Avec la Paracha de cette semaine, Vayélèkh, nous faisons un nouveau pas en avant vers la fin du livre de Dévarim et le départ physique de Moché de ce monde. Toutefois, une loi importante doit encore être enseignée aux Bné Israël : celle de la lecture publique de la Torah, durant les jours de Souccot à l’issue de l’année de la Chémita, du repos des terres.
Tout le peuple devait alors se réunir dans le parvis du Temple, autour du Roi, pour écouter la lecture publique de la Torah faite par le Roi. Tout le peuple devait être réuni : hommes, femmes, enfants et y compris les esclaves ; nul ne devait manquer à l’appel. La solennité de cette cérémonie permettait notamment d’affermir la foi dans la Torah de l’ensemble du peuple (Rambam).
Le traité ‘Haguiga du Talmud s’ouvre précisément sur l’énumération des personnes autorisées à se rendre à Jérusalem, sur le parvis du Temple, lors des fêtes de pèlerinage. Certaines personnes, malades, souffrant d’infirmités ou d’autres troubles, étaient ainsi dispensées de faire le déplacement.
Toutefois, une attention particulière est accordée aux enfants, et l’âge à partir duquel leur présence était requise donne lieu à une discussion entre les Sages : dès lors qu’ils peuvent marcher en tenant la main à leurs parents pour les uns, dès lors qu’ils tiennent sur les épaules de leurs pères pour les autres. Toujours est-il que ces deux avis ne posent aucune condition de maturité intellectuelle, elles n’exigent pas que l’enfant soit conscient, ou tout au moins qu’il ait un début de conscience de la Mitsva qu’il accomplit et de son importance.
En effet, en principe, du point de vue du ‘Hinoukh (éducation), on justifie d’initier les enfants aux Mitsvot dès lors qu’ils sont en âge de comprendre les commandements afin de leur donner de bonnes habitudes, de mettre leur vie en cohérence avec ce qu’ils feront plus tard, et de préserver la pureté de leur Néchama.
Néanmoins, ce qui se joue, ici, dans la présence des enfants au Temple, ne semble pas relever de la même logique ; ce qui compte, ce n’est pas la compréhension de l’enfant, mais sa présence physique dans ce lieu.
Lorsque les Sages du Talmud ont exposé ce principe devant Rabbi Yéhochoua, ils l’ont justifié comme le fait Rachi dans notre texte : « pour donner du mérite à ceux qui les amènent ». Il est donc méritoire pour les parents d’habituer les jeunes enfants aux paroles de Torah et à la sainteté dès leur plus jeune âge.
Lorsque Rabbi Yéhochoua a entendu cette explication, il était si émerveillé qu’il l’a qualifiée de « pierre précieuse ». Et, de fait, il ne pouvait être insensible à un tel enseignement, lui qui avait été amené, bébé, dans les maisons d’étude par sa mère afin que son oreille s’habitue aux paroles de Torah.
On comprend ainsi intuitivement que ce qui se joue dans la fréquentation du Temple, des lieux d’étude et de prière, ce n’est pas seulement une compréhension intellectuelle mais avant tout l’acquisition d’une sensibilité particulière à la sainteté.
Il est vrai que les petits enfants qui se déplaçaient jusqu’au Temple ne comprenaient pas intellectuellement l’enjeu de cette présence, mais ils voyaient le Temple, assistaient aux célébrations et pouvaient être vus également par la Présence divine en ce lieu à cet instant. Ces visions réciproques conféraient à l’enfant un « supplément d’âme », un surcroît de Kédoucha, de sainteté.
La tradition juive souligne à de nombreuses reprises l’importance de la vision, et notamment qu’à travers cette faculté, l’homme touche à une dimension profonde de son être. En effet, ce que nous voyons n’est pas neutre d’un point de vue spirituel, cela peut augmenter notre sensibilité à la sainteté, mais aussi, D.ieu préserve, la diminuer.
Nos Sages nous mettent en garde : « Il est interdit de regarder un homme mauvais », mais : « Il est bon de regarder un juste ». Aussi, ce qui se joue dans le fait de surveiller son regard ne relève pas simplement de la pudeur, il s’agit davantage d’une impérieuse nécessité de préserver la pureté de sa Néchama.
Lorsque l’on demandait à un grand Tsadik de notre génération comment il pouvait avoir une telle vision sur les hommes et les évènements qui lui étaient soumis, il expliquait : « Celui qui surveille ses yeux peut voir des choses que les yeux ne voient pas ».
Effectivement, notre tradition désigne bien souvent les prophètes ou ceux qui sont doués d’un esprit prophétique de « ‘Hozé » (voyant), car leur capacité spirituelle est si pure et si développée qu’elle leur permet de saisir des évènements et des réalités imperceptibles.
Ce principe est un enseignement particulièrement approprié à notre époque qui se définit volontiers comme « civilisation de l’image ». Toute image y est accessible facilement, immédiatement, la publicité envahit l’espace public, l’information se vit en direct, images et vidéos à l’appui, et il faut une volonté particulièrement forte pour s’extraire de ce tourbillon et surveiller ses yeux.
Pourtant, l’enjeu est de taille : il s’agit de préserver notre âme et notre sensibilité à la sainteté. Et, comme toujours, plus l’enjeu est difficile, plus le salaire et le mérite sont grands, et chaque victoire, fut-elle petite, compte et a un prix.
Puisse Hachem nous donner le mérite de progresser dans ce domaine et nous donner la possibilité de voir de belles et grandes choses autour de nous, dans nos familles, nos communautés, et, bien sûr, de pouvoir contempler très prochainement le nouveau Temple ! Nous pourrons alors à nouveau y amener nos petits enfants et avoir le mérite de voir, tous ensemble, la Chékhina (Présence divine) et d’être vus par Elle.