Comment survivre lorsqu’on a des chambres à gaz et des crématoriums dans la cour ? Comment respirer lorsque l’air sent l’odeur pestilentielle de la chair brûlée ? Comment lever les yeux au ciel si le ciel est noir des cendres de votre peuple ? Comment dormir sur des lattes en bois, serré dans un espace avec de nombreuses autres personnes, sans matelas ni couvertures ? Comment préserver sa dignité humaine si vous devez utiliser des latrines en compagnies de dizaines d’autres personnes ? Comment rester sain d’esprit face à la famine et les coups ? Comment se souvenir de qui l’on est vraiment lorsqu’on vous définit constamment comme « la malédiction de l’humanité », destinée à l’extermination ?
Il est inconcevable qu’une nation puisse survivre à toutes ces atrocités. Or, de manière remarquable, notre peuple a non seulement survécu à tout ceci, mais a triomphé de ce mal satanique.
Lorsque nous avons marché sur cette terre maudite entre Auschwitz et Birkenau, j’ai partagé avec notre groupe des histoires personnelles de Bergen Belsen. Notre groupe a eu le privilège d’avoir Rabbi Mordékhaï Neugroschel de Jérusalem, qui a également relaté d’extraordinaires histoires qui révèlent la formidable valeur spirituelle de notre peuple. J’aimerais en partager certaines avec vous, car elles attestent toutes que la lumière divine du Sinaï est pour toujours ancrée dans l’âme juive et est plus puissante que tous les projets maléfiques des hommes.
Les Téfilines de mon père
Lorsque mon père eut l’âge de la Bar Mitsva, mon grand-père, le Rav et Gaon Rav Israël Halévi Jungreis, tué à Auschwitz, lui donna les Téfilines de mon ancêtre, le Ménoukhot Osher, le Rav Osher Anshil Halévi Jungreis, le Tsadik de Csengerer, connu pour être un auteur de prodiges, qui apportait la guérison et offrait ses bénédictions aux multitudes.
« Ces Téfilines te protègeront toujours, mon enfant », déclara alors mon grand-père, et miraculeusement, à travers cet enfer, les Nazis n’ont jamais confisqué les Téfilines de mon père. Tous les matins, dès le lever du jour, mon père mettait ses Téfilines, et au péril de leur vie, des hommes attendaient debout en file pour les mettre et réciter la bénédiction.
Je relatai cette histoire alors que nous étions debout devant les horribles baraques de Birkenau, et je posai une question simple : « Pouvez-vous concevoir la tragédie qui s’est abattue sur notre génération… des hommes nés dans un monde libre, qui peuvent mettre les Téfilines aisément, dans le confort, et pourtant, choisissent de s’en abstenir ? »
Peu de temps après, nous montâmes sur une tour de garde à partir de laquelle les monstres observaient le moindre mouvement de notre peuple et tiraient sporadiquement, juste pour s’entraîner ou s’amuser. C’est alors que l’un des membres de notre groupe s’avança et, pour la toute première fois, mit les Téfilines. Alors qu’il ornait son bras et sa tête de l’emblème royal de notre peuple, les hommes de notre groupe se donnèrent la main et dansèrent autour de lui. On entendit le son de la jubilation et des chants : un Juif renaissait, et notre marche devint une réelle marche des vivants.
Yom Kippour à Auschwitz
Les Allemands, à leur manière perverse, étaient très portés sur la culture, et de nombreux Juifs, qui étaient de célèbres musiciens, furent forcés de jouer pour leur faire plaisir. L’un des prisonniers, Dr Srebernik, était un brillant pianiste et était régulièrement appelé pour jouer devant leurs orgies d’ivrognes. Leur compositeur préféré était le célèbre antisémite Wagner, et il était contraint de jouer sa musique à maintes reprises.
C’était la veille de Yom Kippour, et Dr Srebernik avait le cœur brisé. Comment pouvait-il jouer du Wagner la veille de Yom Kippour, même dans cet enfer sur terre ? Lorsqu’on le convoqua pour jouer, Dr Srebernick prit son courage à deux mains et demanda s’il pouvait jouer un nouveau morceau de sa composition.
« Shpiel, Jude, Shpiel - joue, Juif, joue ! », fut la réponse moqueuse, et Dr Srebernick joua la mélodie lancinante de Kol Nidré. Ses compagnons d’infortune, émaciés et torturés, en entendant la mélodie de loin, n’en crurent pas leurs oreilles. Rêvaient-ils ? Entendaient-ils réellement la mélodie du Kol Nidré en plein Auschwitz ? Lorsque Dr Srebernick acheva son morceau, les Nazis aimèrent tellement ce morceau qu’ils hurlèrent : « Noch ein mahl, Jude - encore une fois, Juif ! », puis ils le lui redemandèrent ; il avait joué Kol Nidré trois fois ce soir-là (comme c’est l’usage à Yom Kippour). Et c’est ainsi que Yom Kippour commença à Auschwitz (relaté par Mordékhaï Neugroschel).
Le pouvoir d’un livre de prières
L’un des premiers aumôniers juifs américains à arriver dans les camps de concentration était un célèbre rabbin orthodoxe, Eliézer Silver. La vue qui l’accueillit était indicible: des piles de corps morts partout et les vivants étaient des squelettes ambulants, terriblement émaciés. Les larmes aux yeux, le rabbin se rendit d’un survivant à l’autre, en leur parlant, les réconfortant, tentant de leur instiller de la vie. Ces âmes brisées étaient profondément reconnaissantes pour leur libération, mais un homme était très en colère.
« Je n’ai aucunement besoin de rabbins, ni de Juifs religieux ! », déclara-t-il sur un ton amer. « Après ce que j’ai vu, j’en ai assez de la religion. »
« Voudriez-vous m’en parler ? », demanda le rabbin patiemment.
« Je vais vous le dire », répliqua-t-il. « Il y avait un Juif religieux dans notre camp qui avait réussi à sauver un livre de prières. Et savez-vous ce qu’il fit avec ? Si quelqu’un voulait prier avec son livre, il devait lui donner sa part de pain. Et vous auriez dû voir tous ces gens dont il s’appropria le pain ! Eh bien, après avoir assisté à cette scène, je n’ai plus besoin des Juifs religieux ! »
« Les gens faisaient-ils vraiment la queue et donnaient leur pain afin de prier ? », demanda le rabbin.
« Vous feriez bien de me croire ! », répondit l’homme en colère.
« Combien d’entre eux ? », poursuivit le rabbin.
« Presque tous ! », répondit-il sur un ton provocateur.
« C’est incroyable ! », répondit Rav Silver. « C’est le plus beau témoignage sur notre peuple que je n’ai jamais entendu. Réfléchissez un instant à leur grandeur. Des Juifs renonçant à leur pain pour pouvoir prier dans un Sidour. Au lieu de penser à l’homme qui exigeait le pain, pensez aux centaines de Juifs prêts à renoncer à leur ration de pain pour quelques instants de prière », lui conseilla Rabbi Silver délicatement.
En relatant cette histoire, je posai également un défi à notre peuple par une simple question. « Aujourd’hui, les livres de prières sont à la disposition de tous les Juifs, mais combien d’entre eux prient-ils réellement ? »
Le Chabbath de mon père à Bergen Belsen
A Bergen Belsen, mon père cachait des petites portions de sa maigre portion de pain. Je ne pourrais décrire le sacrifice que cela impliquait, mais mon père se les refusait et souffrait de la faim pour sauver ces quelques miettes afin que nous puissions vivre le Chabbath.
« Ne vous inquiétez, mes chers petits », disait-il. « Plus que quatre jours… trois jours… deux jours… Chabbath arrive bientôt. » Et là, dans l’obscurité des baraques, il fredonnait la douce mélodie de Chalom Alékhem.
« Fermez les yeux, mes précieux enfants. Fermez les yeux, c’est Chabbath. Nous sommes de retour à la maison et maman vient de sortir la ‘Hala du four. » Tout en parlant, mon père sortait ces bouts rassis de pain qu’il avait épargnés pour nous. « Venez, mes petits chéris, chantons Chalom Alékhem et accueillons les anges du Chabbath. »
Une fois, mon jeune frère Binyamin tira la manche de mon père et demanda : « Papa, où sont les anges du Chabbath ? Je ne vois aucun ange. »
« Vous, mes petits, êtes les anges », répondit mon père, les larmes coulant le long de ses joues. Ainsi, dans cet endroit sombre et satanique, nous devînmes les anges du Chabbath. Le pain rassis devenait de la ‘Hala et tout en chantant ces douces mélodies, nous nous échappâmes de notre environnement - la foi de mon père nous permit de devenir des anges du Chabbath.
Nous découvrons à travers ces histoires le pouvoir invincible de notre peuple, un pouvoir qui trouve sa source du Sinaï, de D.ieu Lui-même, et est donc invincible. Grâce à ce pouvoir, nous avons triomphé du plus grand mal de l’humanité, et c’est uniquement en créant ce pouvoir dans nos vies que nous pouvons nous souvenir de notre peuple et leur donner vie.
J’invite tous les lecteurs à se joindre à la réelle Marche des Vivants une marche dans laquelle chaque Juif doit s’embarquer, une marche qui nous conduit sur la voie de la Torah et des Mitsvot, une marche qui nous fait remonter au Sinaï : c’est la seule qui a du sens pour nous souvenir des six millions de Kédochim.