Au début de la Paracha, Moché Rabbénou reçut l’ordre suivant : « Recevez [le recensement] des têtes de toute la communauté des enfants d’Israël, selon leur famille, selon la maison de leur père, d’après le nombre de noms, tout mâle, selon leur [compte par] tête. »[1] Le mot employé pour parler du compte des têtes – Goulguelotam – est assez inhabituel. Il signifie littéralement « crânes », mais le Rama Mipano dans son ouvrage Assara Maamarot l’interprète différemment. Il écrit que ce mot évoque la réincarnation – Guilgoul. Ainsi, quand Moché recensa le peuple juif, il ne dut pas seulement compter les Bné Israël dans ce Guilgoul, mais devait scruter chaque Juif et voir, grâce au Roua’h Hakodech (inspiration divine) combien de fois chaque individu allait devoir revenir dans ce monde en Guilgoul.

Le concept de Guilgoulim est extrêmement profond, il dépasse la compréhension de la plupart des gens. Mais une analyse basique permettra néanmoins de comprendre quelque peu le but des réincarnations.

Selon les enseignements kabbalistiques, l’âme de la plupart des gens n’est pas nouvelle, en ce monde. Presque toutes les âmes sont déjà passées par le Olam Hazé, antérieurement et dans d’autres corps. Après le décès de ces corps, les âmes montèrent dans le Olam Hanéchamot (le monde des âmes) et Hachem, dans Sa sagesse infinie, décida qu’elles devaient revenir dans le Olam Hazé, dans des corps différents. Pourquoi devaient-elles revenir ? Chaque individu a une mission à remplir dans ce monde. S’il ne remplit pas sa mission ou qu’il commet des actes qui endommagent son âme, Hachem renvoie cette dernière dans un autre corps pour lui donner une chance de rectifier l’erreur. Si, là encore, l’âme échoue, elle risque de revenir une troisième fois. Et ainsi de suite jusqu’à ce qu’elle réussisse à remplir sa mission.

Les Mékoubalim[2] enseignent que certaines figures du Tanakh et certains de nos Sages sont des Guilgoulim des personnes qui vécurent auparavant. Ils font les liens entre ces personnages en fonction de similitudes dans certains domaines de leurs vies (par exemple les mêmes épreuves, les mêmes traits de caractère, des échecs ou des succès similaires).

Le Rama Mipano[3] donne un exemple. La Guémara[4] raconte l’histoire tragique du fils et de la fille de Rav Ichmaël ben Elicha, qui furent pris en captivité à l’époque de la destruction du deuxième Beth Hamikdach et vendus à deux Romains. Les deux maîtres se rencontrèrent et parlèrent avec beaucoup d’enthousiasme de la beauté de leurs domestiques respectifs. Ils décidèrent alors de les marier pour pouvoir profiter des magnifiques enfants qui naîtraient de cette union. Les deux esclaves, dont personne – pas même eux – ne connaissait le lien de parenté furent enfermés dans une pièce obscure durant toute une nuit.

Aucun d’entre eux ne savait avec qui il partageait la chambre. Le garçon se blottit dans un coin de la pièce, s’assit par terre et pleura, se lamentant : « Je suis un Cohen, le fils du Cohen Gadol ; comment puis-je m’unir à une esclave ? » De l’autre côté, sa sœur se disait : « Je suis la fille d’un Cohen, noble descendante des Kohanim du peuple juif. Devrais-je m’unir avec un esclave ? » Tous deux pleurèrent toute la nuit. Au matin, ils se reconnurent, s’enlacèrent et s’affligèrent sur leur triste sort, jusqu’à ce que leur âme les quitte.

Comment un tel malheur put-il arriver à des gens si vertueux, aux enfants d’un si grand Sage ? Pourquoi durent-ils être tourmentés par la pensée qu’ils allaient devoir se souiller ? Le Rama Mipano explique que ces enfants étaient en réalité des réincarnations de Amnon et Tamar[5], nés du même père, mais non liés d’un point de vue Halakhique[6]. Amnon convoita Tamar et fit en sorte d’être seul avec elle pour pouvoir la violer, ce qui eut des incidences terribles pour tous deux – Amnon fut assassiné et Tamar ne se maria jamais.

Le Rama Mipano affirme qu’à cause de cette faute, les deux durent revenir en ce monde et être placés dans une situation semblable où ils surmonteraient la tentation et honoreraient le Nom d’Hachem, contrairement au ’Hiloul Hachem occasionné lors de l’incident susmentionné.

Lue à part, l’histoire racontée dans la Guémara semble incompréhensible. Mais grâce au contexte rapporté par le Rama Mipano, on comprend mieux pourquoi c’est arrivé.

Bien que les raisons profondes des Guilgoulim soient au-delà de la compréhension du commun des mortels, les notions de base nous aident quand même à considérer des événements tragiques avec une perspective plus large et à savoir ce qui nécessite amendement.

 

[1] Bamidbar 1,2.

[2] En particulier le Rama Mipano.

[3] Rapporté par Rav Issakhar Frand.

[4] Guittin 58a.

[5] Voir Chmouël II, chap. 13

[6] Parce que Tamar était la fille d’une Yéfat Toar, une non-juive convertie en temps de guerre. Une convertie étant considérée comme une nouvelle créature, du point de vue de la Torah, son lien biologique n’a plus aucune importance après sa conversion.