Nous nous y sommes habitués au point que la chose ne nous choque plus. C’est pour nous un état de fait comme un autre. Les publicités que nous voyons, les films que nous regardons, la littérature que nous lisons – tout converge pour nous véhiculer le même message. Dans les sociétés occidentales au sein desquelles nous évoluons, « jeunesse » est forcément synonyme de vitalité et d’accomplissement. Tandis que la vieillesse est toujours perçue comme une détérioration, un déclin ; pas seulement du corps – ce qui serait un moindre mal –, mais surtout de l’esprit. Si l’on est vieux, que peut-on donc encore apporter à la société ? En quoi une personne qui appartient à la catégorie peu flatteuse dite du « troisième âge » pourrait être utile à son environnement ?
Il n’est pas inutile à ce titre de comprendre quels sont les axiomes qui sont à la base de cette vision (déformée) de la réalité et quelle est, face à elle, l’opinion que la Torah se fait de la vieillesse.
Un rabbin et un universitaire sont dans un avion...
Pour mieux comprendre ce qui se cache sous le mépris inavoué des jeunes gens pour leurs aînés, rapportons une petite anecdote.
On raconte qu’un rabbin voyageait en avion, accompagné de son fils, tandis que sur le siège voisin se trouvait un illustre professeur d’université américain. Tout au long du vol, celui-ci ne pouvait détacher son regard du rabbin et de son fils ; il n’avait visiblement jamais rien vu de tel dans sa vie. En effet, le fils du rabbin était sans cesse affairé à s’occuper de son père ; il lui portait coussin et couvertures, lui apportait à boire, l’aidait à se déchausser etc. Face à cette scène, le professeur ne pouvait s’empêcher de penser à son fils, son unique… Il aurait bien souhaité le voir lui témoigner le dixième de cette sollicitude… Au bout de plusieurs heures de vol, n’y tenant plus, le professeur s’adressa au rabbin : « Monsieur le rabbin, pardonnez-moi, puis-je vous poser une question ?
- Avec plaisir ! répondit le rabbin.
- Je suis assis à côté de vous depuis plusieurs heures déjà. J’ai eu tout loisir d’observer la manière dont votre garçon se comporte envers vous. Je suis tout simplement ébahi. Jamais je n’ai vu un fils témoigner tant d’égards à son père. J’ai moi aussi un fils qui a approximativement le même âge que le vôtre. On ne peut pas dire qu’il me tienne en grande estime… Voyez-vous, je suis un professeur d’université réputé aux Etats-Unis, je suis respecté par mon entourage et bénéficie d’un statut social élevé. Pourtant, tout cela ne semble pas impressionner mon fils. Pour lui, nous ne sommes avec ma femme qu’un couple vieux jeu qui ne comprend rien au monde d’aujourd’hui. Comment se fait-il que le vôtre semble vous considérer comme la personne la plus précieuse au monde ? Quel est donc votre secret ? »
Le rabbin esquissa un sourire puis répondit : « Voyez-vous, mon secret réside dans la Torah que nous inculquons à nos enfants. En effet, celle-ci nous enseigne que depuis la Révélation au mont Sinaï il y a plus de 3000 ans, les générations allèrent en s’affaiblissant. Ainsi, le plus grand rabbin actuel ne saurait égaler le niveau de ceux des générations précédentes. Maïmonide, l’un des plus grands Sages juifs, est encore très loin du niveau des Sages du Talmud et de la Michna. Et, bien que ces derniers furent de véritables géants spirituels, ils n’atteignirent pas le niveau de Moché Rabbénou et encore moins celui des Patriarches qui le précédèrent. Eux-mêmes, bien que très élevés, étaient encore loin du niveau du premier homme avant la faute, qui fut créé par D.ieu en Personne et dont la Torah témoigne de l’envergure spirituelle hors du commun. Ainsi, pour la Torah, plus nous remontons dans le passé, plus nous nous rapprochons de la source de vérité. C’est pourquoi les jeunes voient en leurs aînés des personnes respectables, à qui tous les honneurs sont dus. Ils possèdent davantage de sagesse, ils sont plus proches de D.ieu. Par contre, qu’enseigne-t-on aujourd’hui dans les universités, monde auquel vous appartenez ? Que l’homme descend du singe ! Ses ancêtres étaient de vulgaires créatures recouvertes de duvet disgracieux, qui déambulaient à quatre pattes. Ces frustes personnages évoluèrent lentement pour produire l’être que nous connaissons aujourd’hui. Celui-ci, du reste, ne constitue pas le « dernier maillon » de la chaîne ; il est appelé à « évoluer » et s’avèrera, dans quelques millions d’années, être une créature tout à fait primitive. Dès lors, comment s’étonner de l’attitude de la jeunesse à l’égard des aînés ? A travers eux, c’est le spectre du singe des temps anciens qui se profile. Il n’est pas étonnant qu’à ce compte là, ils se considèrent comme bien plus évolués et civilisés que leurs ancêtres, qui eux, sont temporellement plus proches du singe… »
Quand « vieillesse » rime avec « sagesse »…
Il n’est pas inintéressant de constater que dans le Judaïsme, tout ce qui a trait à la vieillesse est toujours synonyme de sagesse. Ainsi, le terme « Zakèn » signifie à la fois « âgé » et « sage ». En hébreu moderne, « Vatik » signifie « ancien », en hébreu biblique, il voulait dire « pieux » et « droit ». Moché Rabbénou nous recommande bien dans le cantique de la Paracha de Haazinou : « Interroge ton père, il te le racontera, tes anciens ils te le diront » (Devarim 32, 7). Dans le livre de Béréchit (24, 1), la Torah dit : « Avraham vieillit et était avancé en jours ; D.ieu bénit Avraham dans tout » et nos Sages de préciser que les jours d’Avraham regorgeaient tous de sagesse et d’accomplissement.
Dans la Torah, la vieillesse est une bénédiction. Les personnes âgées sont celles que l’on consulte lorsqu’on cherche un conseil avisé ; l’expérience de la vie acquise au cours des années constitue un atout que les jeunes gens ne possèdent pas. Et la diminution physique qui accompagne parfois le troisième âge ne vient pas altérer cet état de fait. Certes, l’homme de 80 ans n’est plus en mesure de pratiquer le sport à la manière d’un jeune de 20 ans ; mais l’homme a-t-il été créé pour courir ? Sa valeur se résume-t-elle à ses exploits physiques ?
Pour la Torah, la réponse à cette question est résolument non ; D.ieu a choisi de créer l’homme afin de parfaire le monde, de faire briller la lueur du divin dans un océan de matière. Si l’on considère le corps comme l’essentiel de l’identité humaine, alors effectivement le flétrissement de celui-ci est le signe du déclin de l’homme ; si par contre le corps est un instrument au service de l’âme, qui elle, constitue l’essence de l’être, alors au contraire, l’homme ne cesse de se bonifier au fur et à mesure que s’écoulent ses jours. Un peu comme un bon vin qui voit son arôme et sa valeur augmenter avec les années…