« Et ceux-ci sont les "Michpatim" que tu placeras devant eux. » (Chémot, 21:1)
Rachi explique les premiers mots du verset : lorsqu’il est dit « ceux-ci », c’est pour exclure ce qui précède, [et quand il est dit] « et ceux-ci », cela vient ajouter ce qui précède ; de la même manière que ce qui précédait provenait du Sinaï, ceux-ci également venaient du Sinaï.
Ainsi, Rachi affirme, sur la base de la Mé’hilta, que les mots « et ceux-ci » qui introduisent la Paracha, viennent enseigner que les lois de Parachat Michpatim furent également données au Mont Sinaï. Mais pourquoi avait-on besoin qu’on nous le précise ? On sait bien que toutes les Mitsvot furent transmises à Moché Rabénou au Har Sinaï !
Plusieurs commandements présents dans cette Paracha ont trait au comportement éthique entre un homme et son prochain, comme les lois des dommages causés à autrui, de la restitution d’objets perdus... De tels préceptes sont logiques et faciles à comprendre. Ainsi, on pourrait croire qu’ils sont « humains » et qu’ils n’ont pas le même statut que les ‘Houkim – les Mitsvot que personne n’aurait pu inventer, qui ne suivent pas la logique humaine. La Torah nous précise donc que les lois morales sont aussi d’origine divine.[1]
C’est avec une approche semblable que l’on peut expliquer le fait que seules les Michnayot de Avot sont introduites par la chaîne de transmission de la Torah depuis Moché jusqu’à la Grande Assemblée.[2]
On pourrait arguer que plusieurs principes du judaïsme sont évidents au point que n’importe quelle société pourrait les appliquer sans avoir recours à la Torah. Mais cette théorie est erronée. Rav Ken Spiro[3] demanda à ses centaines d’élèves laïques quelles étaient les valeurs fondamentales dans la vie. Les réponses se partageaient en six catégories : l’importance de la vie, la paix, la justice, l’éducation, la famille et la responsabilité sociale. Puis, il analysa les comportements des civilisations anciennes (en particulier les Grecs et les Romains), qui prônaient ces valeurs « évidentes » et qui eurent une influence marquante sur la société moderne. Il montra à quel point leurs comportements étaient loin de l’éthique et de la morale que l’on prêche aujourd’hui. Il prit l’exemple des sociétés où la préférence des garçons par rapport aux filles était si marquée, qu’il était courant que des parents abandonnent leurs petites filles et qu’elles meurent. Ce n’était pas considéré comme un acte cruel, il y eut même de grands philosophes (dont Aristote et Sénèque) qui proposèrent cette « solution » pour pallier les problèmes de surpopulation. Leur morale n’était pas objective, ils définissaient par leurs propres termes les manières « correctes » de gérer la croissance de la population et le caractère atrocement meurtrier de cette pratique ne les dérangea pas.
L’idée est la même concernant toutes les valeurs de bases du monde occidental – il y eut des périodes où elles n’étaient pas du tout évidentes. Ce n’est qu’avec les définitions claires de la Torah du « bien » et du « mal » que des concepts comme l’importance de la vie ou l’éducation peuvent être sacro-saints.
Quelle différence cela peut faire si ces valeurs proviennent de la Torah ou si elles ont été dictées par le bon sens de l’être humain ? Pour les personnes laïques qui pensent que la Torah ne s’applique pas à la société moderne et que dans les civilisations « éclairées », l’homme peut vivre une vie morale en utilisant sa raison uniquement, ce développement prouve que la Torah est très pertinente à notre époque et qu’elle est la base des valeurs les plus primordiales.[4]
Et pour ceux qui acceptent les enseignements de la Torah, cette leçon est d’une haute importance pour deux raisons. Tout d’abord, dans le domaine du Ben Adam La’havéro, plusieurs Mitsvot relatives à l’éthique ne suivent pas l’intellect humain. Par exemple, la Torah nous enjoint, dans la Paracha de cette semaine, d’aider à décharger l’animal de notre prochain. Ceci est parfaitement compréhensible, mais la Guémara explique que si deux ânes doivent être chargés ou déchargés et que l’un des propriétaires des animaux est notre ennemi, c’est lui qui aura priorité. On ne serait pas arrivé à cette conclusion par notre propre réflexion. Cela nous rappelle que l’on doit considérer tous les enseignements éthiques de la Torah comme des décrets divins, même si l’on pense qu’on les aurait respectés sans en avoir reçu l’ordre d’Hachem.
De plus, si l’on se souvient constamment que toutes les Mitsvot sont divines, on aura moins tendance à oublier d’avoir la Kavana nécessaire lors de leur accomplissement. Le ’Hafets ’Haïm[5] stipule qu’une Mitsva Ben Adam La’havéro faite sans intention d’effectuer une bonne action n’est pas considérée comme telle. Nombreux sont les actes quotidiens qui entrent dans cette catégorie – payer un chauffeur de bus ou de taxi, aider son conjoint, son enfant ou son élève, pratiquer la charité…. En accomplissant ces actions « mondaines » parce qu’elles sont des Mitsvot, l’individu transforme sa journée, l’élève de manière grandiose.
Puissions-nous tous nous souvenir que notre façon d’accomplir les Michpatim ne doit pas différer de celle d’effectuer les ’Houkim.
[1] Voir Divré Haggadah, Rav Yossef Chalom Eliachiv, Parachat Michpatim.
[2] Voir Méiri, introduction aux Pirké Avot.
[3] Il s’agit d’un conférencier à la Yéchivat Ech Hatorah.
[4] Il est vrai que ces valeurs ont été déformées par les humanistes laïques qui pensent que la morale est subjective. D’où, par exemple, l’évolution de l’euthanasie, qui est devenue une forme « justifiée » de meurtre.
[5] Ahavat ’Hessed, 2ème partie, chapitre 23, note.