La Torah, qui est d’essence divine, préconise de passer chaque doctrine au peigne fin. Avant d’adopter un comportement, d’accepter une idée ou de suivre un certain mouvement, le Juif doit au préalable se poser la question de savoir si ceux-ci vont de pair avec son judaïsme !
La Guémara (Pessa’him, 6a) nous enseigne : "30 jours avant une fête, on commence à en étudier les lois". En effet, ce laps de temps est nécessaire pour intégrer les Halakhot ainsi que le sens profond de la fête. Si cette loi s’applique à toutes les fêtes du calendrier juif, elle concerne en premier lieu celle de Pessa’h, dont les Halakhot sont à la fois très nombreuses et complexes.
Construire et s’épanouir
Toutes les Mitsvot de la Torah comportent deux volets : le Binyan (édifice) et la Tsmi’ha (épanouissement). Le Binyan d’une Mitsva est l’ensemble des lois qui s’y rapportent : il s’agit de l’édifice concret de la Mitsva, tel que décrit par la Halakha. En effet, un acte accompli sans qu’on n’en connaisse les lois spécifiques a toutes les chances d’être invalide. Ainsi, une personne peut mettre les Téfilin toute sa vie ; pourtant, si le Sofer qui les a écrites ne connaissait pas les Halakhot propres à l’écriture des Téfilin, ces dernières ne seront pas valables et la personne qui les porte n’aura jamais accompli la Mitsva !
C’est pourquoi la Halakha constitue la charpente de toute Mitsva. Sans cette structure, la Mitsva ne peut exister. La Tsmi’ha, quant à elle, est notre épanouissement personnel par rapport à la Mitsva. Plus nous avançons dans la compréhension du sens d’une Mitsva, plus nous gagnons en grandeur et plus la Mitsva prend de la signification à nos yeux. Un peu comme la plante qui ne reste pas à l’état statique mais qui pousse et s’épanouit avec le temps.
Or, Pessa’h est justement la fête où ces deux notions se conjuguent par excellence ! Les innombrables Halakhot qui la caractérisent, d’une part, constituent à proprement parler l’édifice de la fête ; sa signification profonde et riche, d’autre part, représente pour nous une opportunité remarquable d’épanouissement personnel. Avec une préparation adéquate et minutieuse, le Pessa’h de cette année ne sera pas le Pessa’h de l’année passée…
Qu’est-ce qu’un homme libre ?
Le Rambam, dans les Hilkhot ‘Hamets Oumatsa (chap. 7), nous enseigne : "À chaque génération, l’homme doit se considérer comme s’il venait lui-même de sortir d’Égypte". Comme nous l’avons rapporté plusieurs fois déjà, le Ram’hal (Dérekh Hachem, partie 4, 7, 6) explique en effet que les dates du calendrier juif sont comparables à des stations temporelles que nous traversons. Lorsqu’arrive la fête de Pourim par exemple, nous avons la possibilité de revivre littéralement ce jour et de bénéficier des influx spirituels qui le caractérisent, en l’occurrence la délivrance et l’acceptation de la Torah dans la joie. À Pessa’h, il nous est donné de revivre la sortie d’Égypte, de nous affranchir des chaînes de l’esclavage et de devenir des hommes libres, ainsi que ce fut le cas à cette même époque.
Afin d’atteindre le niveau d’hommes véritablement libres à Pessa’h, encore faut-il que nous sachions ce que signifie être libre. Un grand philosophe expliquait que si la démocratie avait effectivement donné à l’homme moderne la possibilité de décider de son destin, il n’en restait pas moins limité dans ses choix, du fait de la pression sociale. De prime abord, l’idée d’une société où chacun serait libre de ses choix semble séduisante. Concrètement, cette définition correspond même relativement bien à la réalité de nos civilisations modernes. Celles-ci sont marquées par l’absence quasi totale de contraintes morales et religieuses et par la liberté d’action presque illimitée qui est octroyée à leurs membres.
Pourtant, en même temps qu’ont été progressivement effacés les derniers reliquats d’asservissement au pouvoir absolu de la monarchie, est apparue une nouvelle forme de sujétion. Les médias, la publicité, l’encouragement constant à la consommation, les diktats de la mode sont autant d’éléments qui viennent priver finalement l’homme de sa véritable capacité à penser par lui-même. Nous sommes constamment assaillis de messages, explicites autant que subliminaux, nous poussant à adopter certaines opinions, certains comportements, qui sont peut-être très éloignés de notre volonté personnelle véritable. Finalement, nous nous retrouvons à penser et à agir conformément au système dans lequel nous évoluons, sans que nous ne prenions la peine de nous interroger quant au bien-fondé de tout cela. Est-ce là la liberté à laquelle l’homme aspirait tant ?
D’un autre côté, n’allez pas non plus penser que le fait d’être à contre-courant signifie que vous êtes libres. Notre propos n’est pas de dire qu’il faut être marginal ; au contraire, cette attitude vise en général à attirer l’attention d’autrui, donc à obtenir son assentiment, ce qui revient au même que de suivre le système aveuglément.
Nous comprenons dès lors pourquoi le Rambam insiste tant sur l’obligation de chacun d’entre nous, aujourd’hui comme autrefois, de nous libérer des chaînes de l’esclavage…
Petit guide pratique pour sortir d’Égypte
À l’inverse, la Torah, qui est d’essence divine et ne dépend donc pas des contingences temporelles ou géographiques, préconise de passer chaque doctrine au peigne fin. Avant d’adopter un comportement, d’accepter une idée ou de suivre un certain mouvement, le juif doit au préalable se poser la question de savoir si ceux-ci vont de pair avec son judaïsme, avec son identité profonde. Et il se peut qu’il s’aperçoive alors que nombre de ses opinions et de ses attitudes sont le produit de l’influence de la société et sont en fait très éloignées de ce qu’elles devraient être…
Le travail que nous devons effectuer à Pessa’h est justement d’extirper ces idées et ces comportements de notre personne pour nous réapproprier un mode de vie juif à proprement parler. À ce propos, il est une curiosité linguistique intéressante : l’expression en hébreu pour dire la sortie d’Égypte est "Yétsiat Mitsraïm". Pourtant, c’est "Yétsia Mimitsraïm" (sortie de l’Égypte) que l’on aurait dû dire, Yétsiat Mitsraïm signifiant en fait littéralement "extirpation de l’Égypte". Car c’est bien de cela qu’il s’agit : à Pessa’h, nous devons extirper l’Égypte qui est en nous, c’est-à-dire l’esprit étranger à notre identité juive qui nous habite malgré nous…
Quel genre d’esclave êtes-vous ?
La réflexion qui est exigée de nous à Pessa’h est une réflexion de fond, douloureuse peut-être, mais impérative. Il s’agit tout d’abord de réaliser qu’en un certain sens, nous sommes effectivement des esclaves modernes. Reste à savoir quel type d’esclaves sommes-nous : esclaves de la mode, des opinions prévalentes, de l’assentiment de la société ? Tout ce qui semble acquis doit être remis en question et soupesé. Séparons ensuite le bon grain de l’ivraie : ce qui est positif et droit dans notre manière de penser et d’agir doit être conservé, ce qui se révèle au contraire comme non conforme à nos convictions profondes doit être évincé.
C’est par cette démarche que nous pourrons, ainsi que le préconise le Rambam, nous considérer comme étant à cet instant même sortis d’Égypte…