Notre paracha dit : « Tu ne vengeras pas, tu ne garderas pas rancune… ; tu aimeras ton prochain comme toi-même. »[1]
La mitsva d’aimer son prochain comme soi-même est décrite par Rabbi Akiva comme étant un grand principe de la Thora[2]. Aussi, lorsqu’un homme en voie de conversion demanda à Hillel Hazaken de résumer la Thora « sur un pied », il mentionna cette mitsva, ajoutant que le reste de la Thora venait expliquer cette obligation.[3] Le Ben Ich ‘Haï affirme que malgré la place prépondérante qu’elle occupe dans la Thora, une grande partie de cette mitsva est négligée par plusieurs personnes. Selon lui, bien que beaucoup de gens aient conscience qu’elle exige une sollicitude vis-à-vis du bien-être physique du prochain, ils réalisent moins l’obligation qu’elle impose sur le plan spirituel. Il ajoute que lorsque l’on aide son ami dans la rou’haniout (spiritualité), on accomplit la mitsva de façon bien plus parfaite que quand on lui prodigue un bienfait dans la gachmiout (matérialité).
Le Ben Ich ‘Haï explique : « Lorsque l’on aide l’autre physiquement, on exprime notre préoccupation pour son corps ! Mais l’essence de la personne provient du côté divin qui est en elle, de son âme, qui ne tire aucun profit de la matérialité. Par contre, si l’on réprimande son ami et qu’on l’empêche par là de transgresser les mitsvot d’Hachem, on manifeste un souci pour son âme et on montre que notre amour pour son bien-être spirituel est bien plus grand que celui porté sur son aise matérielle. »[4] Le Ben Ich ‘Haï nous enseigne donc que pour accomplir au mieux la mitsva d’aimer son prochain, on ne peut pas limiter sa gentillesse à la gachmiout, mais il faut s’efforcer de l’aider encore plus dans la spiritualité.
Il existe plusieurs façons d’aider les autres dans ce domaine. Le Ben Ich ‘Haï évoque la réprimande, mais dans la génération présente, il est très difficile de faire un reproche correctement, sans causer de tort. On peut, en prenant moins de risques, partager sa Thora avec les autres. D’ailleurs, ‘Hazal affirment à diverses reprises que l’enseignement de la Thora est un objectif prioritaire — la guemara (Roch Hachana, 23b) fait savoir que celui qui apprend et qui n’enseigne pas ressemble à un myrte dans le désert. Le Maharal explique que le myrte est l’arbre le plus parfumé ; il fut créé pour que les gens profitent de son odeur agréable. Un myrte dans le désert ne réalise pas son objectif puisque personne ne jouit de lui. De même, la Thora est là pour être transmise et celui qui y renonce ne réalise pas son objectif sur terre.[5]
La michna dans Pirké Avot déclare : « Si tu as appris beaucoup de Thora, al ta’hzik tova léastmékha (ne t’enorgueillis pas), parce que c’est pour cela que tu as été créé. »[6] D’après son sens simple, on comprend de cette michna qu’il ne faut pas se sentir fier de ses réalisations dans l’étude de la Thora parce que c’est le but de sa vie. Cependant, plusieurs commentateurs proposent une interprétation différente. Ils pensent que si quelqu’un a appris beaucoup de Thora, il ne doit pas garder ce bien pour lui-même, mais en faire profiter les autres et l’enseigner. Pourquoi ? Parce que son but sur terre est d’apprendre et d’enseigner.[7]
Comment partager sa Thora aux autres ? On peut créer une ‘havrouta (partenariat d’étude) avec des personnes d’un niveau moins élevé. Nombreuses sont les institutions (yéchivot, synagogues…) qui recherchent des gens prêts à consacrer une partie de leur temps à donner des cours à ceux qui en savent moins qu’eux. Un simple appel à ces organismes est peut-être le seul effort nécessaire pour trouver une ‘havrouta appropriée. De plus, l’enseignement n’est pas nécessairement en tête à tête ; avec la technologie moderne, on peut apprendre avec un interlocuteur vivant dans un autre pays, par téléphone ou autre moyen. Par ailleurs, l’expression écrite est très efficace pour profiter à plusieurs personnes simultanément – en écrivant un Dvar Thora sur la Paracha ou sur un autre sujet. Il est également important de souligner que l’apprentissage de la Thora ne se limite pas à un cours classique – les opportunités de partager la Thora avec autrui sont innombrables dans le quotidien, que ce soit avec les collègues de travail, le chauffeur de taxi ou des amis…
Nous apprenons de l’enseignement du Ben Ich ‘Haï que pour bien accomplir l’obligation d’aimer son prochain, il faut essayer de l’aider dans la rou’haniout autant que dans la matérialité. Puissions-nous tous mériter de réaliser cette mitsva de manière parfaite.
[1] Parachat Kedochim, Vayikra, 19:18.
[2] Rachi, ibid.
[3] Voir Maarcha, Chabbat, 31a pour comprendre pourquoi Hillel met l’accent sur l’aspect « négatif » de la mitsva (comment ne pas considérer son prochain) tandis que la Thora fait ressortir son aspect « positif ».
[4] Divré ‘Haïm, rapporté dans Peniné Ben Ich ‘Haï, Parachat Kedochim, p. 108.
[5] Maharal: ‘Hidouché Agadot, 23b. Voir également Nétiv Thora, ch. 8 pour un exposé plus détaillé à ce sujet.
[6] Avot, 2:9.
[7] Midrach Chemouel, Avot, 2:9. Voir Midrach David, Lev Eliyahou, parachat Tazria-Metsora, pour une interprétation similaire. Entendu également du rav Zéev Leff chlita, au nom du Klausenberger Rebbe zatsal.