Il existe différentes traditions sur la Haftara que nous devons lire cette semaine. Généralement, il est prescrit de lire un texte du prophète Ezéchiel qui diffère selon les communautés ashkénazes (22, 1-19) ou séfarades (20, 2-20). Toutefois, en raison du contenu difficile de ces textes évoquant les turpitudes d’Israël, certains, notamment dans les communautés ashkénazes, ont l’habitude de lui substituer la Haftara de la Paracha A’haré-Mot, issue du prophète Amos. Pour notre part, nous allons nous intéresser ici au texte lu dans les communautés séfarades (Ezéchiel, 20, 2-20).
Comme nous l’avions déjà évoqué dans les Haftarot précédentes, Ezéchiel est un des prophètes majeurs du peuple d’Israël et fait partie, avec Isaïe et Jérémie, des trois grands prophètes scripturaires de notre tradition. Rappelons que cette importance n’est pas due à une hiérarchie de grandeur ou de qualité dans la prophétie, mais simplement car ces trois prophètes ont transmis une quantité importante de prophéties valables pour l’ensemble des générations.
Il n’en demeure pas moins qu’Ezéchiel est resté célèbre pour la qualité de sa vision prophétique, si bien qu’il est pris en exemple pour comparer sa vision à celle des Bné Israël lors de la traversée de la mer : « Une simple servante a vu, lors de la traversée de la mer, ce qu’Ezéchiel et les autres prophètes n’ont jamais vu ».
Le livre d’Ezéchiel est particulier car il obéit à un ordre chronologique rigoureux et indique de manière précise les dates de nombreuses prophéties. Sa prophétie s’étend sur environ deux décennies et a ceci de particulier qu’elle a été prononcée en exil. En effet, selon les sources, les commentateurs considèrent que le prophète Ezéchiel a fait partie de l’exil de Yéhoyakim dit des « charpentiers et des forgerons » (Jérémie 24,1) désignant l’élite intellectuelle et spirituelle de Juda ; alors que d’autres (Flavius Josèphe) considèrent qu’il a été exilé lors de l’exil ultérieur « des enfants », 18 ans avant la destruction du Temple et 8 ans avant l’exil des forgerons (J. Kohn).
La Haftara de cette semaine fait partie des premiers chapitres du livre qui évoquent d’une part des visions ésotériques d’Ezéchiel sur le char divin, mais qui annonce d’autre part les malheurs prochains auxquels la mauvaise conduite du peuple les expose, parmi lesquels la destruction du Temple.
Le chapitre précédent notre texte évoque deux allégories sur les tourments que va connaître le peuple d’Israël en raison de ses péchés, intitulées les paraboles de la lionne et de la vigne.
Mais revenons plus précisément à notre Haftara. Elle intervient alors que des « Zékénim », des « anciens », viennent trouver le prophète Ezéchiel afin d’une part de le supplier d’intervenir auprès d’Hachem de ne pas détruire Jérusalem, et d’autre part pour interpeler le prophète sur les souffrances de l’exil. Ils lui demandent notamment si le peuple était toujours astreint au respect de la Torah dans ce contexte, alors qu’ils avaient le sentiment d’être abandonnés par D.ieu.
Le prophète leur répond que D.ieu n’a jamais abandonné Son peuple, ni en Egypte ni dans le désert, en dépit de ses transgressions, et que, de même, D.ieu n’abandonnera jamais Son peuple à l’avenir, quelles que soient les difficultés endurées. Il leur demande de prendre conscience que leur salut réside uniquement dans leur respect de la Torah, des commandements, et notamment du Chabbath.
Liens entre la Haftara et la Paracha
La Haftara évoque de manière douloureuse les égarements du peuple juif tout au long de son histoire, son infidélité aux commandements d’Hachem et les abominations dans lesquelles ils ont pu sombrer. Pourtant, Hachem a été patient avec Son peuple et ne l’a jamais abandonné. Cet élément peut être lu en miroir de la Paracha A’haré-Mot qui énonce notamment que la Présence divine, la Chékhina, continue de résider avec Israël même au milieu de l’impureté : « Hachokhène Itam Bétokh Toumotam ».
Par ailleurs, la Paracha Kédochim évoque l’ambition fixée au peuple juif d’être un phare parmi les nations, au moyen notamment d’une vie vertueuse, d’une volonté de « sainteté ». Afin d’y parvenir, le peuple juif est invité à respecter les commandements divins, et notamment à se séparer des modes de vie des autres nations. Or, le message qu’Ezéchiel transmet au peuple dans notre Haftara est de la même nature. Il invite le peuple juif à persévérer dans la pratique des Mitsvot quelles que soient les difficultés, à ne pas sombrer dans l’idolâtrie commune aux autres nations, et à préserver leur particularisme, leur aspiration à la sainteté.
Nos deux textes évoquent également l’importance des commandements et notamment du respect du Chabbath, l’impératif de se séparer de l’idolâtrie et de préserver sa sainteté, et enfin font tous deux référence à la terre d’Israël comme « un pays où ruisselle le lait et le miel ».
L’écho de la Haftara
Cette Haftara est assez difficile tant elle renvoie une image peu glorieuse d’Israël et évoque des contextes d’adversité terribles où notre peuple a été éprouvé. C’est là probablement une des raisons pour lesquelles nos Sages ont parfois recommandé d’y substituer la lecture d’un texte d’Amos.
Il n’en demeure pas moins que le choix initial et le maintien dans de nombreuses communautés de ce texte est porteur d’enseignements utiles à toutes les générations.
En effet, la vie du peuple juif en exil depuis des milliers d’années n’a jamais été un long fleuve tranquille. La coexistence de notre peuple au milieu d’autres nations met en relief nos différents modes de vie, nous singularise à leurs yeux provoquant au mieux un malaise, au pire une haine féroce. L’histoire a prouvé à quel point la présence des Juifs, aussi discrète et pacifique fut-elle, provoqua des réactions irrationnelles, folles, de la part de certains de nos contemporains.
En outre, cette cohabitation et la diffusion du mode de vie des autres nations peut exercer un effet de séduction sur une partie de notre peuple, qui réclame de pouvoir calquer son mode de vie sur celui des autres nations. C’est là notamment une des revendications des « anciens », des « Zékénim », qui viennent trouver le prophète Ezéchiel.
La réponse de ce dernier est toutefois sans appel : elle rappelle au peuple d’Israël qu’il n’a pas d’autre choix que de suivre le chemin prescrit par Hachem, et que le Tout-Puissant ramènera le peuple juif vers Lui « d’une main forte, d’un bras étendu, et dans le déversement de sa colère ».
Pour autant, le peuple juif n’est jamais seul en exil. Il a toujours accès à la protection de D.ieu, à son soutien miraculeux qui assure depuis l’origine l’éternité de notre peuple. Un Midrach nous rapporte ainsi que, suite à la déclaration d’Hachem : « Je ne vous laisserai pas m’implorer », le prophète Ezéchiel a interpelé D.ieu pour savoir si le mérite de la Torah permettrait au peuple juif d’implorer la Miséricorde divine. Et Hachem de répondre au prophète : « Ton argument est bon ! Je vais exaucer les prières des Bné Israël pour le mérite de la Torah » (Yalkout Chimoni).
A nouveau, nous voyons donc que le seul salut du peuple juif réside dans la fidélité à la Torah et aux commandements d’Hachem. Ce postulat est vrai de tout temps, mais il est tout particulièrement opportun de s’en rappeler et de le lire dans les temps troublés que nous connaissons en exil.
Il faut admettre que cet enseignement est assez simple et a priori connu de tous. Mais le travail qu’il nous appartient d’accomplir est probablement de lui donner du relief, de la profondeur, et une réalité dans nos vies. Nous devons méditer sur l’importance de la Torah comme secret de notre sagesse, de notre longévité mais aussi de notre protection.
Nous devons faire pénétrer au cœur de nos esprits et de nos âmes la conviction que les prescriptions de notre sainte Torah relèvent de l’esprit divin. A ce titre, elles détiennent un secret qui échappe à toute démonstration, possèdent une actualité éternelle qui ne saurait se confondre avec l’air du temps que l’on nomme « modernité », et enfin tissent un fil invisible, mais ô combien réel, entre l’homme et le Créateur du Monde, permettant d’échapper au chaos du hasard de la nature.