La Haftara de cette semaine est issue du livre de Jérémie, chapitre 34. Elle se situe simplement quelques années avant la destruction du premier Temple, quatre ans précisément avant cet événement tragique, sous le règne du roi Tsidkiyahou.
Pour comprendre le texte de cette semaine, il est important d’avoir en tête le contexte géopolitique de l’époque. Jérusalem était alors menacée par l’empire babylonien et un siège avait commencé à se mettre en place autour de la ville sainte. La population de Jérusalem était paniquée face à cette menace grandissante et imminente.
Dans ce contexte, Jérémie transmet au roi un ordre d’Hachem. L’Éternel souhaite contracter une alliance avec le peuple : Il demande à tous de libérer tous leurs esclaves juifs même s’ils n’ont pas encore accompli six ans de servitude, et de s’engager également à l’avenir à ne plus jamais asservir leurs frères juifs.
Le roi Tsidkiyahou transmit cette prophétie à son peuple et décréta l’abolition de l’esclavage et la libération des esclaves. Le peuple accepta cette demande du roi et s’engagea à libérer et à ne plus asservir leurs frères. Cette soumission du peuple à l’ordre d’Hachem permit d’éloigner provisoirement la menace babylonienne grâce à une intervention providentielle et inattendue du pharaon égyptien et de son armée.
Toutefois, lorsque la menace babylonienne s’éloigna et que le siège fut levé, les maîtres reprirent leurs habitudes et forcèrent les anciens esclaves à revenir les servir. Non seulement le peuple ne respectait pas l’engagement qu’il avait pris auprès de D.ieu, mais en outre, cette démarche s’apparentait à un rapt de personnes qui étaient supposées être à présent libres.
Notre Haftara nous présente précisément la réaction de D.ieu face à la double faute que commettait alors le peuple. Le Talmud de Jérusalem (Roch Hachana 3.5) mentionne précisément ce refus de redonner la liberté aux esclaves comme l’une des causes de la destruction du Temple de Jérusalem.
Liens entre la Haftara et la Paracha
Il est possible de dresser plusieurs liens entre la Haftara et la Paracha.
Le premier, et le plus explicite, est probablement le thème de la libération des esclaves. Notre Paracha commence par prescrire à Israël l’obligation de libérer des esclaves au bout de six années, et comme nous l’avons vu, notre Haftara traite également de l’importance de ce commandement et de la gravité de le transgresser.
La deuxième thématique commune que nous pouvons identifier concerne le respect des intermédiaires que D.ieu envoie à Son peuple. Notre Paracha nous exhorte ainsi à l’écouter, être docile à sa voix, et à ne pas se rebeller contre lui. Or, précisément, notre Haftara nous donne une illustration dramatique des conséquences d’un manque de considération à l’égard des prescriptions du prophète Jérémie.
Enfin, nos deux textes évoquent le principe de la « Brit », l’alliance, conclue entre D.ieu et Son peuple. Cette alliance semble être le socle sur lequel est bâti la relation entre l’Eternel et les enfants d’Israël. Y porter atteinte est lourd de conséquences.
L’écho de la Haftara
Notre Haftara peut légitimement susciter l’étonnement du lecteur. En effet, il n’est pas commun que la négligence d’un commandement positif de réaliser une action, en l’occurrence de libérer les esclaves, suscite des conséquences aussi fortes, et des sanctions aussi rigoureuses.
Il faut donc reconnaitre qu’il se joue dans ce commandement un enjeu particulièrement important à l’échelle de l’humanité et de l’alliance conclue entre D.ieu et les enfants d’Israël.
Intéressons-nous tout d’abord à la libération des esclaves. Comme le rappelle la Paracha, les enfants d’Israël étaient eux-mêmes récemment esclaves en Egypte, et ils connaissaient mieux que quiconque les affres de ce statut où l’homme ne s’appartient plus. L’esclave ne dirige plus sa vie, il est subordonné à son maître durant sa servitude et lui doit l’obéissance. Or, ce statut est par essence provisoire ; il doit réparer des situations exceptionnelles et ne peut excéder une durée de 6 ans.
En effet, chaque juif a vocation à ne servir qu’un maître : Hachem. L’existence d’un autre maître voile l’obéissance dû à l’Eternel, et fait obstacle non seulement à l’accomplissement de la Torah en homme libre, mais aussi et surtout à l’épanouissement de l’homme dans une relation authentique à son Créateur. En forçant les anciens esclaves à revenir sous une nouvelle servitude, les maîtres ont ainsi volé des vies et les ont privées de leur raison d’être sur terre : servir Hachem et marcher librement dans Ses voies.
Par ailleurs, comme nous l’avons évoqué, le prophète Jérémie, et à travers lui Hachem, ne reproche pas simplement au peuple d’avoir violé un commandement, mais aussi d’avoir rompu une alliance, une « Brit ». Cette notion désigne dans la Torah une notion beaucoup plus forte que ce que le langage commun lui confère. Il s’agit véritablement des fondations sur lesquelles l’existence du peuple d’Israël repose, et le respect des termes de l’alliance est l’une des conditions de la stabilité et de l’épanouissement du peuple juif.
La Haftara fait allusion à une ancienne alliance bien connue ayant été conclue entre Avraham et Hachem : « Brit Ben Habétarim », l’alliance entre les morceaux. C’est précisément à cet instant qu’Hachem avait révélé à Avraham que son peuple serait esclave, mais qu’il ressortirait libre avec de grandes richesses et qu’il hériterait de la terre d’Israël. L’équilibre du monde et du destin d’Israël est bâti notamment sur cette alliance. La Haftara nous rappelle que Jérémie avait à nouveau demandé au peuple de contracter une alliance « entre les morceaux » avec Hachem. Or, en violant leur engagement de libérer les esclaves, le peuple rompit cette alliance et se coupa de la Protection divine. Il porta atteinte également à l’alliance originelle qui prévoyait la fin de la servitude.
C’est ainsi que la Haftara nous rappelle opportunément l’importance de l’alliance originelle dont nous sommes tous les héritiers, mais aussi des alliances personnelles que nous contractons avec Hachem au cours de notre vie. En effet, Hachem connaît les limites et les faiblesses des hommes, Il sonde les cœurs de chacun d’entre nous et connaît précisément le niveau que nous avons atteint, ce qui nous est encore impossible et ce qui est à notre portée.
Hachem ne nous demande pas l’impossible mais souhaite que, chacun à notre niveau, nous nous engagions dans un dialogue fécond avec Lui, à nouer de petites alliances qui jalonneront notre existence et nous permettront, pas à pas, de nous hisser à des niveaux que nous ne soupçonnons pas. Nous devons nous efforcer d’être les plus sincères, de laisser parler notre cœur et rejeter au loin toute forme d’hypocrisie et de duplicité à l’image de ceux qui libèrent un jour leurs esclaves et les reprennent le lendemain.
Notre « cœur », notre volonté et notre authenticité nous appartiennent, ils sont les privilèges de notre liberté fondamentale qui ne dépend d’aucun facteur extérieur. Sachons user de cette liberté de manière digne avec notre Créateur si bienveillant.
Puissions-nous avoir le mérite de prendre à cœur les alliances que nous nouons avec Hachem au cours de notre vie, les inscrire en cohérence avec la grande Alliance que les Patriarches ont scellée avec Hachem, et favoriser ainsi la venue du Machia’h rapidement de nos jours.