Des passages talmudiques complets sont consacrés au thème de l’étude de la Torah, et plus particulièrement au devoir de « s’y consacrer jour et nuit » (notamment dans le traité Ména’hot, page 99/b). Si bien que nos Sages introduisirent dans les bénédictions du Chéma Israël une formule spécialement dédiée à ce thème : « Que nous nous réjouissions dans l’étude des paroles de Ta Torah (…) Car elles sont notre vie et notre longévité, et nous nous y absorberons jour et nuit »…
D’une manière qui ne laisse aucune place à l’équivoque, Maïmonide statue dans son Michné Torah (Talmud Torah 1, 8) : « Tout homme juif, riche ou pauvre, bien portant ou accablé par la maladie, jeune ou âgé au point d’être sans vigueur, est tenu d’étudier la Torah. Même s’il devait être un pauvre qui subvient à ses besoins en mendiant aux portes, ou s’il devait être marié et père de famille, il aura l’obligation de fixer un moment à l’étude de la Torah le jour et la nuit, comme il est dit : ‘Vous vous y consacrerez jour et nuit’, (Josué, 1, 8) ». Un peu plus loin (paragraphe 10), le Rambam renchérit : « Jusqu’à quel moment l’homme doit-il étudier la Torah ? Jusqu’au jour de sa mort, comme il est dit : ‘Garde-toi de les laisser échapper de ta pensée à aucun moment de ton existence !’ ».
Car elle est notre vie !
La constance et l’assiduité dans l’étude de la Torah sont en vérité inscrites dans son essence même. Car aux yeux du judaïsme authentique, l’étude est considérée comme « l’oxygène » par excellence de l’âme : de la même manière que nul ne peut survivre s’il s’abstient de respirer, ne serait-ce seulement quelques secondes, ainsi le Juif ne peut concevoir de vie spirituelle s’il devait se détacher un tant soit peu de la Torah. Le Tana déBé Eliahou (zouta, chapitre 13) l’énonce d’ailleurs clairement : « L’homme ne peut survivre sans l’étude de la Torah, ne serait-ce qu' une seule heure ! ».
Dans le chapitre suivant de cet ouvrage de référence, nos Sages rapportent d’ailleurs une anecdote hautement édifiante, relatée par le prophète Eliahou en personne :
« Un jour, je marchais en chemin lorsque je croisais un homme ne connaissait ni la Torah, ni la Michna. Cet homme proférait des paroles cyniques et moqueuses, et il vint à ma rencontre. Je lui dis : ‘Mon fils, que répondras-tu à ton Père Qui est au Ciel lorsque viendra le jour du jugement ?’. Il me dit : ‘Rabbi, j’ai des arguments à Lui opposer : m’a-t-on seulement gratifié dans le Ciel de sagesse et d’entendement pour que je puisse lire et apprendre ?’. Je lui demandais quel était son métier, et il me répondit qu’il était pêcheur. Je lui dis : ‘Mon fils, qui t’a donc donné la sagesse de cueillir du lin, d’en tisser des filets, de les jeter à la mer et d’en retirer des poissons ?’. ‘Maître, me rétorqua-t-il, pour cela on m’a accordé de la sagesse !’. Je lui dis alors : ‘Si déjà pour cueillir du lin, tisser des filets (…), le Ciel t’a donné sagesse et entendement, pour les paroles de Torah (…) n’est-ce pas à plus forte raison ? ».
Le message que véhicule ce Midrach est développé de manière remarquable par le Rabbi de Kotsk. De fait, Eliahou n’a pas débattu avec cet homme sur le fond même de son propos, car il est indéniable que certaines personnes sont dotées de capacités intellectuelles supérieures à celles d’autres. Car les arguments d’Eliahou tenaient en fait sur le propre vécu de cet homme, en soulignant le fait que nul ne naît pêcheur... Et si malgré tout, lui-même parvint à apprendre ce métier, c’est uniquement du fait de la nécessité, parce que sa subsistance exigeait de lui qu’il soit capable de pratiquer un métier. Or s’il avait pris conscience - dans la même mesure - de l’impératif absolu d’étudier la Torah chaque jour, il ne fait aucun doute qu’il aurait trouvé en lui les aptitudes d’apprendre et de comprendre ses enseignements.
L’interruption dans l’étude…
Cet impératif revêt une telle dimension que la Torah stipule dans notre paracha : « Tu les enseigneras à tes enfants, et tu t’en entretiendras dans ta maison, en voyage, en te couchant et en te levant », (Dévarim, 6, 7). Rachi, citant le Sifri, précise encore davantage les implications réelles de cette mitsva : « Tu t’en entretiendras – que l’essentiel de ton propos n’ait trait qu’aux paroles de la Torah ; fais-en l’essentiel de tes discussions et non l’accessoire ! ».
Par ce commandement, la Torah entend donc que nos propos soient essentiellement consacrés à ses enseignements, et elle proscrit de la sorte toute forme de « bitoul Torah » [l’interruption dans l’étude]. Précisons que cette prescription ne porte aucunement sur les paroles interdites – tels que la médisance, le colportage ou le mensonge –, mais bien sur les propos qui sont en soi parfaitement autorisés. Car toute discussion qui n’a pas trait à l’étude de la Torah est automatiquement considérée comme un « bitoul Torah »…
Certes, le Saint béni soit-Il créa la vie sur terre avec des exigences matérielles qui contraignent souvent l’homme à s’écarter de l’étude de la Torah pour se consacrer à sa propre subsistance. Mais au demeurant, il lui faudra considérer ces occupations comme secondaires et uniquement motivées par la nécessité.
Selon Rabbénou Yona, cette exigence de ne pas écarter nos paroles des enseignements de la Torah s’explique par deux motifs : « Premièrement, il est admis que de l’abondance des paroles découle l’abondance des fautes.
Deuxièmement, toutes ces paroles éloignent l’homme de la Torah et le conduisent sur le chemin de la mort. Car comment l’homme peut-il ignorer que ces instants gaspillés à des paroles futiles auraient pu être destinés à la Vie éternelle, si seulement il les avait consacrés à l’étude de la Torah, puisqu’il était alors libre de toute occupation professionnelle »…
Telle est l’importance que peut revêtir chaque mot qui s’échappe de notre bouche ! Car comme le note rav Baroukh Ber de Kaménits (Kiddouchin 24, 8), outre la perte de temps, « les paroles futiles consistent à arracher concrètement la Torah de notre cœur. Ceci revient à commettre un ‘bitoul Torah’ actif, et pas seulement en s’abstenant d’étudier »…