centaines de milliers de Juifs avaient été happés par la vague laïque et envoyés dans des villages, les mouvements de jeunesse, où toute trace d’identité juive se perdait rapidement, et les jeunes gens, aveuglés, étaient attirés par les vanités de ce monde.

Par la grâce de D.ieu, avec beaucoup d’inspiration et l’ambition d’une jeunesse sans compromis, Chlomo Moché réussit à entrer dans l’excellente Yéchiva Tiféret Tsion, fondée sous l’impulsion du ‘Hazon Ich pour intégrer également les jeunes immigrants, et les sauver de l’emprise sioniste qui s’immisçait alors dans les cercles de la jeunesse Séfarade ; celle-ci suivit en majorité le mouvement, qui la conduisit à sa destruction spirituelle. La grâce de ce jeune homme conquérait les cœurs, et en particulier celui du Gaon Rav Shmariyahou Greinman, l’un des plus grands Talmidé ‘Hakhamim (érudit en Torah) de cette génération qui le prit sous son aile. Il admirait l’esprit brillant, la constance et l’intégrité du jeune homme, et il avait l’habitude de le serrer chaleureusement sur son cœur, et de se distraire avec lui sur des débats talmudiques de la Guémara. Le jeune homme originaire du Maroc était vif et érudit, et, grâce à sa bonne mémoire, il retenait des choses secrètes dans tout le Talmud ; les deux hommes avaient des débats orageux sur diverses interprétations d’Abayé et de Rava. Le Rav Shmariyahou disait à qui voulait l’entendre que ce jeune homme deviendrait un grand en Torah.

Un jour, le Rav Shmariyahou fut conduit à l’hôpital. Après avoir passé divers examens, il fut décidé, après consultation avec le ‘Hazon Ich, de le conduire en avion en France, chez un médecin de réputation mondiale, spécialiste du problème dont il souffrait. Les adieux entre le jeune homme et son bienfaiteur furent émouvants. Le jeune Chlomo Moché ne cessa de prier et de réciter des Téhilim pour la guérison de son Rav. Quelques semaines plus tard, le Rav Greineman fut de retour, ragaillardi et en meilleure santé. Après quelques jours de repos, Chlomo Moché souhaita rendre visite au Rav, pour tenter de le réjouir autant que possible. Ses yeux brillèrent d’émotion lorsque la porte s’ouvrit, il entra chez lui et s’assit à côté de son lit.

- Dis-moi, mon jeune ami, commença le Rav Greineman, as-tu étudié récemment le traité Guitin ?

- Oui, répondit-il.

- Est-ce que tu connais bien le chapitre untel ?

- Oui.

- Est-ce que tu maîtrises bien la page unetelle ?

- Oui. Il me semble que je l’ai revue plusieurs fois.

- Est-ce que tu te rappelles des propos du Tossefot au tout début ?

- Oui, je m’en souviens, Kvod Harav.

- Si c’est le cas, répète les propos du Tossefot sur place.

Le jeune Chlomo Moché répéta les propos du Tossefot presque mot pour mot… Alors, le Rav Greineman releva une difficulté dans les propos du Tossefot et demanda à son jeune ami de répondre à cette difficulté. « En effet, répondit le jeune homme, votre Kouchia (question), Kvod Harav, est celle du Maharchal sur les propos du Tossefot, et il résout cette Kouchia dans les termes suivants… » Le visage du Rav s’illumina, il sourit, goûtant au bonheur de l’étude de la Torah. Chlomo Moché demanda timidement au Rav d’où provenait la joie qu’il ressentait ; en effet, cette Souguia était connue et il n’y avait ici aucune nouveauté, la Kouchia et son explication étaient connues.

« En effet, mon ami, relata le Rav, pendant mon intervention médicale en France, j’ai rencontré un Goy (non-juif) cultivé, un professeur détenant 13 diplômes de l’université de la Sorbonne. Après s’être assuré de ma judéité, il m’a demandé si j’étudiais la Torah. Je lui racontai que tous mes proches se consacrent à l’étude de la Torah. Il m’exposa alors la grande Kouchia posée par les propos du Tossefot. Mais l’interprétation du Maharchal m’avait échappé à ce moment-là. Après avoir réfléchi quelques minutes, j’indiquai au professeur non-juif la réponse du Maharchal. »

Les yeux de Chlomo Moché s’écarquillèrent, traduisant sa stupéfaction : « Je ne comprends pas, Kvod Harav me raconte qu’un non-juif de France vous a exposé une Kouchia extraite des propos du Tossefot dans le traité de Guitin, il aurait dû connaître les propos de Rachi sur la Souguia, et connaître parfaitement le sens simple de la Souguia sous tous ses aspects… Cela m’est difficile à croire, difficile à croire ». « Oui, mon ami, ça s’est vraiment déroulé ainsi. Le professeur non-juif connaissait parfaitement bien la Souguia, comme l’un des nôtres… Je me suis aussi étonné de ce fait et, à ma question, le Goy a répondu : "Je suis un scientifique très célèbre en France et dans le monde entier. Il y a quelques années, j’ai rencontré un groupe de scientifiques juifs qui se consacraient à l’étude et débattaient autour d’un livre… Je les interrogeais sur l’objet de leur querelle, et ils me répondirent : « Il y a ici un livre du Talmud, et ce livre contient tout le savoir du monde. » « Toutes les sagesses ? » « Oui, me répondirent les savants juifs, tout est inclus ici, dans le "savoir talmudique" qui est en fait le point de liaison avec l’intelligence divine, de Celui qui a dit : "Et le monde fut" ». La curiosité me piqua et je décidai d’étudier « la science juive » qui se trouve dans ce livre étrange. Je commençai à apprendre l’alphabet hébraïque, puis l’écriture de Rachi et à partir de là, le ‘Houmach, verset par verset, le Tanakh et les Michnayot, jusqu’à la Guémara. Et j’ai découvert, Kvod Harav, qu’ils avaient dit vrai, toutes les sciences se trouvent dans le Talmud. L’astronomie, la physique, la chimie, la médecine, la géologie, la géographie, la prévision de l’avenir, les mystères du passé. TOUT. Et depuis, j’étudie constamment le Talmud jour et nuit. Comme pris dans un accès de folie, je passe d’un traité à l’autre, je parcours les propos des Richonim (Premiers Décisionnaires) et ceux des A’haronim (Derniers Décisionnaires), je m’arrête à chaque détail. Depuis que j’ai découvert que tous les savoirs se trouvaient dans le Talmud, je n’ouvre aucun livre de science. Uniquement la Guémara et la Guémara, nul besoin d’ouvrir d’autres livres…" »

« Et alors, poursuivit le Rav Greineman, le non-juif poussa soudain un hurlement terrible. "Shmariyahou ! Pourquoi mangez-vous et buvez-vous ? D’où avez-vous l’insolence de ne pas étudier la Guémara ? Si vous connaissiez la profondeur de la Guémara, la sagesse prodigieuse et infinie qui s’y trouvent, vous ne dormiriez pas, vous y seriez plongés du matin au matin suivant… Je vous pose une petite difficulté dans le Tossefot et vous devez y réfléchir ? Est-ce comme ça qu’on étudie, Shmariyahou ? Comme ça ?" »

Par cette réprimande sévère, le non-juif attaqua l’immense Gaon Rav Shmariyahou Greineman… Ces propos sont forts et terrifiants. Cette incroyable histoire a été récemment racontée par le Richon Létsion, le Gaon Rabbi Chlomo Moché Amar, lors d’un Siyoum (cérémonie célébrant la fin d'une étude) du Shass de la Yéchiva de Tiféret Lémoché à Netanya. Le Richon Létsion est le jeune homme de notre histoire, qui a entendu ces propos de la bouche sainte du Rav Greineman zatsal, qui lui avait rapporté la réprimande sévère du professeur de la Sorbonne.

« Chers Juifs ! Pourquoi faire du Bitoul Torah (annulation de Torah) ? Bien que le non-juif le soit resté, qu’en sera-t-il de nous ? »

Inutile d’en dire plus…

Kobi Lévy