D’après nos ‘Hakhamim, le Séder doit être rythmé par l’absorption des quatre verres de vin. Un verre pour chaque étape de la libération d’Égypte. Nos Sages se sont appuyés sur le verset : כּוֹס יְשׁוּעוֹת אֶשָּׂא וּבְשֵׁם ה’ אֶקְרָא – Un verre pour la délivrance je lèverai, c’est au Nom de D.ieu que je le dédie.
Le maître échanson et le panetier
Les ‘Hakhamim rapportent une explication peu connue, relative à la prescription de ces quatre coupes de vin.
Rabbi Chmouel bar Na’hman dit : Les quatre verres ont été institués en rappel des quatre coupes mentionnées lors du passage de Yossef dans les geôles égyptiennes. (Beréchit Rabba 88,5)
Lorsque Yossef fut jeté en prison peu après son arrivée en Égypte, il y rencontra deux personnages : le maître échanson et le maître panetier. Ces deux anciens ministres de Pharaon avaient été emprisonnés pour avoir commis des négligences dans leur travail.
Pharaon avait trouvé une mouche dans la coupe où il buvait son vin. Quant au pain royal, il se révéla contenir un petit caillou dans sa mie. En punition, le maître de l’Égypte les avait démis de leurs fonctions, avant de les mettre aux arrêts.
Yossef partagea donc sa captivité avec ces deux fonctionnaires de Pharaon. Une nuit, ces deux hommes firent un rêve. Intrigués par leurs visions, ils s’adressent à Yossef. Ce dernier parvient à donner un sens à leurs rêves, qu’il explique de la manière suivante : le maître échanson retrouvera sa place auprès du roi, et sera à nouveau chargé de préparer sa boisson.
Quant au panetier, il sera pendu dans les trois jours, et les oiseaux du ciel dévoreront sa chair.
Et c’est effectivement ce qui se passa.
Deux années s’écoulent et Pharaon rêve.
Personne ne réussit à interpréter ses songes. Le maître échanson se souvient alors de Yossef et l’introduit auprès du roi. C’est à partir de ce moment que commence l’ascension du fils de Ya'acov dans le palais royal.
Mais les rêves des deux anciens ministres paraissent énigmatiques. Que veulent-ils exprimer, outre leur signification directe concernant les intéressés eux-mêmes ? Il est évident qu’ils sont source d’enseignements. Il n’est pas question de réduire la Torah à un livre d’histoires.
Le vin et le pain sont au centre de ces deux songes.
Les Sages de la Knesset Haguédola ont fixé le texte des différentes Brakhot qui introduisent la consommation de toute nourriture. Deux exceptions sont faites pour des aliments particulièrement importants : le pain et le vin. Le pain recevra la Brakha du המוציא לחם מן הארץ, Hamotsi Lé'hèm Min Haarets. Le vin sera distingué par le בורא פרי הגפן, Boré Péri Haguéfèn.
Ces deux composants centraux de la nourriture humaine sont radicalement différents. Outre le fait que l’un est solide et l’autre liquide, le premier représente la base de l’alimentation, nourriture essentielle d’une grande partie de l’humanité. Le pain est, par définition, l’aliment qui rassasie. Le vin, quant à lui, a pour vocation de donner du goût. Il est le symbole de la dégustation. Son prix peut atteindre des chiffres astronomiques, car il véhicule l’idée de délices, de délicatesse.
Le pain et le vin se disputent la première place. L’un se justifie par le fait qu’il est indispensable à la survie humaine. L’autre s’affirme comme le seul à être réellement important, puisqu’il rehausse le repas, lui donne du goût et réjouit l’homme.
Les puissances mondiales prétendent être les seules à diriger la planète. Par leurs forces et leur pouvoir, elles gouvernent l’univers. Israël, quant à lui, est un peuple dispersé. Il vit parmi les nations, mais ne se fond pas dans la masse.
Il reste différent d’eux, tout en existant à leurs côtés. Il est par contre le peuple de D.ieu, et sa mission est de rappeler la présence du Créateur dans ce monde. Comme l’explique Rachi sur le premier mot de la Torah.
Le peuple juif est, à plusieurs reprises, comparé à la vigne. Car c’est lui qui donne le sens, le « goût » à la Création. Certes, les puissances mondiales gouvernent le monde : elles sont semblables au pain qui rassasie les habitants de la terre. Leur contribution à l’histoire du monde est importante, mais c’est le peuple d’Israël qui donne la direction. C’est lui qui rapproche les actions de l’homme de son Créateur.
Le vin et le pain se disputent, alors qu’ils auraient pu cohabiter. Les grandes nations auraient dû reconnaître la légitimité d’Israël, mais elles ont toujours refusé de le faire.
L’Égypte, comme toutes les puissances qui vont la suivre – la Perse, la Grèce antique, Rome, ou l’Occident et l’Islam d’aujourd’hui – dénient aux Juifs le droit à l’existence. Les nations ne reconnaissent pas le rôle d’Israël dans le monde.
Les deux rêves montrent à Yossef – et à nous-mêmes ! – que les nations opprimantes finiront par s’effacer de la planète comme le panetier. Les oiseaux du ciel – allusion à l’intervention divine – dévoreront leurs derniers vestiges. Et cela, alors qu’Israël, à l’image de l’échanson, retrouvera sa place auprès du Roi, afin de lui servir Sa Boisson.
C’est parce que le mot כוס (verre) est répété à quatre reprises dans le rêve de l’échanson que les ‘Hakhamim décideront d’instituer la Mitsva des quatre coupes du Séder. Car, à travers ces quatre coupes, nos Sages veulent délivrer un message d’espoir au Klal Israël : lors du dénouement de l’Histoire, le peuple d’Israël retrouvera sa vraie place dans le monde.
(Extrait du livre «Le Buisson Ardent» de Rav Nethanel Abib)
Rédigé par Mme Elicheva Guttel pour la 'Lettre de Nerlitz'