« Moché raccompagna son beau-père [Yitro] et il s’en alla dans son pays. » (Chémot 18,27)
Rachi explique que Yitro est allé convertir sa famille.
Convaincu par les miracles de la sortie d’Égypte et de la traversée de la mer des Joncs, Yitro rejoint le peuple juif. Ensuite, il décide de repartir auprès de son peuple pour le persuader de se convertir également.
Le ’Hiddouché Lev fait une remarque intéressante sur la réaction de Yitro. Nous savons que le peuple juif atteignit une proximité exceptionnelle avec Hachem, dans le désert. Les Bné Israël étaient entourés par les nuées de Gloire, n’avaient pas à s’impliquer dans les activités physiques du quotidien, ne se préoccupaient pas de leur Parnassa, mangeaient la Manne qui tombait du Ciel et apprenaient la Torah directement de Moché Rabbénou. Il est évident que s’il était resté dans le désert, Yitro aurait bénéficié d’une grande élévation spirituelle. Pourtant, il décida de renoncer à tout cela et il retourna chez lui pour rapprocher son peuple de la Torah.
Si Yitro fut prêt à laisser le peuple juif pour aller convertir les non-juifs, ce qu’il n’était pas obligé de faire, alors nous devons, à plus forte raison, être prêts à délaisser notre propre Makom Torah pour rapprocher nos frères juifs du judaïsme et pour les influencer positivement. Qui plus est, entre Juifs, nous sommes co-responsables de l’avenir spirituel de la nation, de nos compatriotes (« Kol Israël Avérim Zé Lazé »). Le ’Hiddouché Lev précise qu’il ne faut pas craindre d’être affecté spirituellement en quittant un endroit de Torah, si cela est fait dans le but d’influencer favorablement nos frères juifs. En effet, si telle est la volonté divine, on n’y perdra rien.
Le ’Hatam Sofer ajoute même que l'on gagne à utiliser notre temps d’étude pour enseigner aux autres. La Guémara raconte que l'un des Amoraïm affirma apprendre davantage de ses élèves que de ses maîtres et de ses amis. Le ’Hatam Sofer explique qu’en enseignant, l’individu bénéficie d’une grande aide divine quant au temps consacré à sa propre étude.
Le ‘Hiddouché Lev rapporte ensuite une Michna de Pirké Avot qui semble contredire cette idée. La Michna (Pirké Avot 6,9) raconte que l’on proposa à Rabbi Yossi ben Kisma de quitter son lieu de Torah pour aller habiter dans une autre ville, démunie de Talmidé ’Hakhamim. L’homme qui fit cette proposition lui offrit une somme d’argent colossale, pour tenter de persuader Rabbi Yossi. Mais celui-ci répondit : « Même si tu me donnes tout l’or, tout l’argent et toutes les perles et pierres précieuses du monde, je ne vivrai que dans un endroit de Torah. » Cette Michna semble nous apprendre qu’il ne convient pas de quitter un Makom Torah, même pour aller enseigner la Torah.
Le ’Hiddouché Lev explique que la situation de Rabbi Yossi diffère complètement de celle dont on a parlé précédemment. L’homme qui fit la proposition à Rabbi Yossi ne souhaitait pas qu’il y enseigne la Torah, mais il voulait simplement redorer le blason de la ville en y faisant entrer un grand Talmid ’Hakham. Rabbi Yossi comprit donc qu’il ne pourrait aucunement influer sur les habitants de cet endroit, étant donné leur intention peu louable.
Rav Zéev Leff fait une autre remarque. Si l’on prend cette histoire au pied de la lettre, à savoir qu’il ne faut jamais quitter un lieu de Torah, pas même pour enseigner la Torah, alors comment peut-on espérer bâtir un lieu de Torah ? Il explique que lorsqu’un groupe de personnes arrive dans un nouvel endroit, il peut le transformer en Makom Torah par son influence positive. Mais dans le cas de Rabbi Yossi, il serait arrivé seul et sa capacité à métamorphoser la ville aurait donc été limitée.
L’enseignement du ’Hiddouché Lev est-il pertinent pour la plupart d’entre nous ? En effet, nous vivons souvent dans des endroits où la Torah est établie et pour diverses raisons, il n’est pas évident de les abandonner pour aller vivre dans un endroit vide de Torah. Il semble qu’il y ait quand même des façons d’appliquer cette leçon dans notre quotidien. Même si l’on vit dans un Makom Torah, il est toujours possible d’aller de temps en temps dans des endroits spirituellement plus déserts. La Guémara affirme d’ailleurs que celui qui enseigne la Torah dans un endroit où il n’y a pas de Talmidé ’Hakhamim est comparé au myrte (Hadass) dans le désert ; ce myrte est précieux pour les passants, parce qu’il est la seule source d’arôme agréable.
L’individu peut essayer, par exemple, d’aller de temps en temps dans de tels endroits pour enseigner la Torah. Qui plus est, de nos jours, on peut arriver à des endroits très éloignés tout en restant dans son propre Makom Torah, par l’intermédiaire de la technologie moderne (zoom, etc.).
Puissions-nous tous mériter de diffuser la Torah dans tous les endroits habités par des Juifs.