J’ai récemment reçu une lettre d’une grand-mère qui se remettait d’une visite joyeuse, mais stressante, de ses enfants et petits-enfants venus chez elle depuis Roch Hachana jusqu’à Souccot. Outre le plaisir de recevoir sa famille, elle a eu aussi le grand mérite de célébrer la naissance d’un nouveau petit-fils, et a eu le privilège d’accueillir aussi un Chalom Zakhor, une Brit-Mila et de recevoir les beaux-parents de sa fille pendant la période de Yom Tov.
Comme pour toutes les occasions joyeuses, il y a eu des complications. Elle exprima la joie d’avoir reçu toute la famille sous un même toit et d’avoir trente-six personnes pour les repas, elle écrit également que sa maison ressemblait à un cyclone, elle devait parfois rester éveillée toute la nuit pour nettoyer, cuisiner et préparer la maison. Ce n’était pas le motif de sa lettre, elle a pleinement profité de la présence de ses enfants et pense que tout ce travail a été plus que compensé par le bonheur qu’elle a vécu. Mais le but de sa lettre était d’évoquer le manque de Dérekh Erets (savoir-vivre) et de respect qu’elle a remarqué chez ses enfants et certains invités pendant la Brit Mila. Des parents venus avec leurs enfants ont occupé des tables entières, en ne laissant aucune place assise pour les invités adultes pour le repas de Mitsva. Elle s’est aussi plainte que des mères remplissaient des assiettes entières de nourriture à emporter à la maison : c’est une chose d’emporter un gâteau à la maison symboliquement en souvenir de la Brit, mais emporter de grandes quantités est à ses yeux, inconsidéré et mal élevé.
En confiant son étonnement à son mari, il lui répondit qu’il voyait presque chaque Chabbath ces scènes se reproduire : les enfants monopolisent les tables de Kiddouch et de Séouda Chlichit. L’auteure de la lettre me demande de commenter ce manque de Dérekh Erets chez les enfants. Voici ma réponse :
Ma chère amie,
Si les enfants se conduisent de manière irrespectueuse envers les adultes, c’est parce qu’ils ont reçu la liberté de se conduire ainsi. Les enfants ne sont pas en tort, les parents doivent enseigner à leurs enfants à se lever pour les adultes, non seulement pour des occasions spéciales, mais en toute occasion : que ce soit à la maison ou en public. Une circoncision est une grande joie et de nombreuses personnes emmènent leurs enfants, en particulier s’ils n’ont personne à qui les confier, mais chaque occasion est une opportunité d’éduquer nos enfants et une Brit Mila ou un Kiddouch ne font pas exception. Si les parents choisissent d’y amener leur progéniture, ils doivent leur enseigner à faire preuve de considération et à s’assoir uniquement après s’être assuré que tous les adultes présents ont une place assise à table. Si les enfants n’ont pas cette notion, s’ils manquent de Dérekh Erets, le plus souvent, c’est parce que les parents ne les ont pas élevés dans cette voie. (Il y a bien sûr des exceptions, et il peut arriver que des parents extraordinaires aient des enfants très difficiles).
D’après votre lettre, il ressort que vous êtes une mère et grand-mère dévouée, et j’espère que vous ne m’en voudrez pas si je suggère que parfois, un dévouement extrême peut être abusif. Je réalise que vous ne vous êtes pas plainte, que vous étiez heureuse d’accueillir vos enfants, mais dans le même temps, il est inadmissible que vos enfants adultes demeurent passifs pendant que la mamie est esclave dans la cuisine. J’ai réalisé qu’ils travaillent très dur dans leur propre foyer et lorsqu’ils viennent chez vous, ils aspirent à des vacances, mais il ne faut pas que votre maison soit prise pour un hôtel : vos enfants auraient dû vous aider pour vous soulager. Je sais que vous avez pris la responsabilité de cuisiner, de nettoyer, de garder les enfants, etc. avec beaucoup de joie, mais néanmoins, si vous devez effectuer toutes ces tâches par vous-même, non seulement vous vous épuisez, mais surtout, vous communiquez un mauvais message à vos enfants et petits-enfants, et générez ce même manque de Dérekh Erets que vous avez évoqué. Cela ne remet pas en question l’attachement de vos enfants : je réalise que vos enfants vous chérissent et vous aiment, mais l’amour doit se construire sur le respect, sans abus.
C’est incontestablement un grand bonheur et une immense satisfaction juive de recevoir ses enfants mariés à la maison avec leurs propres enfants. Héberger tout le monde sous un même toit pendant un mois plein avec des jours de fête vous donne certainement le sentiment de déborder de joie. Mais malgré tout, les enfants adultes doivent être sensibles aux besoins de leurs parents et les protéger d’un surmenage en les aidant à la cuisine et avec les tâches ménagères, afin que ces visites ne deviennent pas éprouvantes pour les parents. Vos enfants sont certes fatigués et surchargés avec les enfants, et même s’ils attendent avec impatience cette pause, ils ne doivent pas tirer avantage de la situation en se déchargeant de tout sur vous. Comme je l’ai dit plus tôt, si cela est le cas, c’est que vous avez permis à cette situation de se créer.
A une autre époque, un tel don illimité de soi aurait pu fonctionner. Je le sais d’après les histoires sur mes chers parents, que leur souvenir soit béni. Leurs parents, mes grands-parents, vivaient pour leurs enfants et leur donnaient tout de bon cœur, mais leurs enfants n’ont jamais abusé de ces dons et en retour, voulaient donner encore plus à leurs parents. Je me souviens avoir rendu visite à mes grands-parents lorsque j’étais toute petite. Mes parents désiraient surtout que le temps de notre séjour chez eux soit utile pour eux, que nous soyons présents afin de les aider. Mes frères et sœurs et moi étions petits, mais nous étions sensibles à leur situation et tentâmes de faire notre part et d’être une source de Na’hat (satisfaction juive). Je me souviens surtout que mes grands-parents donnaient d’eux-mêmes bien au-delà de la norme et mes parents réciproquaient de la même manière. Je ne sais pas exactement comment ils ont réussi ce pari, c’était une époque différente, et le Dérekh Erets, la déférence et l’amour de mes parents envers papi et mamie se trouvaient à un niveau difficile à percevoir dans notre génération.
Notre culture américaine est démocratique : tous les hommes sont égaux, c’est certes une grande bénédiction, mais qui, comme pour tout, comporte un revers. Lorsque le concept d’égalité déteint sur la vie de famille, lorsque parents et grands-parents deviennent « égaux » à leurs enfants, l’honneur et le respect en sont affectés.
D’autres facteurs contribuent à ce manque de Dérekh Erets, et il faudrait tout un livre pour traiter ce sujet. Elever des enfants au vingt-et-unième siècle est bien différent du passé. Etre parent aujourd’hui est complexe. Nous voulons être donneurs, mais nous devons en même temps, éviter l’excès. Nous voulons être protecteurs, mais en même temps, éviter que nos enfants soient dépendants. Tout ceci fait partie de l’enseignement du Dérekh Erets.
Si l’on enseigne aux enfants à être attentif au respect des grands-parents, de maman et papa à la maison, alors cette conduite sera également respectée en public, à un Kiddouch ou une Brit Mila par exemple.
En conclusion, je vous remercie d’avoir porté à notre attention ce sujet important, et j’espère que les parents ainsi que les enseignants bénéficieront également de la lecture de cet article.