La Guémara nous rapporte qu’au moment de la Révélation du Sinaï, l’âme des Enfants d’Israël s’est élevée vers le haut, puis elle est revenue dans les corps » (Traité Chabbath 88a). Les assistants furent donc des survivants. De la même façon, Its’hak, le 2ème patriarche, lié sur l’autel pour être sacrifié, perdit son âme qui monta au Ciel, et redescendit ensuite pour lui permettre de continuer à vivre. Lui aussi fut un survivant. Que signifie cette idée que la Révélation arrête la vie physique, pour revenir ensuite ? Comment comprendre que nous sommes des survivants ?
Dans le livre qu’il avait écrit peu avant sa mort, et qui est paru après sa disparition, « Être Juif », Benny Lévy cite un magnifique texte de Rosenzweig qui exprime cette idée : « Le Juif, écrit-il, est toujours un survivant » (Être juif, p. 29). Rosenzweig écrit : « D’Israël au Messie, du peuple debout au pied du Sinaï jusqu’au jour où la Maison de Jérusalem sera appelée une maison de prières pour tous les peuples… apparaît… un concept apparu d’abord chez les Prophètes, et qui a ensuite dominé toute notre histoire intérieure, le RESTE. Le judaïsme se conserve par soustraction, à travers un processus de rétrécissement… Il s’adapte constamment au-dehors pour pouvoir se retirer sans cesse au-dedans… L’homme dans le judaïsme est toujours de quelque manière un reste d’une façon ou d’une autre : il est toujours un survivant ». Commentant ce texte de Rosenzweig, Benny Lévy écrit : « Le Juif toujours se soustrait, se retire, se débattant avec le monde qui fuit. Il doit donc écarter de lui ce qui est non-juif pour produire précisément le reste juif. C’est toujours par le retour qu’il y a du juif. Pour la formation du reste, la production positive du survivant. Chaque Juif est essentiellement un survivant » (Être juif, p. 29).
C’est dans cette perspective, remarquablement comprise par Rosenzweig, qui lie ainsi la Révélation à l’attente de la Rédemption, qu’il faut comprendre notre état de survivant. « Dans ce Reste, pour le Juif survivant, existent aujourd’hui les deux pôles : l’accueil du joug du Commandement et l’accueil du joug du Royaume des Cieux » (Rosenzweig ibid.). Que signifie être survivant ? C’est ici que se rencontrent la Révélation – Sinaï – et l’attente de la Rédemption. C’est ainsi qu’apparaît le personnage de David, né à Chavou'ot, qui est le symbole de la Rédemption, qui est la survie du Reste d’Israël. Cela est un enseignement pour chaque Juif, à chaque époque. La Révélation du Sinaï ne peut être immédiatement saisie par le peuple, car elle émane de la Source originelle. « L’homme ne peut Me voir et vivre » dit l’Éternel à Moché (Chémot 33, 20). Cependant, le Tout-Puissant Se révèle et nous donne la Torah, l’expression de la volonté divine. Il nous donne le moyen de « survivre », c’est-à-dire de donner un sens à l’existence, et à cela se joint le BUT de l’existence : la Rédemption. Pour y parvenir, il faut apprendre à se libérer de l’accessoire pour préserver l’authenticité d’Israël. C’est ici la survie du peuple, qui doit se traduire par la fidélité du Reste à la Loi.
Le Midrach nous fait remarquer que le dernier verset de la dernière bénédiction de Moché Rabbénou au peuple d’Israël commence par le terme « Achré » (Heureux) : « Heureux es-tu Israël… » (Dévarim 33, 28). Le premier mot du livre de Téhillim, écrit par David, est « Achré Ha-Ich… » (Téhillim 1, 1), (Heureux est l’homme…). Le Midrach en conclut que le psaume du Roi David est la suite des paroles de Moché Rabbénou. C’est évidemment le lien entre la Révélation (Moché) et la Rédemption (David). C’est la survie du Reste d’Israël qui est en jeu ici. Il nous faut comprendre que, étant dépositaire de la Révélation, le Reste d’Israël survit en maintenant cette Loi qui assure la Rédemption. Il est toujours difficile d’affronter une telle tâche, mais elle est la trame de la Création. Alors que les idéologies n’existent plus, que les religions perdent leur attrait, soyons heureux (Achrénou) d’être ce Reste fidèle, et soyons dignes de mériter la Rédemption finale.