La traversée de la mer des joncs par les Enfants d’Israël est restée dans la tradition juive comme un évènement central de notre foi. Aucune situation ne semble désormais désespérée, fut-il pris en étau entre un océan d’un côté, et une armée vengeresse de l’autre, l’homme doit toujours garder l’espoir de pouvoir être sauvé par l’Eternel. Rien de Lui résiste, et certainement pas la nature qu’Il a créée, Hashem peut ainsi s’affranchir de ses règles pour sauver ses enfants.
Et, finalement, la question qui se pose n’est plus de savoir si D.ieu est capable de réaliser des miracles, la question est de savoir plutôt si l’homme est capable de tirer toutes les conséquences des miracles auxquels il assiste.
En effet, même si les générations ultérieures n’ont pas connu de révélations et de miracles aussi clairs et puissants que ceux des Patriarches et de la génération du désert, chaque génération, et chaque homme, au cours de sa vie, fait l’expérience de certains « miracles » qui viennent ponctuer son existence. Mais ces derniers ne sont pas toujours suffisants pour amener l’homme à s’amender et à ré-orienter sa vie vers davantage de sagesse et de proximité avec D.ieu.
Tout se passe comme si l’homme opérait une distinction dans son esprit et dans son cœur entre ce qu’il voit, ce qu’il sait, et les principes sur lesquels il fonde sa vie quotidienne. L’homme n’est ainsi pas toujours en mesure de tirer toutes les conséquences de ce qu’il sait, une force concurrente agit en lui pour torpiller tout élan spirituel.
Les révélations et les miracles peuvent alors représenter une épreuve pour l’homme car elles le mettent face à ses contradictions. L’homme ne peut plus se réfugier derrière des doutes, des raisonnements théoriques abstraits, il est face à la manifestation évidente et concrète de D.Ieu dans sa vie. Mais, est-il capable d’en tirer toutes les conséquences ?
C’est ainsi que lors du don de la Torah, après que les enfants d’Israël ont assisté à la révélation, Moshé Rabenou leur dit « N’ayez pas peur car c’est pour vous mettre à l’épreuve que D.ieu est intervenu ». Comme le rapporte Rav Dessler, dans Mikhtav Me-Eliyahou, Ramban note qu’il s’agissait d’une réelle épreuve « A présent que D. a retiré tout doute de vos cœurs, D. veut voir si vous l’aimez vraiment et si c’est Lui et Ses commandements que vous voulez ».
Il s’agit là d’un paradoxe fondamental inhérent à la nature humaine. Après l’ouverture de la mer, après la révélation de D.ieu au Sinai, on aurait pu s’attendre à ce que le peuple se soumette entièrement à D.ieu, n’ait plus aucun doute, plus aucune question. Et pourtant, chacun connaît les épisodes funestes qui se dérouleront peu de temps après : le veau d’or, la révolte de Kora’h, les explorateurs…
« Au point culminant de la révélation se trouve le point culminant de l’épreuve » pour la foi, résume merveilleusement Rav Dessler.
En effet, en matière de « émouna », de « foi », le défi n’est pas tant de savoir intellectuellement que « D.ieu existe » mais plutôt d’être capable d’en accepter toutes les implications dans sa vie quotidienne !
Pour y parvenir, l’homme doit développer une vertu particulièrement précieuse : la crainte du ciel. En effet, cette dernière est décrite par nos Sages comme la clef de voute de la foi et de toute sagesse. « Le début de la Sagesse réside dans la crainte de D.ieu » nous dit le Roi David, qui précise par ailleurs « la crainte de D.ieu est pure, elle existe éternellement ».
Nos maîtres (Or’hot Tsadikim) nous enseignent ainsi qu’il existe trois niveaux de crainte : le premier réside dans la crainte d’autrui sans éprouver la crainte de D.ieu, l’homme est vertueux car il souhaite s’acquérir les faveurs des hommes ; le deuxième niveau désigne la crainte de D.ieu par peur des punitions ou pour obtenir les récompenses promises par la Torah ; enfin, le niveau le plus élevé représente une crainte de D.ieu motivée uniquement par l’honneur de D.ieu, la conscience de Sa grandeur, Sa puissance et Son infini bonté.
Ce dernier niveau est difficile à atteindre car les hommes agissent bien souvent par intérêt et c’est pour cette raison que la Torah a également mis en place un système de sanctions/rétributions pour le respect de ses commandements. Les hommes ont ainsi « intérêt » à respecter la Torah, ils sont stimulés de manière concrète et efficace.
Pour autant, l’homme doit aspirer à s’élever au-dessus de cette crainte enfantine pour essayer d’atteindre le troisième niveau de crainte, motivé par l’honneur et la grandeur de D.Ieu. L’homme peut prétendre s’élever à ce niveau grâce à sa néshama, son « âme » qui est un « temple » sacré et éternel logé dans son être et qui le relie directement avec D.ieu.
La neshama aspire naturellement à s’unir à D.ieu non par intérêt mais par la reconnaissance de Ses miracles et de Ses merveilles. En écoutant son âme et en répondant à son désir, l’homme va développer en lui une connaissance plus fine de l’Eternel, et il va s’affranchir ainsi de la logique « interessé » du corps.
Quel que soit le niveau dans lequel l’homme se trouve, il peut prétendre restaurer sa relation avec l’Eternel à partir de son niveau actuel, son point de « bé’hira » (le niveau spirituel de l’homme) selon les mots du Rav Dessler, fut-il très bas. Pour y parvenir, il doit accepter de retirer les lunettes déformantes du monde chaussées par le corps, pour laisser apparaître la véritable nature de son âme qui aspire à se rapprocher de D.Ieu.
L’étude de la torah, la pratique des mitsvot permettent à l’homme de laisser davantage de place à la crainte authentique du Ciel. Les Sages du Talmud soulignent, par exemple, l’impact fondamental des bénédictions récitées chaque jour, avec une bonne concentration. Ils nous rappellent ainsi l’ambition à laquelle chacun doit aspirer d’essayer de réciter 100 bénédictions par jour. Elles sont les socles sur lesquels reposent la foi et la crainte du ciel.
Par ailleurs, l’homme a la chance de pouvoir nouer un dialogue avec l’Eternel, où se mèlent l’expression de notre gratitude, la reconnaissance de Ses merveilles et nos prières.
C’est ainsi que l’on pourra, avec l’aide d’Hachem, acquérir la crainte du Ciel, et pénétrer progressivement dans une relation plus élevée avec l’Eternel, source de nombreuses joies et d’épanouissement.