Pour embrayer directement sur la précédente partie de cet article, posons-nous une question hélas douloureuse. Qu’advient-il si les efforts investis pour résoudre les crises du couple ont échoué, ou bien si l’un des époux a pris le parti de renoncer avant l’heure ? Dans ce genre de cas, quand tout a été raisonnablement tenté pour pacifier, pour responsabiliser, pour agir, ou bien quand rien ne peut plus être fait car il est impossible de négocier avec un absent, le divorce peut être envisagé.
Plus encore : d’une certaine manière, il devient positif.
J’aimerais m’arrêter sur cet adjectif qui pourra surprendre. En soi, un divorce n’est pas une bonne chose. C’est un cataclysme, c’est un pilier de la vie qui s’effondre. C’est aussi un moment d’intense tristesse, et je ne crois pas trop grandiloquent de comparer un divorce à un deuil. Pour la Torah, la mort se définit par un potentiel de vie non réalisé. En cela, le divorce s’en rapproche indéniablement et ne peut que causer un deuil. Ce que deux êtres auraient pu construire ensemble, ce qu’ils auraient pu s’apporter l’un l’autre, ce que deux parents auraient pu construire chez leurs enfants, ce qu’ils auraient pu leur transmettre, ce potentiel de vie incommensurable ne pourra plus jamais être. Alors oui, quand on divorce, ou même déjà quand on envisage cette issue, on pleure une sorte de mort. Est-ce un hasard si le traité du Talmud consacré au divorce conclut quasiment par les mots : « Quiconque divorce de sa première femme, même l’Autel verse des larmes sur lui » (Guittin 90b) ?
Le divorce n’est pas un événement heureux, c’est entendu. Il n’en est pas moins, parfois, un événement obligé. Osons dire qu’il n’existe aucune gloire à perpétuer un couple que l’on voit se consumer à petit feu, et dont rien ne laisse raisonnablement présager qu’une étincelle de bonheur pourrait le raviver. Il n’y a aucune gloire à prolonger des années, un couple qui n’a de couple que le nom et qui ne produit que déception, frustration et résignation. Comme nous le soulignions à la fin de l’article précédent, D.ieu demande à l’homme de vivre. Cette posture, peu le savent, relève de la crainte de D.ieu ! Après avoir annoncé : « Je vais vous enseigner la crainte de D.ieu » (Téhilim 34,12), le roi David débute en effet son enseignement par une question rhétorique : « Quel est l’homme qui souhaite la vie ? » (Téhilim 34,13). Craindre D.ieu, c’est aussi préférer la vie authentique à une sorte de vie artificielle, de façade, celle que l’on jette en pâture au qu’en-dira-t-on pour faire croire à un couple heureux.
Il incombe donc de vivre et, au nom de ce principe, il peut être autorisé, voire obligé, de divorcer. Seulement, il faut savoir ce qu’il en coûte. Sans prétendre épuiser le sujet en quelques lignes, je voudrais proposer trois pistes de réflexion.
La première, qui me paraît la plus profitable, réside dans la reconstruction personnelle post-divorce. J’aime à employer cette boutade personnelle : « Comme pour se disputer, il faut être deux pour divorcer ». Sauf cas exceptionnel, une querelle ou une rupture n’est pas le fait d’une seule personne. On m’objectera que dans plus d’un divorce, seul un des époux se montre exécrable ! En réponse, je demanderai s’il est bien certain que l’autre époux n’aura pas « facilité » la tâche du premier, peut-être malgré lui, en n’ayant pas opposé un degré de construction tel qu’il aurait enrayé tout mécanisme relationnel nuisible.
Mais le sujet de la responsabilité de l’individu offrant une certaine faiblesse personnelle qu’un autre individu, mal intentionné, exploitera à son profit, sort du cadre et doit être laissé de côté. En deux mots, il s’agit de la volonté de destruction face à la tendance à se laisser détruire.
Sauf cas exceptionnel donc, après le divorce on ne perd certes rien à s’interroger, quand bien même on penserait n’avoir aucun tort, afin de déceler ce qui doit être amélioré. Qu’il soit question d’un simple « réglage » ou d’une reconstruction de grande ampleur, le bienfait sera toujours double : améliorer son vécu au présent, et éviter que d’éventuels schémas comportementaux néfastes ne s’invitent au prochain mariage. Car il faudra se remarier un jour, pour construire et construire encore puisque la vie le demande, avec des aptitudes nouvelles que cette reconstruction post-divorce aura permis de développer. À ce titre, soulignons que le second mari ou la seconde épouse que D.ieu présentera sera fonction du niveau de maturité d’alors. Si un individu a évolué positivement, D.ieu lui enverra un époux apte à faire fructifier son nouveau potentiel ; s’il est resté la même personne, il faudra s’attendre à revivre le même mariage, avec le même type d’époux, avec les mêmes difficultés, et à la clé le même divorce. Au fond, cette seule perspective peut suffire à convaincre chacun d’aller de l’avant.
La seconde piste de réflexion se rapporte aux enfants, s’il y en a. La problématique est triple : le développement des enfants confronté à la rupture de la cellule parentale, les modalités de lien entre les parents et leurs enfants vis-à-vis desquels ils gardent la responsabilité éducative même divorcés, et les modalités de lien des enfants avec les futurs époux des parents remariés. Ces facettes sont autant d’épreuves dont il faut avoir pleinement conscience avant de divorcer. Qui sait ? Peut-être même la crainte de voir ses enfants malheureux une fois papa et maman partis chacun de son côté, insufflera-t-elle au couple le courage nécessaire pour dépasser ce qui le fragilise ? Au mieux, le couple serait enfin heureux ; au pire, il aurait essayé… et c’est tout ce que D.ieu lui demande.
La troisième et dernière orientation concerne les modalités de lien entre époux séparés. Plus haut, je rapprochais le divorce du deuil. Toutefois, contrairement au deuil, dans le cas d’un divorce, le souvenir n’amène rien de positif. Comprenons que le mariage unit deux âmes pour un projet d’envergure à la fois physique, psychique et métaphysique. Avec le divorce disparaît le projet, si bien que le rapprochement entre l’ex-mari et l’ex-femme devient difficile à justifier. En fait, il ne peut l’être que pour de mauvaises raisons, essentiellement axées sur la nostalgie de moments agréables, ou sur le fantasme rétroactif d’une vie commune heureuse… à laquelle ils n’auront peut-être jamais goûté.
Il n’existe qu’une seule exception à la règle : les enfants. Les ex-époux doivent alors garder un lien assez ténu pour pouvoir reconstruire leurs vies respectives librement, mais assez fort pour que leurs enfants en perçoivent la chaleur. Si au contraire il n’y a pas d’enfants, il faut impérativement couper les ponts. Le passé, c’est ce qui a perdu son potentiel de vie. Or, comme je le rappelais, la Torah nous demande de vivre. C’est le moment présent qu’il faut exploiter au mieux, pour planter les graines d’un avenir source de bonheur ; mais quelle erreur de cultiver son passé, cette terre aride sur laquelle rien ne poussera plus !