Nous sommes en l’an 5669, il y a plus d’une centaine d’années à Chavali, en Lituanie. Le soleil éclaire la maison, composée d’une seule et unique pièce pauvrement meublée, où vivent ‘Haya Moucha, son mari Rabbi Avraham Lévinson et son saint père le grand Mékoubal : Rav Chlomo Elyashiv, auteur du « Léchem ChévoVéa’hlama ».
(Pour recevoir un certificat et émigrer en Terre d’Israël, la famille dut changer son nom de Lévinson à Elyashiv, nom de jeune fille de la mère).
Le foyer semble vide et sans vie. Aucun bruit ne trouble le silence. La maison est rangée et brille de propreté. Aucun jouet ne traîne par terre et les murs de la maison sont immaculés. et n’ont pas eu le privilège d’être emplis de petites et charmantes empreintes de doigts.
Le couple est marié depuis seize ans, mais n’a pas encore eu le bonheur de mettre au monde des enfants. Leur espoir est cependant ravivé lorsqu’ils apprennent qu’un professeur suisse a mis au point un remède permettant à beaucoup de couples n’ayant pas d’enfants de pouvoir enfin enfanter.
Le Rav Avraham Lévinson et son épouse décident de saisir cet ultime espoir. Ils emballent quelques affaires et emportent avec eux une somme d’argent considérable pour rémunérer le célèbre médecin. L’espoir au cœur, ils s’en vont pendant de longs mois et parcourent des sentiers et des routes défoncées, à bord de charrettes et de trains. Ils voyagent en espérant que ce professeur sera pour eux l’émissaire qui mettra un terme à leur souffrance.
‘Haya Moucha ne cessait de murmurer des Psaumes, imperturbable malgré les soubresauts de la charrette sur les chemins cahoteux. Elle n’avait en tête que le moment magique où elle mériterait d’enlacer son enfant. Elle pensait au bonheur de le bercer et de lui entonner de douces mélodies pour l’endormir. « Maître du monde, Père miséricordieux, je t’en prie, aie pitié de moi et accorde-moi le privilège de tenir mon propre enfant, dans les bras ». Ses lèvres susurraient cette requête sans relâche alors que son corps était malmené par ce voyage périlleux.
Après être entré dans le bureau du professeur et avoir expliqué leur situation, le couple se dirigea vers le laboratoire pour entamer une série d’examens. Les analyses terminées, le professeur leur annonça :
« Nous avons des médicaments et des plantes spéciales qui permettent aux couples stériles d’avoir des enfants. Cependant, nous ne les proposons qu’aux couples qui ont eu des résultats prouvant que ces traitements sont susceptibles de les aider. Si vous obtenez des résultats satisfaisants, nous vous convoquerons afin de vous préparer le remède adéquat ».
‘Haya Moucha et son mari retournèrent en Lituanie et attendirent fébrilement la réponse du dispensaire. Depuis son retour, ‘Haya Moucha sursautait en entendant chaque pas qui s’approchait de chez elle. Elle espérait que c’était Yanouch le postier, porteur d’une bonne nouvelle !
Une semaine s’écoula, puis un mois, et la missive ne parvenait toujours pas !
‘Haya Moucha avait eu le temps d’inonder littéralement son livre de Psaumes de ses chaudes et abondantes larmes.
Puis, un beau jour, Yanouch fit son entrée en brandissant la lettre tant attendue.
‘Haya Moucha lui donna quelques sous et prit la lettre d’une main tremblante ! Elle déchira précipitamment l’enveloppe et ses yeux déchiffrèrent à toute vitesse les caractères imprimés :
- « Il m’est pénible de vous faire part de cette nouvelle, mais il est de mon devoir de vous dévoiler la triste réalité. D’après les résultats, aucune thérapie n’est possible, vous n’avez aucune chance de mettre au monde vos propres enfants ».
Elle sentit le chagrin la submerger, mais elle se retint. Elle savait que son père, cet homme juste, étudiait assidûment dans la seule pièce de la maison. Si elle se laissait aller, il l’entendrait et serait dérangé dans son étude.
« A D.ieu ne plaise d’agir ainsi ! »
Elle sortit subrepticement et ce ne fut que dans la cour qu’elle laissa parler son cœur et donna libre cours à sa peine.
« Vous n’avez aucune chance de mettre au monde vos propres enfants… »
Comme une sentence, ces mots revenaient et martelaient son esprit. Etait-ce vraiment possible ? Etait-elle destinée à cette effrayante solitude ? N’aurait-elle jamais la joie et le mérite de fonder un foyer ?
Les sanglots saccadés parvinrent aux oreilles de sa voisine Brandel. Celle-ci entrouvrit sa fenêtre et aperçut ‘Haya Moucha qui pleurait amèrement. Elle éprouva de la peine pour elle. Même Yanté la colporteuse l’observait, les yeux larmoyants. Elle portait un panier de bégalés et se dit : « Peut-être qu’un de mes pains, tout chaud, va l’apaiser ? »
Puis elle se reprit : « Non, ce n’est pas de la nourriture qui soulagera son cœur meurtri ! »
‘Haya Moucha se sentait prise au piège. Elle voulait épancher son cœur dans l’intimité de sa maison et dans la discrétion, mais elle ne voulait pas déranger son père qui était plongé dans son étude de la Torah ! Alors qu’elle se tenait, courbée sous le poids de la douleur, la porte de la maison s’ouvrit, laissant passer son père, qui se rendait à la synagogue pour prier.
- « Pourquoi es-tu dehors en larmes, ma fille bien-aimée ? » l’interrogea son père, inquiet.
- « Le professeur m’a affirmé que je n’ai aucune chance d’enfanter ! » répliqua-t-elle, en montrant la feuille du doigt.
Le père regarda sa fille désespérée et saisit la raison qui l’avait poussée à sortir.
- « Tu n’as pas voulu interrompre mon étude. Par cet acte héroïque, je te bénis pour que tu aies un fils qui éclairera le monde par sa Torah. »
Et un an plus tard… L’heureuse nouvelle se répandit comme une traînée de poudre chez tous les habitants du quartier :
« Mazal Tov ! ‘Haya Moucha vient de mettre au monde un enfant après dix-sept ans de mariage ! »
« D.ieu soit béni, finalement ‘Haya Moucha est sortie de cette épreuve ! » pensa Brandel la voisine, en se dirigeant vers la maison de la jeune accouchée, avec un repas mijoté. Elle avait à l’esprit, ce jour où ‘Haya Moucha se tenait dans la cour, secouée par de profonds sanglots. « Pauvre ‘Haya Moucha, elle était si accablée qu’elle n’a pas pu endiguer le flot de ses larmes jusqu’au seuil de la porte. Elle a exposé sa peine aux yeux de tous ! » chuchota-t-elle.
« Moi aussi, je l’ai aperçue en train de pleurer » ajouta Yanté la colporteuse, qui arriva, sur ces entrefaites pour souhaiter « Mazal Tov ! ».
Ces deux femmes n’étaient pas conscientes que ce furent ces larmes silencieuses qui fendirent les Cieux. Cette crainte d’interrompre, ne serait-ce qu’un seul instant, l’étude de la Torah, lui a fait mériter (à elle et au Peuple d’Israël), d’être la mère d’un des Justes du Peuple Juif. Rav Yossef Chalom Elyashiv, fruit de cette abnégation, n’est-il pas le grand décisionnaire de la génération, qui éclaire, par son érudition, les yeux des enfants d’Israël, dans la Torah comme dans la Halakha !