J’aimerais vous relater certaines de mes expériences de voyage avec notre groupe en Europe et en Israël.
Depuis de nombreuses années, nous organisons un circuit patrimonial annuel en Europe de l’est, où nous tentons de raviver le souvenir de nos ancêtres et nous rendons sur les tombes de nos Sages, les dirigeants du judaïsme européen. Mais surtout, le point culminant de notre voyage est Erets Israël, Jérusalem.
Cette année, notre visite nous a conduits à Varsovie, Cracovie, Auschwitz, la Hongrie et l’Autriche. La Hongrie est mon lieu de naissance. Je connais bien ses villes et ses villages, car mes grand-pères, oncles et cousins ont tous été des Rabbanim et des Raché Yéchivot. Avec amour et dévouement, ils ont dirigé leurs communautés jusqu’à l’arrivée des Nazis, que leur nom soit effacé, qui les ont jetés dans les chambres à gaz. La Pologne était néanmoins un terrain inconnu pour moi. Je n’avais jamais été dans ce pays, je ne désirais pas m’y rendre, mais je ressentis le besoin de visiter les tombes de nos saints Sages qui y sont inhumés, ainsi qu’Auschwitz où ma famille, ainsi qu’une grande partie de notre peuple, avait été brutalement assassinée Al Kiddouch Hachem.
J’étais certes préparée au pire, mais je n’avais absolument pas été préparée à l’outrage que je ressentis dès l’instant où nous mîmes les pieds à Varsovie. Le ghetto, où nos frères et sœurs avaient été affamés, torturés et abattus avait été totalement aseptisé. Nous vîmes sur ce site des immeubles modernes et un parc où les gens se faisaient bronzer. Nous n’aurions jamais su que ce lieu abritait autrefois un ghetto si nous n’avions vu un monument en pierre indiqué par notre guide. Le même scénario se répéta à Cracovie : mais là où se trouvait autrefois le quartier juif, c’était encore plus insidieux. A Cracovie, un charmant square juif avait été créé pour attirer les touristes. Rempli de cafés aux noms juifs, il présente une ambiance de la vie juive, mais en réalité, il n’y a rien de juif ici. Il y avait bien sûr aussi un mémorial, que je trouvais tout aussi discordant et offensant que celui de Varsovie, car les inscriptions commémorant le meurtre de dizaines de milliers de Juifs décrivaient nos saints martyrs comme des « citoyens polonais de nationalité juive. »
Quelle ironie, pensai-je. A cette époque, aucun pays ne voulait nous accorder de nationalité. Nous étions les vagabonds du monde ; une proie facile pour les bêtes sauvages - tant de moutons à mener à l’abattoir…pour être détruits, frappés, humiliés et tués. Nous avons construit toutes les civilisations : dans chaque pays où nous avons résidé, nous avons apporté notre contribution grâce à nos moyens, notre énergie, nos talents et nos vies même - mais du jour au lendemain, nous sommes devenus du fourrage pour les fours, et ensuite, après nous avoir pillés et tués, nous sommes redevenus des « citoyens polonais. »
Mais malgré tout ceci, il y a eu un point culminant de notre visite en Pologne. L’outrage n’a pas été omniprésent. J’y ai aussi trouvé du réconfort et des forces en priant sur les tombes de nos éminents sages à Varsovie ; nous avons eu le privilège de prier sur les tombes d’immenses géants en Torah, Rav ‘Haïm Solovetchik et le Natsiv. J’ai été en mesure de leur dire que grâce à D.ieu, la voie qu’ils avaient pavée pour l’étude de la Torah était prospère…aujourd’hui, des dizaines de milliers de jeunes hommes étudient dans de remarquables Yéchivot en Erets Israël, aux Etats-Unis et en Angleterre et suivent la voie qu’ils avaient tracée. A Cracovie, nous avons prié dans la synagogue du Rama, et cela avait un sens tout particulier pour moi, car notre famille Jungreis remonte jusqu’à lui. Nous nous sommes rendus au cimetière juif, avons trouvé son Kéver (tombe) et exprimé notre gratitude pour le Choul’han Aroukh qu’il a codifié pour les Juifs ashkénazes. Nous avons également prié sur la tombe du Tossefot Yom Tov, dont le commentaire des Michnayot est un texte standard pour l’étude de la Torah. Avoir le mérite de prier sur ces tombes au mois d’Eloul était très gratifiant.
Notre visite à Auschwitz a été douloureuse et traumatisante, et là aussi, j’ai été outrée lorsque j’entendis le guide polonais déclarer sur un ton neutre : « Des individus de toutes nationalités et religions, parmi eux des Juifs, ont été tués ici. » Là aussi, le lieu avait été aseptisé, mais il reste suffisamment pour nous rappeler le mal satanique perpétré ici.
Je vis les rails des chemins de fer, les baraques, les latrines, les tours de garde. Des souvenirs me sont revenus en mémoire. Une fois de plus, je me retrouvais à Bergen Belsen. J’avais du mal à comprendre comment nous y avons survécu.
Il y avait de nombreux touristes- tous non-juifs. Je cherchais en vain un visage juif - il n’y en avait pas. Puis, venu de nulle part, j’entendis quelqu’un m’appeler. « Rabbanite, je vous transmets les salutations de votre arrière-grand-père. J’étais justement sur sa tombe en Hongrie. »
Mon interlocuteur était un Juif de New York d’origine hongroise: un survivant comme moi, qui, tout comme nous, était venu pour se souvenir. Ses propos furent un baume pour mon cœur brisé : « Des amitiés de mon grand-père. » Le son de ces propos était apaisant pour moi. Se trouver à Auschwitz et entendre quelqu’un vous dire : « Salutations de votre grand-père ». Mes yeux se remplirent de larmes. « Rassemblons tous les hommes de votre groupe et du nôtre et faisons un Minyan » proposai-je. La voix de mon fils récitant les propos éternels de la prière de Min’ha résonnèrent dans l’air. Je levai les yeux vers le ciel et espérai que mes grand-pères, grand-mères, tantes, oncles et cousins, qui ont tous été tués Al Kiddouch Hachem l’entendaient aussi.
Il n’y a pas de tombe à Auschwitz, uniquement des cendres. Ces cendres flottent dans le ciel et ont sûrement trouvé leur lieu de repos près du Kissé Hakavod, le trône céleste. Avoir formé un Minyan à Auschwitz et récité le Kaddich pour les saints martyrs, rappeler leur souvenir….à cet effet uniquement, j’ai senti que ce voyage avait valu la peine. Nous devons retenir ces événements…Ne permettons pas à l’oubli de gagner !