Ces dernières semaines, j’ai reçu de nombreux e-mails de différentes personnes du monde entier, exprimant leur appréciation devant ma décision de partager mes épreuves personnelles sur un forum public. Ils se sont tous sentis renforcés et inspirés.
Je sais, sans le moindre doute, qu’Hachem m’a accordé une guérison miraculeuse par le mérite de ces prières. La prière est un puissant moyen d’ouvrir les Portes du Ciel. La prière peut créer des miracles, même face aux diagnostics les plus pessimistes. Et même si, au départ, nous ne réussissons pas et ressentons que nos prières sont récitées en vain, il nous suffit de suivre les conseils du roi David, qui nous a enseigné à placer notre espoir et notre confiance en D.ieu, à ne jamais abandonner, ne jamais cesser de prier.
Au fil des ans, j’ai découvert que les gens sont heureux de faire part aux autres de leurs succès et réussites, mais sont réticents à exposer leurs difficultés et échecs.
Je peux certainement le comprendre, mais il y a parfois des moments où il est important de partager nos épreuves pour que d’autres puissent s’armer de courage, puiser de l’inspiration, de l’espoir et la fortitude nécessaire pour aller de l’avant.
A un moment ou un autre, nous traversons des jours sombres, des jours où nous sommes convaincus de ne plus pouvoir continuer. En de tels moments, nous nous renforçons à l’idée que d’autres ont fait le même chemin, sont peut-être tombés dans les mêmes nids-de-poule, mais ont survécu.
Lorsque j’étais une petite fille, mon révéré père, le Rav et Gaon Avraham Halévi Jungreis m’a enseigné une leçon que je n’oublierai jamais : « Lorsque tu es touchée par des difficultés, ce n’est pas un hasard. Elles t’ont été données pour que tu progresses, te renforces et partages ton expérience avec les autres. »
Et de poursuivre : « Lorsque quelqu’un souffre, tu dois te sensibiliser à sa douleur. Tu dois ressentir ce qu’il ressent et pleurer avec lui. » Mon père ne m’a pas seulement enseigné cette leçon, elle était son mot d’ordre. Il versait des larmes en voyant quelqu’un souffrir. Il percevait la douleur dans le cœur d’autrui. Et il vivait leurs tourments comme si c’étaient les siens.
Je me souviens d’une fois où mon père avait rendu visite à notre communauté à Nord Woodmere, Long Island, pour une fête de ‘Hanouka. Parmi la foule nombreuse se trouvait une veuve qui avait perdu son fils plus d’un an auparavant. Mon père s’approcha de moi et me demanda en Yiddish : « Pourquoi cette femme est-elle si triste ? Pourquoi vois-je tant de douleur dans ses yeux ? Quel lourd fardeau porte-t-elle dans son cœur ? »
Comment mon père avait-il pu le savoir ? Il ne l’avais jamais vue auparavant. Il ne connaissait pas son histoire. Comment l’avait-il remarquée dans une salle de plusieurs centaines de personnes ? Je racontai son histoire à mon père et des larmes coulèrent de ses yeux. Il ressentit sa douleur et me murmura : « Fais-la venir ici, je veux lui parler. » Les dix ou quinze minutes passées avec mon père la transformèrent pour toujours.
Mon mari, le Rav Méchoulam Halévi Jungreis, était exactement comme mon père. Il ressentait aussi la douleur de chacun. Je n’oublierai jamais l’histoire de Mike et Shirley. Leur enfant unique avait été tué dans un horrible accident de voiture. Ils ne faisaient pas partie de notre communauté. Nous ne les connaissions pas, mais ça ne changeait rien. Lorsque mon mari entendit parler de l’accident, il se rendit immédiatement chez eux. Il passa beaucoup de temps avec eux et leur rendit visite chaque jour pendant la semaine de deuil.
Quelque temps plus tard, alors que je faisais mes courses au supermarché, je rencontrai Mike. « Rabbanite, me dit-il, je dois vous dire que sans votre mari, Shirley et moi n’aurions jamais tenu le coup. Transmettez-lui s’il-vous-plaît notre reconnaissance. »
Ce soir-là, je relatai à mon mari la rencontre fortuite de ce jour-là. « Mike est si reconnaissant, dit-il, que lui as-tu dit qui l’a tellement aidé ? » Mon mari se contenta de me regarder et haussa les épaules. « Rien. Qu’aurais-je pu dire ? Que peut-on dire dans de telles circonstances? »
Quelques semaines plus tard, Mike téléphona et demanda s’il pouvait nous rendre visite avec Shirley. Nous fixâmes une date pour le dimanche soir suivant. Lorsque Mike et Shirley sonnèrent à la porte, mon mari était encore à la synagogue, et je pensai que c’était le moment parfait pour découvrir exactement ce qui s’était passé pendant ces soirs de Chiva’.
« Mike, lui demandai-je, vous souvenez-vous de m’avoir dit à quel point le rabbin vous a réconfortés ? Que vous a-t-il dit exactement ? Vous rappelez-vous de ses propos ? » Mike avala difficilement sa salive puis répondit : « Rien. Je sais que ça a l’air fou, Rabbanite, mais ce n’est vraiment rien, rien que je puisse citer. » Il dut remarquer l’expression perplexe sur mon visage. « Lorsque le rabbin est entré chez nous, m’a-t-il expliqué, il s’est dirigé directement vers moi, a mis son bras autour de mes épaules, et puis - la voix de Mike se brisa sous le coup de l’émotion - il a pleuré avec moi. »
Mike s’arrêta un instant. « Rabbanite, me dit-il, personne d’autre n’a pleuré avec moi à l’exception de Shirley. Le rabbin est venu chaque soir et il a endossé ma douleur. Je ne l’oublierai jamais. »
Puis Shirley ajouta : « Savez-vous ce qui d’après moi a fait toute la différence ? Il ne devait pas dire "Je suis désolé", il se sentait vraiment désolé. Il ne nous connaissait pas, mais il nous connaissait mieux que nos amis les plus proches. Il nous a pris à cœur et nous l’avons ressenti. Le simple fait de savoir qu’il était là pour nous nous a facilité l’épreuve. C’est l’homme le plus compatissant que nous n’ayons jamais rencontré. »
Une telle identification avec la douleur et le malheur d’autrui ne peut provenir que du fait d’avoir vécu sa propre souffrance et de révérer D.ieu. C’est cette déférence envers D.ieu qui peut conférer à un être humain la bonté et la compassion en parallèle à la bonté et compassion divine. En l’absence de croyance dans le Tout-Puissant, un espace vide reste dans le cœur, et ce vide est comblé par l’égoïsme promu par notre société. Malheureusement, notre culture est celle des droits. Nous voulons encore et encore, et ne sommes jamais satisfaits. Et nos yeux et oreilles sont hermétiques à la douleur des autres.
A suivre.