Après avoir reçu la Torah la semaine dernière, et notamment les « dix paroles/commandements », la Paracha de cette semaine évoque les dispositions plus précises de la loi reçue au mont Sinaï.
Notre texte est particulièrement riche en Mitsvot (53 commandements sont évoqués dans ce texte) et nous introduit le cadre général qui doit prévaloir dans les relations sociales au sein du peuple juif.
Dans notre quête du bonheur au fil de la Paracha, nous aimerions nous arrêter sur une disposition porteuse d’une profondeur toute particulière. Il s’agit du verset suivant : « Si tu vois le bœuf ou l’âne de ton ennemi, égaré, aie soin de le lui ramener. Si tu vois l’âne de ton ennemi succomber sous sa charge, garde-toi de l’abandonner, aide-le au contraire à le décharger » (Chémot 23, 4-5)
Ces versets ont fait l’objet de nombreux commentaires, et les plus connus mettent en lumière deux principes visés par ces lois. Il s’agit d’une part de ne pas être indifférent à la souffrance des animaux (« Tsaar Baalé ‘Haïm »), et d’autre part de lutter contre le Yétser Hara, les mauvaises inclinaisons de l’homme, la haine, la rancune, même si elles sont orientées vers un « ennemi » (R. Munk, R. Sacks).
Cette préoccupation est si forte dans notre tradition que les Sages du Talmud nous précisent que si l’on voit en même temps l’âne d’un ami et celui d’un ennemi, tous deux en mauvaise posture, on doit commencer par aider celui de notre ennemi. En effet, il s’agit de faire échec aux mauvais instincts de vengeance du mauvais penchant qui pourrait amener l’homme à se réjouir de constater l’infortune de son prochain.
Il est intéressant de constater que ce noble objectif d’amener l’homme à raffiner ses qualités d’âme n’est pas évoqué dans la Torah à travers des principes généraux, des exhortations morales, mais à travers un exemple très concret, une mise en situation de la vie courante dans lequel on indique à l’homme comment il doit s’y prendre.
Et, de fait, il s’agit d’un parti-pris récurrent de notre sainte tradition de s’intéresser aux actes de l’homme et pas seulement à son esprit. Rappelons-nous cette déclaration : « Naassé Vénichma - Nous ferons et nous comprendrons », qui valut au peuple juif le mérite de recevoir la Torah et d’être auréolé par D.ieu d’une « double couronne », selon la belle expression des Maîtres du Talmud.
Cette déclaration était précisément capitale car elle donnait un primat à l’action et non à la réflexion. Et Hachem d’observer qu’il s’agissait là d’un secret que « seuls les anges connaissent ». L’homme est, en effet, naturellement porté à inverser cette relation et à disqualifier tout ce qui n’est pas passé au tamis de « la raison ».
Notre Paracha nous ouvre un nouvel horizon : ce n’est pas l’intellect qui entraîne le cœur, ce sont les actes. Il ne s’agit pas de méditer sur les conséquences désastreuses de la haine entre les hommes ni de se souvenir qu’il est interdit de se venger et de garder rancune, il s’agit avant tout de prêter main forte à un homme qui se trouve dans la détresse. Cet acte ouvrira les cœurs et pénétrera les esprits de manière beaucoup plus efficace que bon nombre de discours moralisateurs.
Il est significatif que notre verset évoque la figure de l’ennemi. En effet, les Sages du Talmud enseignent que le terme « ennemi » désigne l’un des noms du Yétser Hara, le mauvais penchant. Il s’agit là d’une évolution significative car elle ne fait pas du Yétser Hara un être repoussant en soi, une manifestation inéluctable de la fatalité, mais un adversaire qu’il faut combattre pied à pied.
Comment mener ce combat ? Nos Sages invoquent ce verset du roi Salomon : « Si tu vois ton ennemi affamé, donne-lui à manger, si tu le vois assoiffé, donne-lui à boire » (Michlé 25, 21). Les nourritures dont il est question ici ne sont pas des nourritures matérielles dans l’interprétation des Sages, mais simplement de l’étude de la Torah comparée souvent au pain ou encore à l’eau.
Comme nous l’avons vu à plusieurs reprises, le Yétser Hara tire sa force du sentiment de manque, de frustration ou encore d’incomplétude. Il perçoit « la part » de l’autre comme illégitime et convoite ce qui lui manque comme la clé manquante à son bonheur. Le prochain n’est plus un frère, un ami, mais il devient un concurrent, et finalement un ennemi.
La lutte contre le Yétser Hara, l’ennemi par excellence de l’homme, se fait à l’aide d’une arme simple mais très efficace : l’étude de la Torah et la pratique des Mitsvot. Le Maharal de Prague nous rappelle que seule la Torah peut y parvenir car elle est la seule chose au monde qui soit authentiquement parfaite et qui connaisse aussi profondément les ressorts de la nature humaine. Bref, elle est la seule chose qui relève du Emet, de la vérité.
C’est précisément pour cette raison que la Torah ne propose pas uniquement à l’homme de méditer et de réfléchir mais aussi d’agir, et elle lui indique même, à travers les Mitsvot, comment faire concrètement. Aussi, en ajoutant l’acte à la pensée, la Torah permet à l’homme d’agir efficacement sur l’ensemble de son psychisme, sur son corps, son esprit, son cœur et finalement, son âme. Progressivement, l’homme coïncide avec l’essence de son être et trouve les moyens de son bonheur et de son épanouissement. Il pourra alors se surprendre à accomplir cette maxime de Rabbi Nathan : « Qui est l’homme fort ? Celui qui transforme son ennemi en ami… »
Chabbath Chalom !