Question de Frédéric K. :
Bonjour Rav Scemama,
J'ai une question qui m'intrigue et j'aimerais vous la poser. J'ai 38 ans, je suis marié et père de 3 enfants. Je gagne bien ma vie et jouis d'une vie familiale harmonieuse. Il y a de cela 2 ans, nous avons décidé avec ma femme de nous rapprocher du judaïsme. Nous y avions pensé bien avant, mais nous n'avions pas le courage de faire le pas. Ainsi, nous avons cachérisé notre cuisine et placé des Mézouzot à toutes les portes de notre maison.
Nous avons commencé graduellement à respecter le Chabbath ainsi que les lois de pureté familiale. Je prononce chaque jour le "Chéma’ Israël" avec Téfilines et Talith, et je mets une pièce dans la boite de Tsédaka. Dernièrement, nous avons même changé les enfants d'école pour qu'ils fréquentent un établissement juif malgré la distance.
Après tous ces efforts, nous aurions dû ressentir la satisfaction d'avoir surmonté ces défis et d'avoir réalisé notre aspiration, mais dans les faits, il nous reste un goût amer de tous ces changements et ceci pour deux raisons :
1. Vous ne pouvez pas vous imaginer les difficultés que nous avons rencontrées pour chaque Mitsva. C'est comme si on nous mettait des bâtons dans les roues pour nous empêcher de les accomplir. Un petit exemple parmi tant d'autres : nous voulions déménager et une de nos priorités était de trouver un logement où les problèmes de porte électronique à l'entrée de l'immeuble ne se poseraient pas. Pour cela, nous avons dû renoncer à des offres qui nous plaisaient. Une fois notre choix fait, il s'avère que nos nouveaux voisins (non-juifs) viennent de décider d'installer une porte électronique problématique pour le Chabbath. N'est-ce pas bizarre ?!
2. Parallèlement à notre démarche de Téchouva, il nous est arrivé beaucoup d'incidents qui auraient pu se transformer en catastrophe. Par exemple, notre appartement a pris feu (heureusement, pendant notre absence) et j'ai dû le refaire entièrement, des voleurs sont entrés dans mon bureau et m'ont fait perdre des documents importants, et dernièrement, mon fils s'est cassé le bras juste après être entré à l'école juive, etc.
Là, je ne comprends plus. La Torah que l'on accomplit ne devrait-elle pas nous apporter la bénédiction ? Les Mézouzot aux portes nous protéger ?
Le Tout-Puissant ne devrait-Il pas veiller sur nous comme un père le fait avec un enfant qui ferait ses premiers pas ? Nous sommes consternés et je m'adresse à vous pour que vous m'aidiez à comprendre ce qu'il nous arrive. Bien cordialement.
Réponse du Rav Daniel Scemama :
Bonjour Frédéric,
Tout d'abord, félicitation pour votre Téchouva qui apparaît très sincère : votre vie semble bien organisée, vous ne manquez de rien et pourtant vous avez fait le pas. Surtout, ne remettez pas en cause cette Téchouva devant les épreuves que vous rencontrez. Nos Sages nous enseignent (Brakhot 5a) : "Celui que D.ieu aime, Il le met à l'épreuve." Le contraire est aussi vrai : une personne dont on n’attend rien, on la délaisse.
En fait, les difficultés qui atteignent quelqu'un, aussi étonnant soit-il, ne sont pas l'expression d'un rejet, mais, au contraire, d'une attention favorable à l'encontre de cette personne, comme nous allons tenter de l'expliquer.
Nous allons traiter séparément vos deux questions, à savoir, d'une part, pourquoi l'accomplissement des Mitsvot est si difficile et, de l'autre, comment comprendre que des incidents graves surviennent alors que l'on entame une Téchouva sincère.
1. Au sujet des difficultés qui surviennent lors de l'accomplissement des Mitsvot, il faut comprendre que le monde dans lequel nous vivons a été conçu par le Créateur de telle manière que, pour obtenir quelque chose de valeur, il faut peiner.
Un homme doit se fatiguer pour gagner sa subsistance, un paysan pour labourer sa terre et produire des fruits, et, bien sûr, une femme va souffrir pour donner la vie. Le contraire est vrai aussi : ce qui s'obtient facilement n'a pas beaucoup de valeur à nos yeux et se dilapide vite (c'est bien connu que les gagnants du loto dépensent leur argent en un temps record et, les "fils à papa", blasés, ne trouvent pas de goût aux défis de la vie). Si cela est vrai pour des biens matériels qui sont limités, à plus forte raison pour des acquis spirituels, qui sont infinis et éternels.
Il faut ajouter que le fait d'avoir un corps matériel et de nous mouvoir dans un monde concret nous demande pour nous élever spirituellement de redoubler d'efforts, car "décoller" ne se fait pas naturellement. Tout rapprochement vers la Torah nous oblige à effectuer un déplacement laborieux vers "le haut". Prenons comme image un cycliste qui peinerait pour monter une colline. Et, pour garder cet exemple, un éloignement de la Torah - à D.ieu ne plaise - se fait facilement, comme la descente d'une pente. Ce principe est frappant, particulièrement lors de l'accomplissement de Mitsvot potentiellement très chargées (comme faire Téchouva, diffuser la Torah ou rapprocher des personnes très éloignées...). On rencontrera des difficultés incroyables à leur réalisation car le Yétser Hara’ (mauvais penchant) s’acharnera systématiquement à empêcher l'entreprise de réussir.
2. En ce qui concerne les accidents qui vous sont arrivés, alors que justement vous étiez en pleine Téchouva, seuls des prophètes ou des personnages habités par l’esprit divin (Roua’h Hakodech) auraient pu vous répondre, mais il n’y en a plus parmi nous.
On peut citer des éléments de réponse d'ordre général rapportés par nos Sages :
- Il peut s'agir d'expiation des fautes du passé et d'épuration, voire de réparation d'une vie antérieure.
- On pourrait aussi mettre votre cas dans celui de "Tsadik Véra’ Lo", le juste éprouvé, et, à l'opposé, "Racha’ Vétov Lo", l'impie à qui tout réussit - question que Moché Rabbénou avait posée à D.ieu, sans obtenir de réponse, car les desseins du Tout-Puissant échappent à l'esprit humain.
Mais nous allons rapporter deux autres explications à ce phénomène, qui auront l'intérêt - pour nous tous qui cherchons la voie de la vérité - de nous faire progresser dans notre rapprochement vers D.ieu.
a) Le Talmud (Brakhot 5a) rapporte que : "L'Eternel a octroyé au peuple juif trois cadeaux qu'il ne pourra acquérir qu'au prix de souffrances : la Torah, la terre d'Israël et le monde futur".
C'est ainsi que les Bné Israël ont dû subir en Egypte des dizaines d'années d'esclavage avant d'en sortir pour recevoir la Torah au mont Sinaï, puis sont entrés en terre d'Israël pour y accomplir les Mitsvot, afin de s'ouvrir les portes du monde futur. Les commentateurs expliquent que le peuple juif, en prenant sur lui le joug de la Torah, devient l'espoir de l'humanité et réalise le but suprême de la création, à savoir, dévoiler le Divin dans la matière. Ce privilège incommensurable appelle à une responsabilité hors norme. De même, s'installer en terre d'Israël, qui est le lieu de sainteté par excellence ("Le regard de D.ieu ne le quitte pas toute l'année" - Dévarim 11, 12) et qui "vomit les impies" (Vayikra 18, 25), est un mérite qu'il faudra savoir assumer. Quant au ‘Olam Haba, le monde futur, il est le centre de toutes les félicités promises aux justes, et n'a aucun équivalent par rapport aux fades plaisirs de ce monde matériel, il est sans limites dans le temps.
Là aussi, il faudra prendre conscience du poids des actes que l'on accomplit qui ont une résonnance dans l'éternité.
Certains l'oublient et vivent leur judaïsme sous sa forme extérieure et folklorique : le Chabbath devient un "Oneg" (plaisir) gastronomique, les jours de fêtes sont des occasions de se retrouver en famille, les Mitsvot, une marque identitaire pour se démarquer des nations, Erets Israël, un beau pays, ses plages, ses hôtels de luxe, son ciel bleu... Sans un rappel du Ciel, on risque de passer à côté d'une tout autre dimension du Service Divin. Les souffrances frappent la conscience et nous obligent à chercher un sens plus profond à notre vécu de juifs. Il est certain que, de nos jours, fragilisés par une vie matérielle trop capitonnée, notre confrontation avec la souffrance est déstabilisante. Mais une vérité reste une vérité et les paroles de nos Sages demeurent la seule source fiable pour vivre correctement les évènements de notre vie.
b) Fréderic, ce qui vous perturbe le plus, ce n'est pas la souffrance à proprement parler, mais plutôt l'incompréhension devant les épreuves répétées. Votre entendement est dérangé. Or, tout le but du juif, c'est justement de plier sa façon de concevoir, sa logique devant la volonté de D.ieu. Avraham Avinou a été dix fois mis à l'épreuve, et c'était bien son esprit qui était éprouvé. D.ieu lui dit de quitter son pays pour se rendre en terre de Cana’an, et, une fois parvenu à destination, il doit quitter le pays, car la famine y sévit. D.ieu lui promet une descendance nombreuse comme les étoiles du Ciel, puis lui ordonne de sacrifier son fils Its’hak, par qui devait passer la réalisation de cette promesse. Avraham Avinou accomplit la parole Divine alors qu'elle s'oppose à son entendement. Car c'est cela le but du juif : reconnaître D.ieu et se plier à Sa volonté, même si elle contrarie nos projets et notre raison.
D'ailleurs, le mot "Yéhoudi" "juif" vient de la racine "Léhodot", c'est-à-dire "reconnaître" et "remercier". Car n'oublions pas que D.ieu est Bon d'une bonté parfaite, comme nous le mentionnons dans la première bénédiction de la prière : "Gomel ‘Hassadim Tovim", Il octroie à l'homme des bienfaits qui, au final, vont lui apporter du bien - ce qui n'est pas forcément le cas des être humains qui peuvent vouloir aider leur prochain, mais, en fait, leur cause du mal - et ce n'est qu'en renforçant cette conviction que l'on peut surmonter les épreuves.
En conclusion, nous vous souhaitons que toutes ces peines prennent fin, mais ne laissez pas cette expérience vous assombrir la vie. Au contraire, faites-en un tremplin qui vous rendra plus fort dans votre foi et dans votre judaïsme.