Il peut arriver que la démocratie soit dangereuse, et que seule une situation d’urgence puisse démêler les fils du piège dans lequel la démocratie se trouve. Que D.ieu nous préserve d’une situation d’urgence, assurément, mais il semble que l’état actuel de la démocratie israélienne semble bien inquiétant. Deux tours d’élections ! Le troisième attend dans l’ombre ! La politique perd ses droits quand ce sont les problèmes personnels qui deviennent les critères, les valeurs absolues.
La démocratie, de ce fait, est-elle donc toujours le meilleur moyen d’exprimer l’opinion du peuple ? On rappelle toujours la boutade de Churchill : « La démocratie est le plus mauvais système politique, à l’exception de tous les autres ». Il ne s’agit nullement dans ces lignes de dénoncer la démocratie, assurément plus souhaitable que toutes les dictatures, mais ce que l’on voudrait souligner, c’est que, n’étant en aucun cas un absolu divin, elle peut parfois avoir des ratés dangereux. N’oublions pas que des Assemblées démocratiquement élues ont, en 1933, en Allemagne, donné le pouvoir à Hitler, et, en 1940, en France, ont donné des pleins pouvoirs à Pétain. La situation politique actuelle en Israël est tellement embrouillée que deux tours d’élections ne semblent pas avoir résolu les problèmes ! La mise en accusation du Chef du Gouvernement n’a fait que rendre le problème plus complexe.
Il n’entre pas dans notre propos d’apporter des solutions qui finiront bien par être trouvées – car la situation actuelle, instable, ne saurait se prolonger. Notre réflexion n’a d’autre but que de faire remarquer qu’une loi – écrite par des hommes et, de ce fait, nécessairement relative à des valeurs immanentes, humaines – ne saurait être absolue. Il n’est pas du tout dans notre intention de reconnaître la culpabilité ou l’innocence du Chef du Gouvernement ; cependant, quand il s’exprime en disant qu’il faut « enquêter sur les enquêteurs » (ce qui fut sa première réaction, après sa mise en accusation par le Conseiller Juridique), on ne peut s’empêcher de demander par quels moyens les éléments accusateurs ont été obtenus. Dans la presse, on évoque actuellement la méfiance progressive des Français face à la justice (L’Express n° 3563). On serait tenté d’appliquer à la population israélienne une réaction assez semblable. Certes, on évoque toujours en Israël le « ‘Hok » (droit) – élément fondamental de l’Etat de droit » que l’on aspire à fonder, à la place de l’Etat selon la Halakha – mais c’est là plus l’aveu d’un refus qu’un engagement idéologique essentiel. En toute hypothèse, la diffamation, les calomnies, la médisance, les injures personnelles s’inscrivent malheureusement ici dans le cadre des principes démocratiques ! L’idéologie fondatrice de l’Etat, qui rêvait d’une « nouvelle société », semble bien oubliée.
La Loi juive, la Torah, de source transcendante, ne saurait assurément accepter la corruption, la fraude, le mensonge, les actions malhonnêtes, et il n’est pas question, ici, de s’immiscer dans des débats qui nous sont fondamentalement inconnus. Cependant, il importe de savoir que les principes démocratiques ne sont nullement étrangers à la tradition juive. Dans le Kouzari, Rabbi Yehoudah Halévi souligne que l’autorité du chef, d’une part, et le principe démocratique qui donne une place essentielle à la majorité, ces deux principes se complètent et sont loin de se contredire. « L’édifice du judaïsme, écrit-il, est construit sur les deux piliers qui sont l’autorité divine (représentée par le Rav, chef du Beth Din) et la libre expression de la volonté du peuple » (Kouzari 3, 23). Le Rav Munk, qui rapporte dans « La Voix de la Torah » cette remarque du Kouzari, tire de ce passage une conclusion qui résume très clairement la perspective de la Torah sur la démocratie. « Le droit reconnu aux représentants du peuple de statuer par vote à la majorité sur des mesures ou des ordonnances (« Takanot »), comme sur des traditions et usages, n’a jamais donné lieu en Israël à des conflits avec l’autorité exercée par le Rav, qualifié par ses vertus morales, religieuses et spirituelles, en matière de législation et de doctrine. La coexistence des deux principes, indispensable à toute société organisée, assure une large place au principe démocratique, tout en garantissant par l’organe et l’autorité du Chef suprême, la souveraineté absolue de la Loi divine. Cette constitution harmonieuse est la préfiguration de celle du futur Royaume de D.ieu » (Commentaire sur l’Exode 23, 2). Espérons voir bientôt se réaliser cet idéal avec l’avènement messianique.