« Et celles-ci sont les lois que tu placeras devant eux. » (Chémot 21,1)
Rachi explique, sur les mots « Que tu placeras devant eux » : Hakadoch Baroukh Hou dit à Moché : « Ne te dis pas : "Je vais leur enseigner le chapitre et la loi deux ou trois fois jusqu’à ce qu’ils les connaissent par cœur et je ne vais pas me déranger à leur faire comprendre la raison de la chose et sa signification". C’est pourquoi il est écrit : "Que tu placeras devant eux", comme une table dressée et prête à ce qu’on y mange.
La formulation employée par Hachem pour enjoindre à Moché Rabbénou d’enseigner les lois au peuple juif est inhabituelle. Rachi, explique, sur la base de la Guémara[1], qu’Hachem faisait allusion à la méthode d’enseignement de la Torah. Il ne suffit pas d’enseigner platement les termes des lois deux ou trois fois, mais il faut expliquer et donner les raisons des diverses règles, pour que l’individu les comprenne facilement.
En analysant cette interprétation de Rachi, on réalisera qu’il est possible d’apprendre la Torah en l’étudiant deux ou trois fois[2], mais pour comprendre réellement ses raisons et sa logique, il faut plus que cela. Pourquoi Rachi parle-t-il uniquement de deux ou trois fois, laissant sous-entendre que quatre fois pourraient faire l’affaire ? D’autant que la Guémara rapportée par Rachi, concernant la nécessité d’enseigner les raisons des Mitsvot, ne précise aucun chiffre, mais affirme simplement qu’il faut donner les raisons des lois de la Torah, quand on les enseigne.
Il semble que Rachi déduit ces chiffres d’un passage précédent de la Guémara. Celle-ci décrit la méthode par laquelle Hachem enseigna la Torah à Moché Rabbénou et comment Moché la transmit à Aharon, etc. Il en ressort que chacun entendit les enseignements quatre fois. Il est évident que cet apprentissage ne s’est pas fait de manière plate, mais qu’Hachem a donné les raisons des lois et que Moché en fit de même. C’est donc sur la base de cette Guémara que Rachi affirme que deux ou trois fois ne suffisent pas. Et la Guémara de conclure qu’un enseignant est tenu de répéter quatre fois son cours pour être sûr que le contenu est bien assimilé.
D’ailleurs, plusieurs Guédolim affirment qu’avant d’avoir étudié une Guémara quatre fois, on ne peut pas considérer l’avoir vraiment apprise. Ce n’est qu’au bout de la quatrième fois que l’individu peut estimer avoir clairement compris les enchaînements de la Souguia (sujet de la Guémara) et ce n’est qu’alors qu’il peut considérer qu’une étude supplémentaire serait une révision.
Comment peut-on être sûr de bien comprendre le sujet étudié ? Rachi répond de manière intéressante et quelque peu étonnante. La Guémara affirme qu’en allant à un cours de Torah, on est récompensé pour le trajet, ce qui laisse sous-entendre que l’étude en soi n’est pas primée (et qui est difficile à comprendre). Rachi explique que la plupart des gens ne comprennent pas véritablement le cours et ne reçoivent donc pas de salaire pour l’étude même, mais l’effort fourni pour s’y rendre est récompensé. Rachi ajoute que pour savoir si l’on comprend un cours, il faut être capable de le transmettre à quelqu’un d’autre par la suite. Ainsi, la capacité de transmettre son étude indique sa bonne compréhension. L’explication de Rachi est surprenante, car elle montre que le temps passé à l’étude ne mérite pas de récompense, malgré la sublimité de la Mitsva de Talmoud Torah, si elle n’est pas transmissible à d’autres.[3]
La compréhension de l’étude est donc primordiale et si elle reste superficielle, elle ne peut pas, en un sens, être qualifiée d’étude véritable. Ce prérequis ne semble pas limité à l’étude de la Guémara, mais concerne tous les domaines de la Torah, y compris la compréhension de la raison des Mitsvot. Il est vrai que l’on ne fait pas dépendre notre pratique des Mitsvot à ces raisons et nous savons que les Lois nous sont bénéfiques même si nous ne les comprenons pas tout à fait. Pourtant, de nombreux écrits sont consacrés aux Taamé Hamitsvot (littéralement, « le goût des Mitsvot ») ; ils ne constituent pas la raison de l’accomplissement des Mitsvot, mais sont d’une importance considérable et si celles-ci sont effectuées en en comprenant le but, elles sont censées transformer la personne. Par exemple, la pratique des lois de Chmirat Halachon devrait métamorphoser l’individu qui est supposé avoir un regard positif et ne pas se focaliser sur les défauts d’autrui, mais s’il se contente de respecter platement les lois, celles-ci n’auront pas cet effet.
Puissions-nous tous mériter d’étudier et de respecter la Torah en la comprenant réellement.
[1] Érouvin 54b.
[2] Ce commentaire de Rachi indique que même si l’on n’étudie que les faits, il ne suffit pas de les apprendre une seule fois.
[3] Il existe d’autres explications sur cette Guémara qui ne s’accordent pas à celle-ci – voir Tossefot Roch, Maharcha, Ayin Yaacov, Maharal, Méromé Sadé, ibid.