L’incroyable histoire d’amitié qui va lier un esclave hébreu, Eliakoum à un prince égyptien : Ankhéfènie, sensible à la souffrance humaine.

Sur fond de sortie d’Egypte, découvrez au fil des épisodes comment un héritier du trône égyptien s’apprête à troquer le pouvoir absolu contre une vérité qui le transcende, au fil de ses débats théologiques avec l’un des représentants de la caste la plus méprisée et la plus vile de la société égyptienne.

Résumé de l’épisode précédent :

Tout le monde attend impatiemment le retour du prince Ankhéfènie, en déplacemernt secret el Libye pour en savoir plus sur le peuple Hébreu, tandis qu’Eliakoum s’embourbe dans le mode de vie égyptien.

 

« Maman, nous avons reçu un autre colis de nourriture… », dit Rivka le sourire aux lèvres.

D’un soupire agacé, la mère d’Eliakoum prit le sac et le rangea dans la caisse d’argile qui leur servait de fourre-tout.

« Maman, pourquoi es-tu si préoccupée ? Eliakoum sait ce qu’il fait. Regarde, nous recevons des vivres du palais depuis plus de deux semaines maintenant, nous sommes en plus exemptés du labeur... Réjouissons-nous, mère ! »

Tamar s’arrêta, elle fixa sa fille d’un air ferme.

« Sais-tu, Rivka, que ton frère est dans l’antre de la barbarie égyptienne ? Dois-je te rappeler ce que ces monstres font subir à notre peuple ? », dit la mère, inquiète.

« Mais le garde nous l’a bien dit, maman ! Il est là-bas pour enseigner le maniement de l’arc aux participants d’un tournoi qui va se dérouler dans la capitale, il ne risque rien. D’ailleurs, regarde comme nous sommes gâtés depuis qu’il se trouve là-bas… »

Le ton de Tamar s'éleva brusquement. Elle vociféra, sans doute plus qu’elle ne l’aurait voulue. Rivka accusa le coup sans broncher, mais c’était la première fois que sa mère se montrait si dure à son égard. Elle était sous le choc. 

 « Comment oses-tu croire qu’il ne risque rien dans le palais de l’idolâtrie et de la perversion ? Sais-tu combien nos ancêtres ont sacrifié pour ne pas être mêlé à ces abominations ? Ton frère risque de perdre sa foi dans cet entourage envoûtant. Son  lien avec D.ieu est en danger ! Eliakoum est tellement fragile, Rivka… »

La vieille femme enlaça sa cadette d’une étreinte mêlée d’amour et de regret. Les deux femmes pleurèrent à l’unisson sur cette nouvelle épreuve qui s’abattait sur elles.

De l’autre côté du pays, Eliakoum avait changé d’allure. Sa barbe et sa longue chevelure laissèrent place à une longue natte sur un crâne rasé à la façon égyptienne. Des maquilleurs s’occupaient tous les matins de lui colorer les yeux, d’éclaircir son teint de peau avec une lotion à base de farine et de miel. Il possédait déjà plusieurs magnifiques robes de soie tissées à sa mesure.

L’après-midi, Anoukis venait lui rendre visite. Ils bavardaient ensemble, de choses et d’autres en toute légèreté. Sa considération vis-à-vis des égyptiens avait radicalement changé. Il les trouvait aimables et courtois, et mêmes… humains. Il en venait même à se demander si les Hébreux n’étaient pas responsables d’une manière ou d’une autre de leur propre esclavage. Ses pensées s’embrouillaient à l’évocation du sort de ses frères, il préférait ne pas trop y penser, et pour tout dire, au palais, on ne lui laissait pas de temps de répit… 

Il passait d’une activité à une autre : tantôt la musique, les arts, les balades à cheval, et aussi les plaisirs de la table. Au début, il triait soigneusement les mets raffinés servis pour éviter la viande non abattue selon les lois rituelles, puis il en oublia l’importance et se délectait des mets culinaires locaux.

 « Ne penses-tu pas que tu te plairais ici, Eliakoum ? Regarde, ici, tout le monde t’apprécie, tu fais presque partie de la cour », dit-elle, l’espoir dans le regard.

« Je ne sais pas trop, Anoukis... après tout je suis un Hébreu. Dès que le prince Ankhéfènie n’aura plus besoin de mes services, il me renverra à Goshen ». Ces mots prononcés, il sentit un pincement au cœur, comme si, après tout, il se sentait mieux ici que dans son bidonville.

« Tu as entendu le mage Osmaarê, il serait d’accord de te proposer un poste d'entraîneur au tir à l’arc si tu le souhaites ».

« A quel prix, Anoukis ?! Renoncer à la foi de mes Pères, c’est impensable ! », dit-il le ton apathique sans grande conviction.

« Oh, Eliakoum, arrête, tu veux bien ! L’Egypte n’est pas un pays d’idéologie, Pharaon veut seulement que les gens soient heureux, consomment et travaillent. L’idolâtrie n’est qu’un prétexte pour donner bonne conscience aux gens. Je suis sûr qu’il y en a qui croient en un D.ieu Unique comme toi dans leurs cœurs, mais là n’est pas la question…Cela n’a pas d’importance ».

Alors qu’il avait toujours le regard baissé sur son assiette, elle saisit sa main et lui murmura : « Nous pourrons même nous marier et vivre dignement dans ce si beau palais. Toi et moi, deux Hébreux dans le palais de Pharaon… ».

Son cœur palpitait, ses convictions s’émoussaient, il se perdait dans la tourmente de ses passions…

Un son de cor retentit depuis l’entrée du palais. Le prince était de retour.

Les domestiques se hâtèrent d’astiquer la demeure princière à toute vitesse. Une trentaine de domestiques pénétra l’immense appartement princier et dans un bal parfait, ils astiquèrent, lavèrent, balayèrent le domaine déjà nettoyé tous les jours. Mais lorsque le prince faisait son apparition, même le poil d’un chat ne devait pas traîner sur un seul des grands tapis persans. Le prince ne criait jamais gare, et ses valets s’étaient habitués à travailler à toute allure.

Eliakoum et Anoukis se tenaient penauds dans un coin de l’immense salle à manger du prince, observant la synchronisation parfaite de la brigade royale. Le prince allait faire son apparition d’un moment à l’autre. 

Après quelques instants, la lourde porte princière s’ouvrit. Un groupe de personnes entourait le prince, marchant à son allure : ses gardes du corps, qui se demandaient encore comment leur souverain leur a fait faux bond durant plus de deux semaines, mais aussi des conseillers d’états, des généraux, des notaires, qui devaient s’entretenir avec lui sur des questions stratégiques et socio-économiques. Tous attendaient impatiemment le retour du prince. Sa sagesse et ses conseils éclairaient le palais. 

Le prince tentait de répondre aux diverses questions que ses accompagnateurs lui jettaient au vol, mais son esprit était ailleurs. Il cherchait son ami l’Hébreu. D’un regard, il balaya la pièce, mais toujours rien. Où est donc Eliakoum ? Ses directives furent pourtant claires la veille de son départ, Eliakoum devait l’attendre ici même. 

L’Hébreu lui fit un signe de la main, un peu dérouté. Le prince n’en revenait pas. Eliakoum ressemblait à un égyptien de sang pur.

Il s’approcha de l’Hébreu qui baissa immédiatement le genou à terre, sa camarade sortit du périmètre la tête courbée.

« Que t’est-il arrivé, mon jeune ami ? », demanda le prince d’un ton désabusé.

L’Hébreu enfouit ses yeux dans le sol marbré sur lequel il vit le reflet de son nouveau visage.

« Je …je vous attendais, maître », dit-il gêné.

Le prince fit signe à ses visiteurs de le laisser seul en compagnie de son invité.

Une fois nez à nez, le Prince reprit la conversation. 

« Ecoute Eliakoum, je connais à présent l’histoire de votre peuple… Je veux que tu me conduises à Goshen, dans la tribu des Lévites, je m’entretiendrai avec leur chef spirituel ».

Eliakoum était tiraillé entre le doute et l’envie d’intégrer la vie sociale du palais. Il ne voulait plus subir le douloureux esclavage qu’il connaissait… Il espérait de toutes ses forces que le prince abandonne ses rêves idéologiques. 

« Mon maître, je doute qu’un membre de la tribu des Lévites n’accepte de s’entretenir avec vous, vous représentez tout ce qu’ils… » Il n’osait pas dire le mot, mais il voulait tellement rester dans ce palais…

« Haïssent ! »

Ankhéfènie dont l’orgueil princier n’était pas vraiment le fort, n’en fut pas sensible. Il réfléchit un instant, puis il annonça, résolu : « Très bien, je me déguiserai donc en Hébreu ».

Eliakoum serrait les dents. « Mais mon maître, votre teint de peau, votre allure… ».

« Regarde-toi, mon jeune ami, tu ressembles à un égyptien de pure souche, ne puis-je pas en faire autant ? », répondit le prince d’un ton malicieux.

Eliakoum lança sa dernière carte. « Maître, les jeux de la capitale sont dans moins d’un mois et…sauf votre respect… »

« Je sais Eliakoum, je ne suis pas prêt. » Le prince s’arrêta pensif.

Il arpentait la salle de long en large. Une idée germa dans son esprit. Il s’approcha d’Eliakoum et, dans un murmure, il lui chuchota : « Au palais, il y a homme du nom de Anarè, il se présentera à ma place au tournoi de la capitale. C’est lui que tu vas entraîner dorénavant »

Perturbé, Eliakoum demanda : « Prince, croyez-vous vraiment que personne ne remarquera votre remplacement ? »

Abaissant la voix, le prince dit : « Anarè est mon sosie, personne ne connaît son existence. Parfois même, il me remplace à la cour sans que personne ne s’en aperçoive. Il comprend vite, tu auras certainement plus de facilité avec lui qu’avec moi », rétorqua-t-il le sourire en coin. 

« Vous avez confiance en lui à ce point ? Et s’il vous trahissait ? »

« La question devrait plutôt se poser sur toi, jeune Hébreu. Anarè m’a plus d’une fois sauvé la vie, je le considère comme un frère… Toi par contre, tu seras le seul à connaître son existence… », dit-il en scrutant son interlocuteur.

« Je…je…je ne vous décevrai pas, Maître », balbutia-t-il.

« Nous nous synchroniserons avec Anarè pour que personne ne soupçonne quoi que ce soit. Nous avons l’habitude, ne t’en fais pas… Ah, j’oubliais. Anarè est muet de naissance, mais fais bien attention, ses oreilles sont partout… ».

Eliakoum ressentit un soulagement, il avait gagné encore quelques jours dans la l’opulence du palais.

« Maintenant, dis-moi précisément comment me rendre dans le quartier des Lévites, je dois parler à l’un d’eux… ».