Sur quoi jeûnons-nous ? 'Hazal disent : « Chaque génération dans laquelle le Beth Hamikdach (le Temple) n'a pas été reconstruit, c'est comme s'il y avait été détruit ». (Talmud Yérouchalmi, traité Yoma, chapitre 1, Halakha 1)

Le Beth Hamikdach était la maison de D.ieu en Erets Israël. On y expiait nos péchés, le Seigneur y entendait nos suppliques et nous étions proches de Lui. Cette année encore, nous n'avons pas connu la Délivrance, car notre génération n'est pas digne du Beth Hamikdach. C'est sur cela que nous avons pleuré et que nous pleurerons, parce que des troubles se profilent encore à l'horizon, rejoignant les milliers de décrets déjà subis.

D.ieu aurait pu construire le Temple cette année, et même en ce moment, mais Il ne l’a pas fait. C’est que nous ne le méritons toujours pas. Ce qui signifie que, même si Jérusalem avait été reconstruite, s’il y avait un Temple en ce moment même, il aurait été à nouveau détruit en raison de nos iniquités.

Alors nous pleurons et nous jeûnons sur notre propre destruction, sur la destruction du Temple qui continue jusqu’à présent, à cause de nos nombreux péchés. Nous jeûnons et sommes en deuil en raison de cette destruction qui a eu lieu et qui persiste, cette destruction qui a marqué le début de 2000 ans d'exil et qui continue à ce jour, l'exil spirituel dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui. Ceci est la destruction de nos Pères et de nous-mêmes. Et la douleur sur tout ce qui a été perdu, nous nous en souvenons et supplions D.ieu de pardonner à Son peuple et de restaurer Sa gloire d'antan.

À Tich'a Béav, on ne pleure pas seulement sur ce qui est arrivé, mais sur ce qui est. Nous pleurons sur nos péchés, sur le fait que le Temple n’a pas encore pu être construit cette année. Nous pleurons pour la Délivrance, qui nous attend depuis des milliers d'années de tourment.

Sur la Shoah que nous avons endurée

Chaque année, nous repoussons l’échéance, nous la laissons de côté et continuons. Aujourd'hui, il n’y a nulle part où aller, le souvenir se dresse devant nous, le souvenir de tout ce que nous avons vécu, la Shoah et les milliers d'autres tragédies, les pogroms et les massacres, tous ont concouru à nous tourmenter depuis des milliers et milliers d’années d'exil. Alors comment ne pas pleurer sur Tich'a Béav, quand la vraie source de tous nos problèmes n’est pas un accident tragique qui a eu lieu et a disparu, mais un évènement qui est toujours en cours et a marqué notre destin, et auquel se sont joints mille et mille tourments. Décret funeste après décret funeste, génération après génération il persiste, et aucun cœur ne peut résister à la violence de ces maux.

À Tich'a Béav, nous pleurons pour toutes les souffrances de notre peuple au cours des années de son exil, les horreurs, les pogroms, l'antisémitisme et la Shoah. Car la destruction du Temple est la source de toutes les vicissitudes qu’a traversées le peuple d’Israël à travers les âges et qu’il traverse encore.
 

Le voilement divin

Chaque jour, nous demandons dans la ‘Amida : "Ramène-nous nos juges comme au début, et nos consultants comme avant".

Depuis la destruction du Temple, la prophétie n’a plus eu cours en Israël, le Sanhédrin, formé des 71 Anciens d'Israël, a disparu. Nous avons perdu notre plus grande relation avec D.ieu. Aujourd'hui, nous sommes dans les ténèbres spirituelles, nous demandons des conseils et des orientations, nous avons soif d'entendre la parole de D.ieu. C’est sur la rupture de notre connexion spirituelle avec D.ieu que nous pleurons et prions. Sur cela, nous continuerons d’être endeuillés jusqu’à ce qu’Hachem restaure Son Temple et Ses prophètes.

Avez-vous des difficultés à gagner votre vie ? Des difficultés à trouver l’âme sœur ? Des problèmes physiques ou psychologiques ? Vos prières ne sont pas exaucées... Tous ces maux viennent d’une même source : la perte de notre relation directe avec le Créateur depuis la destruction du Beth Hamikdach.

D.ieu sait ce qu’Il fait, Il ne nous abandonne pas, et tout ce qu'Il fait est pour notre bénéfice. Mais tous Ses desseins nous sont cachés depuis l'exil. C’est ce Hester Panim (voilement divin) dont nous parle la Torah : « Et moi, Je cacherai Ma face en ce jour pour tout le mal qui a été fait » (Dévarim 31).

Quand un papa est caché, il reste encore présent et nous protège toujours, simplement nous ne le voyons pas. Nous avons perdu notre lien direct avec le Créateur. Cependant nous pleurons aussi sur notre propre destruction, sur le voilement divin.

Toutes les difficultés qui assaillent notre Émouna (croyance), toute la confusion dans le monde, tout le Mal et l’hérésie qui tourne autour, tout commence et trouve racine dans la destruction spirituelle à laquelle nous sommes condamnés jusqu’à la Guéoula (délivrance).

C’est pourquoi nous pleurons à Tich'a Béav, nous pleurons sur la difficulté de se connecter à la Torah et aux Mitsvot comme aux temps anciens, sur la Émouna dévoilée que nous avions et qui a disparu, nous implorons notre Père.

Il n’y a pas de jour de commémoration plus actuel que Tich'a Béav. Ce que nous devons nous demander, ce n’est pas comment pleurer, mais comment arrêter nos larmes.

Toute la peine, qu’elle provienne de souffrances matérielles ou spirituelles, tout le voilement divin, toute prière qui n’a été exaucée, tous les sentiments de proximité perdue à cause de nos péchés et de nos épreuves, tout cela réuni, c’est la destruction du Temple, la source de notre éloignement, de nos peines et des décrets qui s’abattent sur nous. C’est sur cela que nous pleurons et sur cela que nous demandons de ne plus pleurer l'année prochaine.
 

L’incompréhension du philosophe : pleurons-nous sur le lait qui s’est renversé ?

Et ici, nous arrivons à la partie la plus importante. Et c’est le point sur lequel les nations du monde s’étonnent et demandent : sur quoi et pourquoi pleurez-vous depuis deux millénaires ? Sur du lait renversé (un fait révolu et irréversible) ?

Une histoire raconte comment, après la destruction du premier Temple, le célèbre philosophe nommé Platon est venu de Grèce et a visité Jérusalem (selon les sources historiques, Platon a en effet voyagé en Asie et s’est probablement aussi rendu à Jérusalem). L'histoire dit que le philosophe a rencontré le prophète Jérémie, et le vit pleurer et porter le deuil du Temple détruit.

Platon se tourna vers le prophète d'un air interrogateur et lui demanda : « Comment un grand Sage juif comme toi peut-il pleurer sur des arbres et des pierres ? Ne comprends-tu pas qu’il est inutile de pleurer sur le passé ? »

Jérémie a demandé en retour : « Tu es philosophe, parle-moi des questions philosophiques.»

Platon a donc évoqué des questions de philosophie compliquées n’ayant pas de solution, puis lui a posé des questions difficiles.

À sa grande surprise, le prophète Jérémie a résolu question après question, et a répondu fermement et clairement à toutes les questions philosophiques.

Le philosophe, profondément impressionné, a demandé: « Où avez-vous puisé cette remarquable sagesse ? »

Le prophète répondit : « Cette sagesse, je la tire de ces arbres et de ces pierres dont je porte le deuil. »

Et que dire de la première question posée par le philosophe ?

À cette question le prophète Jérémie a répondit à Platon : « Tu m’as demandé comment il se peut qu’un Sage pleure sur le passé. Malheureusement, je n’ai pas pu te répondre, parce que tu ne comprendrais pas la réponse ! »

Le philosophe, malgré sa grande sagesse, était loin d'une relation personnelle avec D.ieu. Pour lui, D.ieu est simplement « créateur de la nature et du cosmos ». Mais pour nous, D.ieu est notre Père, et l’entité la plus proche qui soit. D.ieu nous dit dans la Torah : « Vous êtes les enfants du Seigneur votre D.ieu » (Deutéronome 14).

Notez que lorsque nous prions : « Écoute Israël, le Seigneur est notre D.ieu, le Seigneur est Un », nous disons dans le verset que ce D.ieu est « notre D.ieu », ce D.ieu qui nous a fait sortir d'Égypte et nous a choisis pour être Son peuple.

Le grand philosophe ne pouvait pas comprendre une chose simple que tout enfant juif ressent au fond de son cœur. Si seulement nous pleurions assez fort, tous les pleurs de toutes les générations se réuniraient jusqu’à ce que notre Père exauce les souhaits de notre cœur, et que le Temple soit construit pour nous à nouveau.

Nos Sages nous ont transmis : « Celui qui pleure pour Jérusalem méritera de la voir dans sa joie » (Ta’anit 30b).

Toute personne qui a pleuré et a porté le deuil du Temple méritera de vivre la résurrection quand le Temple sera construit à nouveau. Toute personne qui aura pleuré méritera le salut et la consolation.

Cela signifie que nous ne pleurons pas pour « le lait renversé » (un fait révolu), mais nous pleurons pour notre avenir véritable et tangible. Grâce à notre deuil, nous mériterons un nouveau Temple.

Cette chose-là, le philosophe ne peut la comprendre, précisément parce qu'il est un philosophe et pas un fils. Nous, fils et filles de D.ieu, comprenons que nos prières se joignent ensemble, et qu’il y a un espoir dans le peuple d'Israël, précisément parce que nous implorons D.ieu comme des enfants et non comme des philosophes. Aujourd'hui, nous implorons notre Père qui est aux cieux.
 

Nota beneBeaucoup ont cherché la source de l'histoire de la célèbre rencontre entre Jérémie et Platon. Apparemment, le Rama (Rabbi Moché Isserlès) a écrit dans son livre Torat Haola que le philosophe grec Platon vint à Jérusalem avec Nabuchodonosor. Le Rav Yaakov Israël Stal a cherché ailleurs la source de l'histoire complète de la rencontre avec le prophète Jérémie, et l'a trouvé publiée pour la première fois dans le livre Gan Yérouchalaïm (année 659, p.54) de Rabbi Na’hman Guédalia Breder de Lituanie, selon une histoire racontée par Rabbi Israël Salanter et rapportée d’une ancienne histoire romaine.